Il y a quelque temps, dans ces colonnes, je m’ouvrais de certains souvenirs de mon adolescence où, lors de voyages en Afrique, je dénonçais l’absence de trottoir dans les villes comme des indices de sous-développement qui heurtaient ma sensibilité de citadin gâté d’Europe occidentale.
SI j’y reviens aujourd’hui, c’est parce qu’on parle beaucoup en ce moment de la perméabilisation des sols (curieusement comme un facteur de développement relativement à l’infiltration encensée à présent), sous le feu médiatique du nouveau PLU de Paris qui fait, juste après Cannes, les honneurs de la presse d’actualité (pour ne pas dire « People »).
Des engagements distrayants du mieux-disant environnemental, des promesses récréatives de future ville verte, des records divertissants de végétalisation annoncés… Malgré l’opposition systématique des opposants systématiques et les surenchères systématiques de ceux dont c’est le fonds de commerce, on ne peut que se réjouir d’enfin prendre le taureau par les cornes, enfin par ce qu’il en reste…. Car depuis que les signaux les plus rouges résonnent de mille feux auprès des pouvoirs publics, on est encore dans le colmatage. Comment pourrait-il en être autrement ?
Un article du Monde a égayé mon week-end : la dette, une simple convention sociale… de Stéphane Foucart. Article à conseiller vivement à tous les légitimistes bon teint, contents d’eux et amoureux des 49.3, ceux pour qui notre flamboyant ministre de la chose environnementale tient lieu de boussole de la pensée écologique (un leader charismatique de l’écologie, une flèche de la pensée environnementale, toujours prêt à défendre le juste partage des eaux lors de sa raréfaction récente dans le Sud-Ouest, aussi soudaine qu’inattendue pour ses services en pointe de l’actualité environnementale).
Cet article dénonce le fait que la dette, simple convention sociale, est plus dangereuse que la détérioration irréversible des conditions de vie sur terre.
L’essentiel de cet article explique pourquoi tout est vain, puisque dans la tête des pouvoirs publics, il vaut mieux équilibrer les comptes que la planète, suite au rapport de Jean Pisani-Ferry qui osait (mais comment, pourquoi, tant de haine ?) suggérer l’établissement d’un petit impôt sur les grosses fortunes pour améliorer le financement des mesures de lutte contre la dévastation dont est victime notre pays, au sein de la communauté internationale entièrement menacée. En forme de tableau Excel, leur esprit étroit leur fait préférer la comptabilité à l’écologie.
L’humanité de la planète va disparaître mais autant s’éteindre, comptes purgés de toute dette.
La logique des pouvoirs publics est celle des tableaux Excel. Quoi de plus juste qu’une addition et l’éventuel paramétrage des résultats de celle-ci ? Du moment que cela marche dans les colonnes de ce divin logiciel, il n’y a plus qu’à décréter. Du moment que Standard & Poor’s approuve…
Il n‘y aura sans doute bientôt plus de place pour nous sur la planète mais les PNB seront étincelants,
En sus des tableaux Excel, il y a la bureaucratie qui les orchestre.
Ainsi l’extraordinaire demande de la Direction de la Propreté et de l’eau, service technique de l’eau et de l’assainissement de la Ville de Paris qui, par décret, exige à présent de faire une demande d’autorisation de rejet des eaux pluviales au réseau lors de toute demande de document d’urbanisme.
Partant d’une décision politique au plus haut niveau de la Mairie de faire quelque chose pour conjuguer planète et réélection, l’information que les pluviales sont un sujet important et porteur, la décision est prise d’intégrer une demande d’autorisation pour tout rejet d’eau pluviale dans les réseaux.
Celle-ci tiendrait alors naturellement compte d’une note de calcul par le pétitionnaire, incluant un tableau de bilan des abattements volumiques détaillés par surface de référence, avec le dimensionnement du ou des dispositifs de gestion pluviale retenus. Si, de plus, on comprend qu’il est prévu d’atteindre un abattement volumique minimal en 24 heures de la lame d’eau de : 4 (ou 8 ou 16 mm) sur 100% de la surface de référence (règle du seuil), on aura compris que les permis de construire à Paris sont hors d’atteinte de toute proposition n’émanant pas d’une compétence hydraulique d’assez haut niveau !
C’est donc le fascinant mouvement ascendant puis descendant d’une décision issue d’un tableau Excel.
Ascendant : la saisine des services d’une urgence de tout ce qui peut aller dans le sens d’une politique environnementale, nécessaire et utile aux échéances électorales : les pluviales dont tous les tableaux alertent sur le niveau critique des réseaux souterrains et l’engorgement des usines de retraitement,
Et descendant : on demande aux services de calculer les mesures compensatoires à mettre en œuvre et on charge des ingénieurs d’établir les contraintes à établir à la parcelle.
Le problème de ces Exceleurs de génie, est qu’ils sont sclérosés dans leur univers, les rendant incapables d’aller voir dans le bureau d’à côté si on ne peut pas, éventuellement, mutualiser les données pour résoudre ensemble un problème.
La preuve ?
Ces demandes incroyables des ingénieurs en charge des services municipaux qui veulent connaître jusqu’aux détails de nappes phréatiques par rapport aux débits de fuite relatifs à la surface de référence (compte tenu des abattements volumiques minimaux), ne pensent même pas confronter leurs idées d’infiltration obsessionnelle aux préoccupations du bureau d’à côté où on s’occupe de WC. Non, les choses sont ainsi stratifiées pour ne pas dire calcifiées dans les services peuplés d’Exceleurs qu’il vaut mieux infiltrer, aux dépens des caves qui n’ont pas été cuvelées pour cet usage que de faire en sorte que les pluviales soient utilisées pour les WC.
Un exemple ?
Prenons un immeuble de 10 logements T3. Le nombre des WC est de 10, occupé par 3 à 4 personnes chacun, allant aux toilettes 2 à 3 fois par jour, pour des toilettes utilisant de 6 à 9 litres à chaque fois le besoin annuel est de : 10 x 3.5 x 2.5 x 365.25 x 7.5 = 240 m3 d’eau (potable en plus). Comme, par ailleurs, la parcelle où est située cette construction fait 270 m², il y pleut environ 240 m3 de pluviales par an !
C’est curieux que personne à la ville n’ait fait le rapprochement mais, selon la logique bureaucratique qui nous gouverne, il est préférable d’échafauder des circonvolutions à base de calcul des abattements volumiques minimaux en 24 heures de la lame d’eau de : 4 (ou 8 ou 16 mm) sur 100% de la surface de référence (règle du seuil), que de dire que les toilettes utiliseront désormais les pluviales ou qu’une simple règle de trois permet d’optimiser le dimensionnement des cuves pour ne pas stocker un an de chasse d’eau.
Et qu’on n’agite pas le spectre du lobby de caniches rétifs à ce que les toilettes fonctionnent avec de l’eau non potable (il est véridique que l’opposition à ce principe soit venue, naguère, des associations de défense d’animaux domestiques à qui il arrive de laper dans les WC). Mais depuis l’arrêté du 21 août 2008 relatif à la récupération des eaux de pluie et à leur usage à l’intérieur et à l’extérieur des bâtiments, le lobby de caniches est désarmé sur ce sujet.
Donc, sera-t-il nécessaire d’ouvrir un bureau pour modéliser Excel le calcul des accélérations du transit intestinal les jours de forte pluie ?
François Scali
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