«Incroyable» ! «Pittoresque» ! «Campagnarde» ! Etait-il question de l’urbanisme de Fontainebleau ou Chantilly ce mardi 11 octobre 2016 dans la chapelle de l’ancien couvent des Récollets ? Que nenni ! Il était plutôt question, à entendre quelques-uns des interlocuteurs de cette conférence, d’une tranquille bourgade cosmopolite de Seine-Saint-Denis, Sevran, et de son Master Plan, conçu par Finn Geipel, qui accueillera à l’horizon 2025, deux nouvelles gares du Grand Paris Express (GPE).
Sur l’estrade ce soir-là étaient installés Stéphane Gatignon, maire du village, Finn Geipel, architecte berlinois en charge du master plan de la ville, Jean-Marie Duthilleul, en Fulgence Bienvenuë des temps modernes ainsi que les maîtres d’ouvrage du projet «Sevran : terre d’Avenir», Damien Robert, directeur de l’EPA Plaine de France, et Nadir Bentoula représentant de la Société du Grand Paris (SGP). Autant de grands noms réunis à la Maison de l’architecture ne pouvaient rassembler autour d’eux qu’une communauté de Parisiens, architectes, maîtres d’ouvrage et ingénieurs, des sachants sans doute mais pas pour autant riverains. De fait, un coup d’oeil à 360 degrés suffit à indiquer que, hormis le maire, aucun Sevranais n’avait dû faire le déplacement.
La parole fut d’abord donnée au politique, homme de micro et de terrain. En bon maire, il explique «qu’il faut s’appuyer sur les forces vives que constituent à la fois la population jeune et cosmopolite de Sevran et également sur l’opportunité qu’offre le positionnement de la ville sur le territoire de la Métropole du Grand-Paris».
Point de misérabilisme et les questions qui fâchent sur les banlieues sont vite éludées. Très vite pourtant, chacun comprend que le fond du sujet est de «redynamiser et désenclaver le territoire». C’est vrai qu’aujourd’hui, les Séquano-Dionysiens peuvent apercevoir la Tour Eiffel de leur propre tour, seulement y aller est une autre histoire : 1h15 de transports en commun (selon la SGP) et deux changements, à condition d’habiter près des gares. Vous avez dit enclave ?
Le projet d’urbanisme a été confié à l’agence LIN architects. Finn Geipel, un des cerveaux de l’Atelier international du grand Paris (AIGP), prend alors la parole et explique sobrement son projet. Quiconque l’a déjà écouté sait comme le personnage est pragmatique.
Une fois resituée Sevran entre la ville et la campagne, à moins de 20 km de Paris et de l’aéroport de Roissy, arrivent les grandes phrases et «le territoire devient le laboratoire de nouvelles urbanités». L’habitant de la cité des Beaudottes n’a rien compris ? Qu’importe, il n’est pas là.
En substance l’idée du projet est somme toute assez simple. Rappelons-en les lignes directrices. Le projet Terre d’Avenir a pour ambition d’installer Sevran, et plus largement le territoire du nord-est francilien entre Aulnay-Clichy-Montfermeil, comme un des cœurs de la métropole du Grand-Paris. La situation géographique est intéressante puisque la ville se situe à proximité immédiate des grands pôles économiques de Roissy-Le Bourget et de Marne-la-Vallée. «Nous sommes proches de la dorsale Rhin/Rhône et au cœur du triangle d’or de l’est francilen», rappelait à ce sujet Stéphane Gatignon, le maire. «L’arrivée du GPE et la réinstallation des deux gares existantes se font le prétexte à la définition de trois pôles urbains autour de trois centralités existantes dans la ville», indique Finn Geipel.
Au sud, autour de la gare de Sevran-Livry, «le quartier du marché» sera redynamisé avec logements, commerces, équipements et locaux d’activités. Ce nouveau centre-ville doit mettre à l’honneur le canal de l’Ourcq, situé en contrebas et le parc des sœurs, un des poumons verts de la ville. Au nord, près de la gare de Sevran-Beaudottes, c’est tout le territoire aujourd’hui occupé par l’ironique Parking d’Intérêt Régional (PIR) et le mal nommé centre commercial BeauSevran qui sera intégralement repensé, sans en changer la destination du quartier qui restera commerciale et multifonctionnelle avec de l’immobilier d’entreprise et des logements. Enfin, à l’est, non loin de la plaine Montceleux, la part belle sera faite aux sports, notamment parce qu’à Sevran, selon le maire «le stade et le gymnase favorisent le lien social».
C’est trois grands pôles seront ensuite reliés par «un arc paysager qui s’appuiera sur un maximum d’éléments existants comme les six places qui agiront comme autant de rotules», explique l’urbaniste. Finalement, c’est moins d’un renouveau que d’un rééquilibrage dont va bénéficier la ville vue par l’architecte allemand.
Sur ce point, Jean-Marie Duthilleul semble bien d’accord qui va, pour les nouvelles gares, également s’appuyer sur celles existantes. «Il faut créer le mouvement», explique-t-il ; mouvement des trains en l’occurrence et mouvement social, il ne faut pas l’oublier. Là est en effet le cœur du projet : les nouvelles gares serviront à irriguer le territoire. L’architecte-ingénieur explique alors à son tour, et en bon pédagogue que chacun connaît, que «les gares devront se faire le lieu de la mise en scène des gens, afin de la pousser à se voir de nouveau (sic)». Si un escalator avait le pouvoir de faire lever le nez de son smartphone le banlieusard fatigué qui rentre du travail, ce serait déjà pas mal.
Mais les a-t-il seulement vus les quidams de Sevran ? Car quand il évoque «la gare des champs» pour Sevran-Livry et «la gare des villes» de Sevran-Beaudottes, le discours finit par perdre de son sens. Certes, il y a bien quelques maisons début XXe et deux ou trois arbres à la sortie de la gare des champs mais certainement pas de quoi en parler comme d’un lieu «pittoresque». La campagne est quand même un peu plus loin. Les usagers du canal ne sont par ailleurs pas les habitants de ces quartiers. Quant au PIR, il n’est pas «incroyable», sauf à considérer les quartiers qui l’entourent derrière le prisme un peu lointain de la bourgeoisie parisienne. Jean-Marie Duthilleul a-t-il un jour mis les pieds à BeauSevran ?
Peut-être que le problème se trouve en partie là justement. Pas un habitant «pittoresque» dans l’assemblée pour relever les gesticulations de l’ingénieur. Où se fera alors la rencontre entre l’élite et le riverain qui permettrait au projet de se nourrir de l’expérience vécue du territoire ? Est-elle seulement envisagée ? Même parée de bonne foi, la suffisance et le cynisme apparents dont il a fait preuve lors de cette conférence ainsi que le vocabulaire utilisé font se poser des questions parce que la ville qu’il a décrite lors de son ‘one man show’ est loin de la réalité de Sevran. Le projet qu’il relate se place d’ailleurs dans une optique métropolitaine bien éloignée des priorités et des besoins d’une ville socialement meurtrie au cœur d’une banlieue enclavée où l’urbain a été dévoyé.
Sevran terre d’avenir, entre les lendemains qui chantent des urbanistes et la réalité vécue par ses habitants, n’en a donc pas fini avec les malentendus.
Léa Muller