La conception de l’hôpital a toujours été au cœur des problématiques sociétales et un indicateur fiable des évolutions technologiques. L’exemple du robot de chirurgie mini-invasive Da Vinci, aujourd’hui utilisé par une cinquantaine d’établissements en France, est à cet égard particulièrement significatif. Sauf qu’avec l’hôpital numérique ou digital, et plus encore avec la télémédecine, nous sommes à l’aube d’une révolution conceptuelle. Explications.
Imaginez la scène. Check-up postopératoire. Vous vous rendez à une adresse près de chez vous. Une porte fermée qui ne s’ouvre qu’avec votre carte vitale ou la paume de la main. Vous entrez dans un vestiaire, vous êtes seul, pas de liste d’attente. Vous entrez dans une cabine et là, comme s’allume l’écran, tout un tas de capteurs sont connectés à votre corps. « Bonjour Monsieur Pignon, comment allez-vous ? » Le visage de votre docteur habituel apparaît sur l’écran. Une minute plus tard, après avoir consulté ses écrans en temps réel, il vous rassure. « Tous les indicateurs sont au vert, tout va bien Monsieur Pignon. L’ordonnance pour le renouvellement de vos médicaments a été envoyée et ils vous seront livrés dans une heure. A la semaine prochaine Monsieur Pignon ». Blip, l’écran s’éteint.
Monsieur Pignon se rhabille puis sort. La porte se referme automatiquement derrière lui comme il entend l’aération désinfectante se mettre en route. Bientôt la lumière verte indique que la cabine est libre. « Alors, comment s’est passée ta visite à l’hôpital ? » lui demande son épouse quand il rentre. « Très bien, comme d’habitude », dit-il. Il a été parti moins d’une demi-heure.
Ou encore. Vous avez glissé en jouant au foot et vous craignez que la cheville ne soit cassée. De retour au vestiaire, vous prenez contact avec les urgences de l’hôpital depuis votre smartphone. Une fois le contact établi, vous activez la fonction radio de votre smartphone et prenez quelques images de votre cheville douloureuse. Le temps de se rafraîchir, vous avez un message. « Entorse sans conséquence. Trois jours de repos. Une crème et des antidouleurs vous seront livrés dans l’heure. Avez-vous besoin d’un véhicule pour rentrer ? Tapez 1. D’un chauffeur pour ramener votre voiture ? Tapez 2 ». Si la cheville est cassée, rendez-vous vous est donné immédiatement dans le satellite hospitalier le plus proche afin de la plâtrer. Arrivé là – vous avez tapé 1 – un robot vous accueille et vous aide à rejoindre la pièce dédiée où vous attend un interne qui vient de lire votre dossier médical. Puis vous tapez 1 pour rentrer chez vous.
Science-fiction ? A peine. Et il y a pourtant fort à parier que l’hôpital tel que nous le connaissons aujourd’hui aura bientôt disparu. Certes le cœur de l’hôpital va demeurer un plateau technique hyper efficace dédié aux urgences – accidents, arrêts cardiaques, etc. – et centraliser les fonctions visibles – les patients qui doivent revenir régulièrement, les maladies chroniques, la gériatrisation par exemple – mais son organisation et son fonctionnement, dans leur spatialité même, seront affectées par l’impact des nouvelles technologies. Des applications santés sont d’ores et déjà disponibles sur les smartphones tandis que les géants du net gèrent déjà des millions de données médicales de par le monde. Et si l’hôpital du futur tenait dans un smartphone ?
En attendant, pourquoi parler dans ce dossier plus précisément de l’hôpital digital plutôt que du bâtiment digital ? Parce que le domaine médical est particulièrement sensible à l’évolution technologique et qu’il faut dix ans pour construire un hôpital, et encore au moins cinq ans pour qu’il tourne à plein régime. Dit autrement, comment concevoir un hôpital lors d’un concours sachant que ce dessin, lors de sa livraison, risque fort d’être déjà obsolète ?
