Le Festival des Architectures Vives est un parcours architectural à destination du grand public, qui permet de découvrir ou redécouvrir des sites emblématiques au cœur de la ville historique de Montpellier (Hérault) en reliant des hôtels particuliers et cours intérieures, majoritairement privées, qui ne sont usuellement pas visibles pour les visiteurs.
Chaque installations créée par des équipes d’architectes permet de mettre en avant le travail d’une jeune génération qui propose, invente, expérimente et explore de nouveaux champs de conception de notre environnement. Ainsi, le festival leur offre la possibilité de présenter une réalisation au travers d’une installation au cœur de l’écrin prestigieux et remarquable qu’offrent les cours d’hôtels particuliers. Chacune d’entre elle ouvre un dialogue entre une architecture patrimoniale et des installations contemporaines.
Depuis 2006, le FAV est organisé annuellement par l’association Champ Libre, présidée par Elodie Nourrigat et Jacques Brion, architectes à Montpellier. « Impermanence » est le thème du FAV 2022 (du 14 au 19 juin 2022). Découverte des projets lauréats.
Entre deux valses
AMBLA : Morgane Berson, Karen Le Corroller, Maxime Molinari
Marseille – Béziers // France
Au cœur de l’architecture et de l’évolution des sociétés, l’impermanence est un des mécanismes majeurs du réel. Dans un univers en constante évolution, reconnaître la positivité de l’impermanence est, selon nous, une source de sagesse, d’inspiration et de liberté.
Le mobile, défini par son mouvement, est à nos yeux l’illustration même de l’impermanence. Il retranscrit la possibilité de retour à l’équilibre en passant par la mobilité ; un phénomène singulier qui fait écho à notre société. Le mobile ondule, hésite, on dirait qu’il se trompe et qu’il se reprend. Ces mouvements qui visent à plaire et à enchanter nos yeux sont aussi l’occasion de prendre le temps de s’arrêter et d’observer. N’est-ce pas ce que chacun devrait pouvoir faire au quotidien, et qui plus est à travers ce festival ?
Faire une pause pour vivre l’instant présent. S’immobiliser pour regarder ce spectacle mouvant au milieu d’une architecture préservée.
Fragment
Chiara Vigneri & François Chantier
Berlin // Allemagne
Le wabi-sabi, qui trouve ses origines dans la culture japonaise, peut se définir comme suit: la simplicité, l’éphémère, l’erreur, l’imperfection. Notre projet tente de traduire ces termes en une installation dialoguant avec l›architecture existante. Le but est de refléter les bâtiments historiques dans des formes géométriques simples, élémentaires, construites avec des matériaux recyclés, réemployés, patinés, abimés, avec des irrégularités et des altérations apparues inexorablement au cours du temps.
Les « fragments » éparpillés dans la cour de manière aléatoire et spontanée, de hauteurs différentes, en métal, rappellent un objet cassé, éclaté en mille morceaux, évoquant la fragilité de la matière – comme un morceau de porcelaine qu›on a laissé tomber – et plus largement de toutes les choses du monde : de l›esprit, de la vie, des sociétés humaines, des villes. En observant de plus près, nous devinons que tous ces éclats proviennent d’un volume plus large, formant un carré en plan, signe d’une époque passée. Un évènement particulier, un accident, a eu lieu.
Nous sommes alors tentés de recoller les morceaux, pour réparer l’objet brisé. Cela rappelle la technique du Kintsugi (aussi d’origine japonaise), qui se traduit par l’usage de l’or pour rejointer les débris de céramique – ou l’art de la récupération, le refus du jetable – et nous pousse à nous interroger sur la perfection moderne, et plus largement sur le matérialisme. Les reflets irréguliers, imprévisibles, parfois déformés par le métal brut et approximatif, marquent, gravent – à la manière d’un kaléidoscope – dans l’esprit du visiteur des parties de l’architecture historique, y produisent un souvenir unique par l’expérience – courte et authentique, éphémère par nature – de la promenade. La ville abimée, friable, les assemblages et combinaisons de matières, qui portent les traces du temps, se prolongent ainsi dans les pensées et mettent en avant la beauté du vieillissement, faisant prendre conscience au visiteur, un instant, que tout est éphémère.
L’illusion de la permanence
Atelier VYà: Gauquelin Achille & Bossard Timothée
Paris // France
La permanence en architecture ne serait-elle qu’illusion ?
L’impermanence se révèle comme une illusion résultant de la confrontation des temporalités au sein d’un même espace, celle de la condition humaine et celle, plus vaste, de la matière d’architecture.
L’installation se propose d’aborder cette question en mettant au jour l’illusion de la permanence au travers d’un archétype : l’évocation d’une architecture originelle, celle de l’espace domestique.
Par l’emploi d’une forme géométrique stable et d’un matériau quasi éternel, le cylindre incarne une supposée perpétualité.
L’habillage de la structure par trois marqueurs de l’imaginaire domestique – le rideau de perles de buis, la tomette, l’assise en bois – soumis aux actions extérieures, extirpe un environnement mémoriel et le propulse dans le présent.
