Ils viennent en juin 2020, un mois après la fin du premier confinement, le décompte quotidien des morts, la vie menacée, le danger absolu. Il n’y a pas encore de vaccin, personne n’imagine les prochains enfermements.
La chape de plomb qui pesait sur nos vies est tombée, c’est la joie, la liberté, l’innocence revenue. Ils viennent en nombre, en éclats de rire, ils n’ont pas envie de se séparer, tout le monde est soudé, toute l’équipe AND Studio, en famille, femmes, maris, enfants. Duccio Cardelli, en chef de sa tribu, a loué pour eux un appartement.
Ils vont construire une communauté, un vivre ensemble, une allégresse. Hommes, femmes, enfants. Dans l’histoire du projet Archisable pour la première fois l’humain sera dans le projet. Le Vivant. En cette période si particulière, ce n’est pas seulement émouvant. Ce n’est pas seulement magnifique.
C’est un signal.
Le Vivre Ensemble n’est cependant pas un concept nouveau dans l’étonnante trajectoire de Duccio Cardelli, italien diplômé de Florence, chef de projet pendant 14 ans chez 2Portzamparc, puis cofondateur de son agence, mais bien une ligne directrice et une profession de foi : AND Studio, « and, conjunction used to connect similar elements » (et, conjonction utilisée pour connecter des éléments similaires), est-il précisé sur la page de garde de son dernier livre.
Duccio, Ning, And… Ils sont donc trente-cinq de bonne volonté, entre Paris et Shanghai, les satellites en plus. Au sein de l’agence, la communauté est une philosophie et une pratique. La porte est ouverte, les bonnes volontés et les talents sont bienvenus.
Connecter ses origines et sa culture italiennes au monde sans rien trahir, voilà qui passionne le florentin à qui la Chine tend les bras en lui offrant la possibilité de l’immense, de territoires vierges où à repenser –réinventer l’échelle urbaine par le filtre de sa culture, de 500 à 10 000…
Je feuillette le livre de ses projets aux noms magiques – Yanqui Lake Eco Village, Qinhuangdao – une île artificielle – Zhao Bei Kou – ville nouvelle – sans oublier le Lhasa Thangka Museum, 8 700m² adossés à la montagne, jouxtant un nouveau village d’artistes, qui lui vaudra le grand prix de l’Afex 2023… Je vois bien la ligne récurrente à laquelle il ne déroge pas.
Des archipels urbains ceinturés, traversés de vert, du vert omniprésent, des parcs qui tantôt s’étalent en étendues immenses tantôt serpentent à travers le bâti, infusés d’étendues d’eau, qui font lien.
Imaginer le monde de demain comme il devrait être – en connectant, en intégrant les différentes communautés et les cultures, en améliorant la qualité de vie, l’accès aux savoirs et aux nouvelles technologies, dans le respect de la planète… Le propos est vertueux, comme il se doit aujourd’hui…
Sur le sable ils construisent deux cercles, éloignés de plusieurs mètres, de tailles très différentes, deux mandalas selon Duccio. En sanscrit, le mandala est bien un terme qui signifie cercle, sphère, environnement, communauté… nous sommes d’accord…
Dans le premier grand cercle s’inscrivent trois archipels urbains, des jeux de densité de cylindres ; au centre, l’agora, lieu d’échanges, plus dense et plus haut ; en périphérie, plus bas, plus clairsemé, l’habitat, lieux de l’intimité. Une ceinture qui pourrait être verte, une coulée d’eau que la marée montante viendra garnir.
Autour se lit, tracé dans le sable, un immense réseau de voies de communication, routières, informatiques, énergétiques… La ville est pourvue, alimentée – c’est la Smart city.
Face à la ville bâtie, à une dizaine de mètres, le second cercle est bien plus petit. Il est vide. C’est le cercle des humains, des bonnes volontés, le cercle des bâtisseurs qui écrivent la ville, là où s’enfermeront les maîtres d’œuvre devenus spectateurs. « Je voulais que nous soyons dedans » dit-il. « L’Architecture est pour l’Homme. Nous ne pouvons oublier l’Humain ».
La Ville bâtie donc, et le réseau savamment tracé, juste avant la montée des eaux, les bâtisseurs s’installent, femmes, hommes, enfants, tandis que d’autres, curieux amusés, les rejoignent, tous debout, immobiles, heureux, contemplent l’œuvre. Graves comme des prophètes. Moment de grâce. C’est l’instant de l’image.
« En encerclant dans ce second mandala les maîtres d’œuvre du premier mandala, nous avons voulu recueillir ce qui fait le sel de l’agence And Studio, sa philosophie et les personnes qui la composent », dit-il.
Il ajoute : « Le vertueux est une décision politique. Trop de réglementations, trop de coûts additionnels, trop de sous-métiers… Ne vous trompez pas ».
Tina Bloch
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