
Aujourd’hui tout aléa ou toute incertitude sont totalement inacceptables et il est devenu hors de question de rendre un concours autrement que sur APS+ (avant projet sommaire+) ou APD (avant-projet définitif). À quel prix ?
L’été s’achève et la rentrée risque d’être mouvementée. Les premières pistes du gouvernement, annoncées en juillet, pour tenter de commencer à réduire les dépenses publiques risquent de crisper le climat social et pour cause…
À ce sujet, il apparaît lors de nos échanges entre maîtres d’œuvre que des pistes mériteraient d’être explorées, notamment en revoyant la manière dont est passée la commande. En effet, ces derniers mois, nous ne comptons plus les opérations lancées puis abandonnées ; mal nées, mal réfléchies et ayant subi tellement d’atermoiements politico-administratifs, le temps qu’elles soient livrées, le besoin a changé, voire totalement disparu.
Dans ce cas, il est en effet préférable de ne pas faire, c’est évident ! Pour autant, il serait préférable de s’en rendre compte avant que le concours n’ait été jugé ! Surtout lorsque sont passées plusieurs années entre l’initiation du projet et le rendu du concours ! Normalement, plusieurs criblages du projet doit permettre de le stopper avant que de réels et lourds engagements financiers ne soient engagés.
Aujourd’hui, pour lancer le moindre projet de groupe scolaire ou d’équipement sportif, ce sont des AMO désignés et payés, des programmistes rémunérés, des études et diagnostiques qu’il faut engager pour répondre à l’ensemble des exigences environnementales et normatives et doivent être réglées. Cela signifie déjà quelques centaines de milliers d’euros dépensés avant même le premier trait d’architecte.
Qui plus est, comme aujourd’hui tout aléa ou toute incertitude sont totalement inacceptables, il est hors de question de faire un concours autrement que sur APS+ (avant projet sommaire+) ou APD (avant-projet définitif). Cela ne change rien, me direz-vous, sinon l’indemnité versée aux équipes, dans 90 % des cas inférieurs aux besoins réels des équipes pour faire ce qui est demandé, mais évidemment sans commune mesure avec une indemnité de concours sur esquisse.
Une esquisse de deux mois, avec 30 000 € d’indemnité, cela peut s’entendre, mais lorsqu’est exigé un niveau APD, le ticket se situe alors plus généralement entre 60 000 € et 150 000 €. Évidemment trop faible encore pour les équipes qui doivent fournir une somme de travail énorme, avec des notes de calculs et des notices environnementales poussées dans un temps évidemment trop court. Mais c’est surtout pour les pouvoir publics, 450 000 € jetés par la fenêtre pour indemniser les équipes perdantes là où un concours sur esquisse n’aurait coûté que 90 000 € d’indemnité aux perdants…
Certes, 360 000 € de delta entre un concours sur esquisse ou sur APD, vis-à-vis de 40 milliards à trouver, sans doute la somme ne semble pas à l’échelle du problème financier de la France. Mais il n’est question ici que d’une petite opération, un groupe scolaire ou un petit EHPAD ; lorsque des opérations à plusieurs dizaines voire centaines de millions d’euros de coût de travaux sont engagées, l’indemnité peut, elle, atteindre plusieurs millions d’euros et une seule de ces trois ou quatre primes versées servira réellement au projet…
Prenons pour exemples les derniers concours de lycée observés. Sur esquisse, l’indemnité était en moyenne de 200 000 € ; passé en concours sur APD, l’indemnité grimpe en moyenne à 500 000 €. À la fin, tout le monde est perdant, parce que de l’esquisse à APD pour 500 000 € sur un projet de l’ordre 50 M€, la maîtrise d’œuvre lauréate à un manque à gagner important tandis que pour la maîtrise d’ouvrage, qui doit payer les indemnités des équipes perdantes, cela revient à recevoir un APD pour 2 M€ ce qui est excessif… Sur esquisse, la maîtrise d’ouvrage aurait dépensé 800 000 €, indemnités comprises, et de l’ordre de 600 000 € de plus pour réaliser l’APS puis l’APD… soit finalement une économie de 600 000 € – qui pourraient réinjectés dans le projet – et tout le monde aurait été payé du juste prix de son travail.
L’ordre des architectes pourrait tenir un « gaspiton » qui recenserait les gabegies d’argent public dont chaque agence d’architecture et de maîtrise d’œuvre est témoin. Certes la chose est moins glamour que d’aller disserter autour d’un thé avec Madame la Ministre sur le prochain thème de la biennale de Venise, mais l’ordre ferait au moins œuvre d’utilité publique ! En effet, maintenant, comptez le nombre de groupes scolaires, d’EHPAD, de salles de sport qui sont réalisées chaque année ! Il est fort à parier que ce sont plusieurs centaines de millions d’euros dilapidés qui seraient ainsi mis à jour, un constat qui permettrait peut-être quelques changements de méthodes de la part des services de nos édiles.
Ces derniers temps, nous avons assisté à des changements de gouvernement, et peut-être encore dans les mois à venir. Situation classique : une agence est en concours pour un ministère, changement de priorité du nouveau locataire, le ministère abandonne l’opération. Primes versées à chaque impétrant plus les frais annexes et les salaires des fonctionnaires, au bas mot deux millions d’euros, le prix du changement de pied !
Nous avons même pu assister ces derniers mois à une opération initiée il y a dix ans, dont deux années de concours en conception-réalisation, être attribuée, notifiée, et abandonnée la semaine suivante ! Bilan du non-projet ? Entre 15 et 20 millions d’euros… le coût de construction d’un collège neuf !
Il ne s’agit pas pour moi de dire que les indemnités de concours devraient être revues à la baisse, évidemment non, elles ne couvrent déjà que très rarement les frais engagés par les équipes. Mais si l’on revenait à la base de ce qu’est un concours, à savoir une esquisse simple, 2 panneaux A0 avec une notice de 15 pages dans laquelle les groupements s’engagent à respecter l’ensemble des réglementations en vigueur et les objectifs souhaités par la maîtrise d’ouvrage en parallèle d’un engagement strict sur le coût d’objectif.
Il serait assez simple de dépenser moins d’argent public sans que personne ne soit pénalisé. Mais pour ce faire, il faut revoir les méthodes de la fonction publique et, surtout, lutter contre un autre travers de notre époque, l’angoisse de l’incertitude et de l’aléa…
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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