La conflictualité des temporalités s’incarne dans une forme essentialisée, confrontant le visiteur à sa propre impermanence et à l’illusion de la permanence de son environnement : l’architecture se révèle alors dans toute ses dimensions.
Paysage en suspens
BOON Architecture – Mock up : Bouchard Jean-Nicolas, Thibeaudeau Hugo, Bradette Julie
Quebec // Canada
Depuis la nuit des temps, les paysages nous habitent et nous transportent. Tels de vastes tableaux vivants, leur beauté fragile et éphémère nous émerveille et cultive notre curiosité à découvrir le monde. Aujourd’hui, il devient possible en quelques clics d’explorer les endroits les plus hostiles et reculés de notre planète, que ce soit depuis les sommets enneigés jusqu’aux vallées océaniques les plus profondes. Les technologies et la haute définition repoussent ainsi à de nouvelles limites l’exploration de notre globe. Notre rapport au paysage en est donc altéré, voire dématérialisé, tout comme notre rapport au monde. Entre physique et virtuel, Paysage en suspens propose l’expérience d’un paysage abstrait et éclaté, conçu à partir d’un seul paramètre : pouvoir loger dans un compartiment à bagage.
Cette installation compte 1 500 vignettes superposées en 12 plans qui sont altérées à l’aide d’outils de fabrication numérique. Émergeant d’un volume compact de la taille d’un bagage, l’installation se déploie et se dématérialise pour créer une richesse d’expériences et d’impressions qui naissent de la fluctuation entre espace et matière. La superposition de 12 plans-paysages fait apparaître une nouvelle dimension impermanente, seulement visible depuis le mouvement autour et à travers l’installation.
Caeloscope
Alek Rokosz
Cracovie // Pologne
(latin caelum, ciel) – instrument permettant l’observation du ciel urbain
Rarement on lève la tête pour regarder le ciel. La ville obstrue les vues, les immeubles dominent le paysage, ne laissant que des étroits canaux du visible bleu. Cet éloignement avec le ciel s’est encore intensifié pendant le confinement. Beaucoup d’entre nous se sont retrouvés enfermés dans des petits appartements sans accès aux espaces ouverts. Pour certains, voir le ciel est devenu un effort, même un défi. Et se priver du ciel c’est oublier comment être libre
Le Caeloscope est un instrument qui vise à tourner à nouveau notre regard vers le haut, vers le ciel qui est toujours là mais qui est aussi toujours différent. Le ciel est l’essence de l’impermanence et son antithèse en même temps. Caeloscope permet d’examiner cette relation entre le constant et le variable avec la plus grande précision. Comment est-ce possible ? L’appareil utilise un grand miroir en acier inoxydable qui reflète le moindre changement dans l’environnement. L’installation est interactive, il suffit de tourner le Céaloscope pour examiner le fragment souhaité de ciel.
La mauvaise herbe ne meurt jamais
Atelier Mobile : Cristiano Tosco, Miriam Quassolo, Corrado Scudellaro, Fabrizia Muci, Francesco Paolo Rolfo
Turin // Italie
La mauvaise herbe est coriace : coupée, déchirée et déracinée, la mauvaise herbe reprend toujours à vivre. Trois éléments – tels que les graines, gardiens du début et de la fin de la vie de l’élément végétal ; l’espace bâti, matérialisation de l’effet de l’être humain sur le paysage ; la notion de vivant, associée exclusivement aux lieux anthropisé – pour proposer trois niveaux d’IMPERMANENCE.
L’abandon : L’espace, un sol bâti, aujourd’hui abandonné, dont la nature reprend possession. Les joints entre les tuiles deviennent la maison de la mauvaise herbe. C’est dans ce développement incontrôlé que se manifeste le caractère temporaire, l’IMPERMANENCE DE L’ACTION HUMAINE.
La mauvaise herbe : Interaction du visiteur avec l’installation : les usagers sont invités à arracher les touffes d’herbe et à les prendre avec eux ; de la même façon avec une boulette de graines.
Grâce à l’action humaine, la configuration initiale ne peut pas se répéter jamais, en laissant place à des configurations nouvelles et différentes créées par l’action de la soustraction, IMPERMANENCE DU CHOIX.
La diffusion : Loin dans l’espace et dans le temps, c’est à ce moment que les graines contenues dans les sachets et les boulettes de graines, soit par l’action humaine, soit par des événements fortuits, atteignent une maison qui leur permet de se transformer en autre chose : herbe, fleurs et plante, IMPERMANENCE DE LA NATURE.
Echantillon T22U.RFU
Slow & Mobiterre : Olivia Frapolli, Sébastien Soulez-Larivière, Rachid Mizrahi, Miki Nectoux
Montpellier // France
Cet échantillon nous arrive tout droit de notre futur, sans d’autre information que sa seule présence : il sonne comme un avertissement.
Avant l’humain / Pendant l’humain / Après l’humain
Strate après strate, l’histoire se construit en palimpseste : l’Homme a recouvert, il sera à son tour enfoui.
