Le 30 octobre 2022, en réaction à la manifestation qui a réuni la veille à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) plus de 5 000 personnes contre un projet de « méga bassine », manifestation qui a donné lieu à des horions de part et d’autre, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a dénoncé « des modes opératoires qui relèvent […] de l’écoterrorisme ». De quoi ? A l’heure de la COP 27 ?
Une anecdote, le mot est sans doute mal choisi, pour ceux qui ne connaissent pas bien l’histoire de Chroniques d’architecture. Le premier numéro de Chroniques est paru le mardi 10 novembre 2015, avec pour titre de son premier édito : Chroniques d’Architecture, un nouveau magazine. Chacun peut imaginer la joie de l’équipe à la sortie de ce numéro. Un pari !
Las, le vendredi suivant avaient lieu les attentats du 13 novembre 2015* : 130 morts, des blessés par milliers, Paris et la France ensanglantée. Ces assauts de violence faisaient suite aux attaques mortifères la même année contre Charlie Hebdo le 7 janvier et l’Hyper Cacher deux jours plus tard, le 9. D’autres suivront, à Nice notamment dont le procès des auteurs de l’attaque du 14 juillet 2016 a lieu actuellement. Depuis il y a eu la guerre en Syrie, aujourd’hui en Ukraine mais chaque Français sait désormais épeler le mot ‘terrorisme’, il a eu le temps d’en saisir le sens.
Donc, à comprendre le ministre de l’Intérieur qui semble ne plus savoir comment s’y retrouver parmi les barbus de la cinquième colonne, lui qui est glabre : sont des « écoterroristes » ces braves gens, y compris les excités parmi eux, qui manifestent contre une mega bassine destinée à servir les intérêts de quelques céréaliers et maïsiculteurs qui sont plus experts dans les tableaux financiers Excel qu’en biologie de la terre et qui ont besoin d’eau pour faire pousser le grain qui ira nourrir les cochons de mega fermes – la jauge est passée de 5 000 à 10 000 bêtes – dont les déjections iront nourrir les algues vertes mortelles, dont le ramassage sera à la charge de la communauté toute entière. De quoi pour les végétariens et les écoféministes l’avoir mauvaise.
D’aucuns argueront pourtant que, à l’heure de l’alerte climatique quand il est impératif de protéger les ressources en eau, les bassines en perturbent profondément le cycle, celles-ci ne servant qu’à perpétuer des cultures dont les pesticides iront polluer tous les bassins en aval.
Bref, selon notre ministre de l’Intérieur, les paysans des Deux-Sèvres, leurs fils et filles, leurs élu(e)s, et assurément quelques excités parmi eux, relèvent de « l’écoterrorisme » ! Bonjour le label infamant ! Et il leur faudra à tous bientôt se raser pour montrer patte blanche ? Il est vrai que depuis que Darmanin est ministre de l’Intérieur, la police elle-même ne compte plus d’excités dans ses rangs et ce n’est pas de la faute des fonctionnaires si jamais autant de Français se sont jetés sur les balles de leurs pistolets. La réforme de la police judiciaire, qui fait un carton parmi les policiers et les magistrats, témoigne que, question gestion des foules petites et grandes, le ministre est un champion !
Tiens par exemple. Imaginons un soir de finale de coupe d’Europe dans un stade anglais, une équipe française qualifiée. Avant d’arriver à Wembley, les fans français, leurs enfants, leurs femmes pourtant munis de tickets en bonne et due forme, sont dirigés comme des veaux puis gazés avant d’être tabassés… Et encore c’est de leur faute ! Que n’aurait-on entendu Darmanin, et avec lui le chœur des vertueux, pousser de hauts cris, appeler à des sanctions, à une démission au moins du ministre de Boris Johnson. L’assaut d’indignation aurait sans aucun doute été à la hauteur de la violence de ces imbéciles de « bobbies » anglais.
Alors aujourd’hui, il est tout simplement inacceptable d’entendre ce parangon de l’acumen politique mettre sur un pied d’égalité les terroristes qui pour une idéologie idiote fusillent des innocents en terrasse ou à un concert et des gens qui tentent du mieux qu’ils le peuvent de préserver la planète des intérêts imbéciles et à court terme de quelques-uns de ses amis politiques – entendre la FNSEA qui, question « écoterrorisme », se pose là. Si la remarque du ministre est une ignominie en soi, c’est aussi un défi à l’intelligence.
C’est un peu comme pour Darmanin de convoquer un débat entre ceux qui pensent que la terre est ronde et ceux qui pensent que la terre est plate et, par équité, leur donner chacun le même temps de parole. C’est de la perversion pure et simple : la terre est ronde, point barre et si CNEWS pense le contraire, grand bien fasse à ses actionnaires. Sauf que Darmanin, représentant d’un ministère public, ne s’exprime pas autrement que ne le ferait un Bolsonaro, un Trump, un Poutine ou un Orban. C’est bien simple, pour ce lecteur sans doute d’Orwell, s’il y a un réchauffement climatique, c’est la faute des écolos ! Et en Iran, les filles et les femmes, et leurs frères, père et maris qui se révoltent, des « socio-terroristes » sûrement. Tiens, nul n’a entendu cet homme à ce sujet, lui qui s’y connaît pourtant en terrorisme de toute sorte. Ils nous achètent des méga bassines les Iraniens ?
Maintenant, que ce petit homme – non, il n’est pas petit, il est bas – aboie sans élégance pour effrayer le poulailler, c’est après tout le rôle des affidés et des kapos. Ceux-là sont habituellement tenus en laisse, courte la laisse. Plus inquiétant est donc le silence à ce sujet de Vulcain ex-Jupiter qui, parti de la gauche, semble foncer à droite d’extrême vitesse.
Parce qu’à ce compte-là, les « écoterroristes », noyés sous les 49.3, vont bientôt se compter par dizaine de milliers, même si seulement une infime partie, la moins intéressante, souhaite se faire reconstruire par Sandrine Rousseau. Vous avez aimé les gilets jaunes ? Vous allez aimer les « écoterroristes » armés d’un bol de soupe à la tomate. Pour eux sans doute la prison surpeuplée à des niveaux records leur apprendra la vie de l’ordre ultra-libéral. Et le ministre de se rengorger d’un travail rondement mené : grâce à lui la paix sociale est assurée. D’ailleurs, comme l’indique l’adage, qui sème…
Pour faire bonne mesure, ne manque plus que les « écoterroristes de l’architecture » ! Le premier qui refuse un visa pour atteinte à l’intégrité de la planète sera fiché S. Et tous les autres à suivre !
Bref, trois jours après la publication du numéro 1 de Chroniques d’architecture, à l’irruption des terroristes, les vrais, ceux qui ne rigolent pas, ne chantent pas, et qui n’avaient jamais entendu parler ni de Darmanin ni d’écoterrorisme – ce qui les aurait bien fait rigoler – il nous a fallu déchanter à la rédaction et reconnaître que les ambitions, si elles ont le mérite d’exister, demeurent à jamais fragiles.
Alors, dans sa position, dans notre pays, que ce type ne sache pas aujourd’hui faire la différence entre les méchants, voilà qui fiche les jetons.
Bruns les jetons.
Christophe Leray
PS – Et comme dans Shrek, me reste à craindre, pour « écojournalisme », le courroux du petit prince indélicat ! Mais bon, on vous tiendra au courant…
*Lire Paris, le jour d’après, je n’ai que faire de vos prières (publié le 15 novembre 2015)
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