
Les masques, le COVID… déjà cinq ans. Autant de mots-clés encore imprimés dans nos mémoires. On nous avait dit : « C’est la guerre ». Chronique de l’architecte Jean-Pierre Heim.
Interdit, obligatoire, zone interdite. Autorisation. Interdiction de déplacement, interdiction de voyager, interdiction de circuler, interdiction de voir certains membres de sa famille. Interdiction, interdiction, interdiction… Ces mots ont marqué nos esprits.
Nous avons vécu des moments inoubliables — dans tous les sens du terme. Des épisodes qui ont fait ressurgir ce vocabulaire de l’enfermement : rester chez soi, blocus, télétravail, sorties limitées et contrôlées. Il fallait une autorisation pour sortir une heure, faire du sport, marcher ou faire des achats. Il fallait respecter les distances, garder ses distances.
Il y a eu les distributions de masques : certains de qualité supérieure, d’autres difficiles à obtenir, souvent réutilisables alors qu’ils devaient être jetables. Les masques, c’était tout un symbole. Une histoire en soi. Une histoire de Paris, une histoire de voyages, une histoire d’autorisations données au compte-goutte.
Ces mots-clés — masque, confinement, attestation, distanciation, quarantaine — se sont imprimés dans les années 2020 et 2021, marquant notre époque. Le COVID a été un désastre pour l’économie, un désastre pour les liens humains, provoquant dans de nombreux métiers des difficultés parfois insurmontables. Il a été dévastateur et restera gravé dans notre mémoire collective.
Alors, on s’échappait comme on pouvait, on contournait les règles, on inventait des moyens de substitution. Puis sont venus les vaccins. Un, deux, trois, jusqu’à cinq. Ont-ils été efficaces ? Les masques l’ont-ils été ? Peu importait — tout était obligatoire.
J’arrive en Chine le 11 janvier 2020. L’épidémie a débuté, il est question de confinement et de fermer l’aéroport de Shanghai, je quitte le pays le 18 janvier. Durant ce voyage retour, j’apprends que je ne pourrais plus revenir. Je laissais une activité en plein essor, cette absence forcée durera quatre ans.
Puis il y a eu Wuhan, les confinements — ou devrais-je dire les internements. Oui, internements. Huit semaines, parfois plus. Là, nos façons de penser, de travailler, de vivre ont profondément changé. C’était dur. En Chine, on se souvient des immeubles fermés, des manques de communication, des pénuries de nourriture, des distributions chaotiques. Shanghai a traversé des moments terribles.
Et les masques, made in China, sont devenus universels. Ils ont marqué l’histoire, dans toutes les cultures. Lorsque j’ai voyagé en Arabie, j’ai vu que, là, c’était habituel : les femmes portaient déjà des voiles et des masques traditionnels, propres à leur tribu. En période de COVID, ce sont aussi les hommes qui se sont masqués. Les keffiehs rouges, blancs, recouvraient les visages. Tout le monde était masqué. Hommes et femmes.


Je me souviens d’un voyage à New York, où j’ai imaginé la Statue de la Liberté elle-même portant un masque, dressée face à Manhattan, avec sa couronne d’épines et son flambeau — mais masquée, elle aussi. À Mykonos, je me suis souvenu du légendaire pélican, muet, le bec clos. Même lui semblait soumis à cette époque silencieuse.
Pendant cette période, j’ai aussi voyagé dans les déserts. J’ai redécouvert l’Égypte, ses monuments vides, sans touristes, comme dans les temps anciens. Nous marchions dans un sable vierge, où chaque pas laissait une empreinte neuve. Il n’y avait pas de gardes, pas de foule. Les sites étaient silencieux, livrés à eux-mêmes. Plus loin, en Nubie, au Soudan, j’étais le seul visiteur à contempler les pyramides de Méroé. Je les ai dessinées, ainsi que d’autres sites archéologiques.


Ces croquis ont immortalisé ce moment suspendu. Car même si les voyages étaient devenus presque impossibles — nécessitant des permis, des certificats, des vaccins — il était encore possible de s’échapper, parfois. Franchir les frontières était un exploit. Mais c’était aussi une façon de s’abandonner, de se fondre dans les paysages, de retrouver une forme de calme. J’ai dessiné sur place, lentement, patiemment. J’ai aussi peint, durant les confinements.
Après ces voyages, le COVID reste pour moi une période de refonte. De création. Et de profonde réflexion.
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art”
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