Ce n’est pas simple vue de l’esprit. Il suffit d’un seul exemple pour s’en convaincre. Le marché de maîtrise d’œuvre de l’hôpital d’Epinal a été attribué en 2005, début 2016 seul le terrassement est réalisé et les travaux sont à l’arrêt, livraison peut-être en 2019.* Entretemps, pour les architectes lauréats, il faut donc entre le concours et le début des travaux passer du fax au smartphone, de la concentration rationalisée des centres hospitaliers à ‘l’hôpital numérique’ élaboré en 2011 par la DGOS (direction générale de l’offre de soins), sans savoir encore tout à fait ce qu’il en sera des technologies en 2019 ou 2020. Bref, pour un architecte, comment concevoir aujourd’hui des espaces pour des usages futurs à ce jour inconnus, voire encore inimaginables ?
Considérant le prix de ces établissements (un milliard d’euros pour le futur hôpital de Nantes), il convient de se poser la question en effet. Ce d’autant plus que la médecine témoigne souvent la première des évolutions futures de la société. Puisqu’il ne s’agit plus de s’engager dans la (re)construction d’un hôpital classique, l’innovation doit donc se retrouver dans la façon même de concevoir. Pourtant, face à des programmes sclérosants, à la frilosité des bureaux d’études et au manque d’expérience des maîtres d’ouvrage (le projet d’une vie), l’innovation se retrouve en France de fait hors programme et l’architecte doit avoir le cœur et les reins solides pour être une force de proposition.
Il convient d’ailleurs de remarquer qu’en France l’instabilité du management au sein des divers services de santé, qu’il s’agisse de ceux de l’Etat ou de la direction des établissements de santé, est un frein supplémentaire à l’innovation. En effet, sur les 10 ou 12 ou 13 ou 15 ans nécessaires à la construction d’un hôpital, il n’est pas rare que le directeur de l’établissement change plusieurs fois en cours de route (tout comme se succèdent les ministres).
En tout cas, afin de dégager les grands axes de réflexion qui permettront de définir un hôpital digital dès la phase de conception, un débat s’impose en France : quel hôpital et quels espaces à l’horizon 2026 ou 2030 ? Avec quel fonctionnement ? Quel modèle financier ? L’hôpital fractionné en autant de satellites spécialisés de petites taille insérés partout en ville, comme autant de stations de métro, chacun avec son pass navigo ? Voire de simples cellules de quartier polyvalentes ? L’hôpital comme un centre de tri automatisé, sans plus d’humains mais d’une hyper efficacité robotisée ? Des cabines d’urgence dans les supermarchés ? L’hôpital doit-il par ailleurs accueillir des sponsors comme le font déjà des universités : ‘Bienvenue au Rolex Cardio-vasculaire center’ ?
Nous l’avons dit, impossible de le savoir aujourd’hui mais la responsabilité de l’architecte n’en demeure pas moins engagée car c’est à lui que revient la mission de conserver à ces espaces leurs vertus hospitalières. « Le numérique impose à l’architecte d’assurer son rôle humaniste et social car c’est à lui que revient de créer le dépaysement, des émotions, des odeurs, de la lumière etc. car la sensualité est très importante dans ce type de lieu », souligne Jean-Philippe Pargade.
Une évidence s’impose cependant : « un hôpital digital n’est pas un hôpital classique où se sont greffées des solutions informatiques mais une organisation complexe, sous-tendue par des technologies innovantes qui de fait, redistribue les surfaces, réinvente les communications et modifie la fonction de production », souligne Thierry Courbis.**
Le programme hôpital numérique piloté par la DGOS (direction générale de l’offre de soins du ministère de la Santé) lancé en 2011 constitue à l’heure actuelle la politique nationale en la matière ; une timide avancée sans doute puisque cette politique n’était relative « qu’aux systèmes d’information hospitaliers ». En cinq ans, cette bonne volonté est déjà obsolète. Au moins s’agissait-il d’une première prise en compte des évolutions sociétales et techniques. Ce programme s’achève en 2017. Il est grand temps de se préoccuper de la phase II, voire des phases III et IV.
Christophe Leray
*En février 2016 les travaux étaient encore à l’arrêt (terrassement livré en 2014) suite à un appel d’offres infructueux, l’offre la moins-disante dépassant de 18% le budget prévu. Le projet du nouvel hôpital d’Epinal revu et corrigé, article d’Alix Drouin-Englinger paru le 27 février 2016 dans Vosges Matin.
**Thierry Courbis a exercé durant plus de 20 ans en France et à l’étranger dans tous les métiers de Direction de grands hôpitaux. Il est aujourd’hui Directeur Général de Leader Health, une société de conseil et d’assistance stratégique à Maîtrise d’Ouvrage.
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