Quel fonctionnement demain à l’hôpital ? Quelle relation avec la ville ? Technologies numériques et robotiques pour un hôpital sans humains ? Les réponses de Jean-Philippe Pargade, architecte associé avec l’agence belge Art & Build, lauréat en 2015 du futur hôpital de Nantes dont la livraison est prévue en 2023.
Chroniques : l’impact des technologies a toujours été un facteur déterminant de la conception des hôpitaux. Quel est celui des technologies numériques telles que nous les connaissons aujourd’hui ?
Jean-Philippe Pargade : le numérique est la grande révolution du domaine hospitalier. En effet, l’hôpital est hyper sensible aux évolutions technologiques et doit constamment évoluer. Une université par exemple évolue moins vite. En ce sens, l’hôpital peut être assimilé aux grands équipements de transport, aéroports et gares, qui ont d’ailleurs énormément évolué, en ce sens qu’il faut désormais gérer des flux importants.
L’une des difficultés dans ce domaine est de s’adapter constamment aux évolutions face à des pratiques et des technologies dont la transformation s’accélère. Une démarche impliquant de concert le maître d’ouvrage, le programmiste et l’architecte est donc nécessaire. Comment cette co-conception fait-elle évoluer les programmes ? Il y a deux approches. La première est de concevoir des volumes capables : on structure des enveloppes puis on les remplit au dernier moment, permettant ainsi une évolution jusqu’au bout du processus. Une autre démarche, qui est celle des pays nordiques, est de concevoir des bâtiments avec des amortissements prévus dans des délais beaucoup plus courts et permettant alors de changer la fonction des bâtiments, de les transformer en logements par exemple. De fait, à Nantes, il nous était demandé de prévoir des bâtiments en capacité d’être à terme affectés à d’autres fonctions, ce qui donne un nouveau modèle d’hôpital.
Au centre hospitalier PSSL du Bailleuil*, nous étions dans une politique de regroupement des hôpitaux avec la constitution d’équipes plus transversales entre les différentes spécialités. Aujourd’hui l’évolution veut que l’on cherche moins une unité compacte qu’une optimisation des flux. L’objectif fixé par l’Etat et les différentes tutelles que 65% des interventions se fasse en ambulatoire conduit à la diminution de la durée de séjour et des interventions plus rapides. Pour le coup, il faut raisonner en termes de flux – celui des patients, de la logistique, du personnel, etc. – et, pour ce faire, s’appuyer désormais sur des outils informatique, comme le tracking system ou la géolocalisation.
Bientôt toutes les données d’un patient seront disponibles sur un smartphone ou la carte vitale et il sera possible de recevoir ses rendez-vous par SMS, l’heure, le coût et le choix du soignant faisant partie des options. D’ailleurs, la médecine elle-même s’appuie de plus en plus sur les statistiques et moins sur l’observation. Dit autrement, chaque patient sera porteur de son ‘équipement’ personnel. L’impact est énorme sur la conception.
L’hôpital d’un seul tenant est donc révolu ?
Nous allons vers un morcellement des fonctions, en partie parce qu’avec le numérique, la notion de distance n’est plus la même. En effet, le numérique permet de connecter des bâtiments ensemble sans forcément de lien physique entre eux, d’où la notion de hub dont le cœur sera le lieu de toutes les fonctions majeures mais connectés à des satellites, l’échelle des satellites correspondant au diverses spécialités. Le fait que l’hôpital se rapproche de la ville le fait également diminuer de taille.
Ainsi à Nantes, il s’agit d’un projet global de territoire dont les mailles du réseau offrent une perméabilité par rapport à la ville. L’hôpital est intégré dans la texture urbaine avec, autour du hub, une seconde et une troisième couronne. C’est un projet que l’on peut traverser, avec un rez-de-chaussée de plain-pied, des galeries pour passer d’un bâtiment à l’autre, des rues intérieures… L’hôpital revient à la ville mais la ville vient également à l’hôpital. L’un des impacts de cette évolution est par exemple la nécessité moindre de parkings, ce qui permet également à l’hôpital de revenir en ville.
Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) témoignent de cette évolution, le partage de la recherche n’étant plus forcément liée à un lieu physique. La notion de hub et la télémédecine permettent à un réseau de différents établissements de fonctionner ensemble. Avec une médecine de moins en moins invasive, même le plateau technique est transformé. Plutôt qu’une machine à guérir, l’hôpital devient un lieu désormais beaucoup moins sanctuarisé et plutôt tourné vers l’exploration à l’aide de robots de plus en plus précis.
Quel impact sur le fonctionnement de l’équipement ?
Le numérique libère certaines tâches pour le personnel. Dit autrement, l’immatériel offre de nouvelles libertés et laisse plus de temps pour les cas particuliers tout en rendant l’espace moins technique au profit de lieux de soins, ce dont témoigne le développement du concept de ‘healing hospital’, le bien-être étant désormais mieux intégré à la volonté de soigner.
Pour l’architecte, la mutation dans les métiers de l’hôpital est difficile à anticiper. Plus de gestion informatique, moins de brancardage ? Cette réorganisation remet en question les anciens fonctionnements. Ne va rester au cœur de l’ouvrage que ce qui a besoin d’être tandis que nombre de fonctions vont se rapprocher des habitants. Paradoxalement, cette évolution demande plus d’architecture car la notion de bien-être demande une psychologie des lieux et leur intégration dans l’environnement. D’une certaine façon, le numérique impose à l’architecte d’assurer son rôle humaniste et social car c’est à lui que revient de créer le dépaysement, des émotions, des odeurs, de la lumière etc. car la sensualité est très importante dans ce type de lieu. D’ailleurs, l’accueil tend désormais à ressembler au lobby d’un hôtel.
La notion d’’affordance’ est la capacité d’un lieu ou d’un objet à être utilisé. Les smartphone par exemple sont désormais livrés sans notice. ‘Sirendipity’ est celle de trouver quelque chose par hasard. Avec ces notions l’architecte, sans pouvoir pour autant prévoir l’avenir, doit anticiper quelles peuvent être les évolutions. Il est ainsi permis de penser que le bâtiment numérique sera relié au dossier du patient, que les chambres devront donc être adaptées en conséquence, que la robotisation des accueils va libérer des espaces et de la surface, que les bornes d’accueil vont remplacer les banques d’accueil, etc.
Chacun comprend que l’informatique va transformer le management des rotations des lits par exemple, que le suivi avec des capteurs sera effectué sur le lit du patient en temps réel, que les robots vont sans doute remplacer le brancardage et l’accompagnement, que la surveillance et le suivi des patient pourront bientôt s’effectuer à distance, etc. Le danger est celui d’un hôpital sans humain, le mot d’ordre est que le numérique est un outil et ne doit pas remplacer l’humain.
Propos recueillis par Christophe Leray
*Centre hospitalier intercommunal Pôle Santé Sarthe et Loir (La Flèche, 72). Voir à ce sujet notre article ‘Pôle Santé du Bailleul : un pari osé qui n’injurie pas l’avenir’
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