Ce totem érigé en terre pisée allégée et en béton nous raconte l’impact de l’humain sur son environnement, les traces qu’il souhaite y laisser et celles qu’il laisse malgré lui.
Bouteilles à la mer
KOLLEKTIV GESAMTKUNSTWERK : Petracek Killian, Anton Schmunk, Marcel Navid Shrifian, Kaleb Johannes, Khoa Ngo, Timur Zhigaylo
Bruxelles // Belgique – Francfort-sur-le-Main // Allemagne
Les bouteilles sont intrinsèquement sujettes à l’impermanence.
Notre installation de bouteille de verre permet d´accentuer cette idée, tout en donnant une utilisation temporaire à l´œuvre sous la forme d’une boîte aux lettres interactive.
La tour sert de moyen de communication entre les visiteurs de l´exposition de Montpellier.
Pour chaque message ajouté, l´accumulation d´idées augmente, tandis que la transparence des bouteilles diminue.
L´expression de l´installation change continuellement, accentuant ainsi sa fugacité.
Une illusion d’éternité
Malo Chabrol, Lucas Buti
Marseille // France
L’architecture trouve son ancrage temporel dans ses dimensions constructive et formelle.
Constructive d’abord, la permanence y est toujours recherchée mais aucun édifice ne peut se prévaloir d’une quelconque forme d’éternité.
Formelle ensuite, elle est versatile, elle est soumise aux lignes courbes de son histoire. Cependant, passées les apparences, les invariants sont là.
Ici, l’installation expérimente une impermanence physique face à une permanence formelle.
Des colonnes toscanes transparentes en écho à celles de l’Hôtel de Griffy sont posées sur de légères assises. Sous ces colonnes s’écoulera la matière qui les constitue.
Ces étranges sabliers amèneront les visiteurs vers une lente contemplation de la disparition d’éléments architecturaux plurimillénaires.
Une fois la matière écoulée, il ne subsistera plus dans la cour que des formes architecturales figées dans une illusion d’éternité.
La matière disparaît, la forme reste.
Le château de cartes
B.O: Joan Bardy, Jean Orliac
Barcelone // Espagne
S’interroger sur l’impermanence, c’est prendre conscience que tout se transforme, que rien n’est immuable. Le Bouddhisme par exemple, qui a fait de l’acceptation de l’impermanence un de ses principes fondamentaux, enseigne que tout est passager, transitoire, et que tout peut disparaitre et se dissoudre d’un moment à l’autre. Si l’on y pense, cela s’applique effectivement à tout ce qui nous entoure, même à ce qui de premier abord peut sembler solide et éternel. On peut s’autoriser à dire que tout n’est finalement qu’un château de cartes !
Le château de cartes fait surtout référence aux projets fragiles et éphémères. Il est donc en soi symbole de l’impermanence. L’éphémère est d’ailleurs sa raison d’être, ici au sein du festival, et il le revendique : il ne peut exister pleinement que parce qu’il est voué à disparaître. Comme nos vies et les sentiments qui nous lient, c’est sa durée limitée qui lui donne un sens. Le château de cartes sera géant et montrera son jeu. Sa taille sera suffisante pour dialoguer avec l’architecture dans laquelle il s’insère. Il se dressera fièrement face aux bâtiments auxquels il aura à faire face, et remettra en question comme le château chancelant qu’il est, la longévité d’un patrimoine que ses bâtisseurs pouvaient penser éternel.
Le château de cartes peut s’effondrer à tout moment. Sa durée est donc incertaine et précaire. Il ne peut que s’efforcer de vivre au présent et nous renvoie à l’incertitude du temps qu’il nous reste comme individus mais aussi comme société. Il peut être l’allégorie de la fragilité de notre civilisation, qui, persuadée d’être éternelle se révèle au contraire fragile, et comme bien d’autres avant elle pourrait un jour s’éteindre ou s’effondrer, pêchant par l’illusion de son invincibilité.
Le château de cartes est en réalité déjà en train de s’écrouler. Nous ne savons pas si sa chute se fera de façon complète et instantanée mais l’accident en cours montre l’instant suspendu d’un effondrement qui a déjà commencé. Un arrêt sur image en déséquilibre pour que l’observateur puisse questionner sa perception de l’échelle des temps.
Faire prendre conscience au visiteur de la perception biaisée du temps qui peut l’induire en erreur sur la permanence de certaines choses et l’amener à établir de fausses vérités. Certains châteaux peuvent paraître éternels mais tous finissent un jour par retourner à la poussière. Le château de cartes finira donc un jour par tomber. Mais l’histoire et le temps ne s’arrêteront pas pour autant.
Prendre conscience de l’impermanence, c’est aussi prendre conscience du processus de renouvellement constant du monde dont nous faisons partie. La seule chose permanente en ce monde n’est autre que l’impermanence. Il ne s’agit donc pas de jeter ce qui s’est effondré ou ce qui est usé. On pourra toujours rebattre les cartes et aller reconstruire un nouveau château quelque part.