Le propre de l’art est son intemporalité. Ainsi en est-il de cette série d’Estelle Lagarde qui a traversé le temps pour évoquer une actualité retentissante. Il est vrai qu’elle seule sait rendre avec une telle clarté l’âme des lieux. Chronique-Photos.
J’entre dans la cour. Me voilà face à ce bâtiment immense, sublime et désolé.
Une peur sourde m’envahit.
Je l’écarte et part à la rencontre de cet édifice fascinant, l’ancien hôpital Richaud de Versailles.
Nous sommes en novembre 2007.
La lumière semble tomber du ciel. Je suis frappée par le bleu, le jaune.
Le plafond qui tombe en lambeau.
Il prélève des fragments de murs pour analyse.
Ces colonnes de pierre n’impressionnent plus personne que moi qui suis là.
J’aime l’espace qu’elles créent, solide, protecteur, désert.
Je les vois. Ils semblent réfléchir. L’heure est grave.
Le masque est de rigueur. La pandémie c’est pour dans 13 ans, mais ils se préparent.
Et cela leur demande beaucoup de travail.
J’arrive dans les combles.
J’aime la profondeur de l’espace rythmée par des cloisons latérales, des fenêtres de toit et ce carrelage au sol, tramé.
Elle ne s’intéresse qu’à son poupon, ne sait plus qui elle est, ni qui ils sont les deux là-bas.
Le temps s’étire.
Je ne l’ai pas vu tout de suite.
L’image.
J’ai d’abord vu ces parois pelées comme une peau cramée, ces copeaux de peintures déchirées joncher le sol, cette forte lumière au fond du couloir, et ces portes ouvertes.
La grande photo sur le mur m’a amusée. Tout à coup il restait quelque chose d’une salle qui s’était voulue plus gaie. Je me suis dit que cet espace devait être une salle d’attente. Peut-être un service de pédiatrie, accueillant des enfants et des jeunes mamans.
On l’appelait l’oratoire. Toute de bois sombre, avec pour unique éclairage, une verrière zénithale donnant une lumière jaune et blafarde. Cet endroit avait quelque chose de religieux et de carcéral. On ne s’y sentait pas à l’aise, comme s’il s’y était passé des évènements troubles.
Tout ce fatras. Etat de guerre. Les longues paillasses évoquent un centre d’analyse.
J’y vois une salle d’opération.
Ces longs couloirs de pierre devaient être très beaux avec leurs grandes baies vitrées apportant de généreuses lumières et offrant de belles vues sur la cour. Maintenant tout est fermé, l’espace est clos. Il se referme sur lui-même. J’y ai vu un entre-deux. Un passage entre la vie et la mort.
Une sorte de purgatoire.
Inattendue cette impressionnante salle ronde à la coupole de pierre sculptée de caissons.
Magnifique ouvrage. Je me demande comment photographier un espace courbe. La réponse est dans l’objectif, il suffit de regarder.
Estelle Lagarde
Toutes les photographies ont été réalisées à la chambre 4×5 argentique, à la lumière naturelle et sans post-production numérique.
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