« Ce qui se trame – Histoires tissées entre l’Inde et la France » est une exposition présentée au Mobilier National qui explore les liens entre l’Inde et la France à travers le textile. Jusqu’au 5 janvier 2026.
Ce qui se trame est une rencontre. Hors norme. Devant nous se tient un objet extraordinaire. Et intrigant. Indien par naissance. Ni tout à fait robe, ni tout à fait sculpture, un peu sari pour la grâce de l’enroulement qui surgit de la taille et grimpe comme un feuillage qui serpente le long d’un corps qui n’existe pas vraiment. Un objet fantastique, onirique… et scientifique. Une synthèse.
Il nous emmène…
Tissé à Varanasi, l’ancienne Benares (1), l’une des villes les plus saintes de l’hindouisme, et les plus anciennement habitées. Deux mille temples dont le « temple d’or », dédié au dieu Shiva.
« The golden ascendant » est le nom de cet objet qui nous tient. Une soie unie, un or justement, mais délesté de ses codes habituels, ni mandalas, ni motifs floraux, ni broderies. Un or précieusement plissé, entre l’épure et le somptueux, entre la raideur d’un édifice et le fluide d’une rivière.
Imaginez un soir ardent, et l’objet déesse, sacralisé. Hiératique, dangereusement impossible, sublime, la robe lentement descend les ghat (2) jusqu’au fleuve.
Imaginez un ballet d’or, de chandeliers enflammés tenus à bout de bras par les prêtres qui dessinent des cercles. L’objet descend et rien ne bouge.
Imaginez les temples jalonnant le rivage, et Bénarès à fleur de Gange, fondée par le dieu Shiva lui-même après son mariage avec la déesse Parvati.
Concentrez de toutes vos forces votre regard sur la soie plissée comme des vagues verticales, comme des failles, des spirales et des tourbillons, une traîne comme une coulée liquide, un fleuve. C’est une déesse. Une sculpture. C’est une structure continue, sans couture apparente. Une topographie mouvante. Une architecture. N’oubliez rien.
Ma Yansong est né à Pékin. Après un Master d’architecture à Yale, une collaboration avec Zaha Hadid, il revient en Chine pour fonder son agence d’architecture. En 2004. MAD (3).
Fondamentalement chinois, MAD dessine le concept de la ville-montagne-eau (4), un paysage bâti qui reconnecte l’homme à la nature. Une architecture fluide, organique, une expérience sensible. MAD n’est pas fou comme le dit son nom mais il casse les codes en emmenant la poésie, l’organique et le rêve. Il nous suggère l’œil d’Alice (5), quand l’impossible se connecte au possible ; la distorsion comme stratégie. Et des architectures – silhouettes, ondulantes ou vrillées, pour remettre le corps au centre et ainsi repousser l’inhumanité…
MAD est aussi l’héritier direct version orientale de Frederick Kiesler (6), architecte utopique et conceptuel. La Endless House de Kiesler n’a pas été construite. Elle existe en modèle réduit, une maquette en fil de fer et béton. Une maison, sans début ni fin, un déroulement spatial, « un espace continu, ininterrompu, organique, qui épouse la vie humaine comme une membrane vivante », écrivait Kiesler. Aucune rupture entre sol, mur, plafond, circulation, pièce, fonction. Un sol qui se courbe et devient mur. Un nœud de Möbius.


Le Möbius renverse la pensée cartésienne. Kiesler aussi. Au Salon des Arts Décoratifs 1925, dont cette année est le centenaire, Kiesler présentait « City in Space » au pavillon autrichien, vision radicale de la ville moderne, à la fois maquette futuriste et dispositif scénographique.
Les Marilyn Towers (7) de MAD se tordent, s’incurvent, organiques, sculptées par le mouvement. La place du parc Chaoyang (8) démontre la possibilité d’effacer les frontières entre le naturel et l’artificiel.
Kiesler rejette l’architecture orthogonale et propose une topologie presque vivante.
MAD refuse la géométrie classique. Ses tours sont des flux. La forme se tourne sur elle-même. Endless.
En 2025, est née « L’ascension d’or », de Gaurav Gupta, couturier, à Bénarès, en Inde. Une robe sculpture, architecture, et cosmos, dont la forme se tourne sur elle-même et pose le doute…
Tina Bloch
Ce qui se trame – Histoires tissées entre l’Inde et la France
Jusqu’au 5 janvier 2026
Mobilier national et manufactures des Gobelins
42 avenue des Gobelins
75013 Paris
(1) Bénares est une ville de l’État de l’Uttar Pradesh, au nord de l’Inde.
(2) Le ghat est une succession de marches descendant au fleuve.
(3) Le nom MAD vient de la contraction Ma Design (Ma Yansong + design).
(4) Shanshui City – montagne-eau.
(5) Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll, une métaphore poétique sur le passage de l’enfance à l’âge adulte.
(6) Kiesler 1890-1965. Architecte, scénographe, et surtout théoricien. Son unique bâtiment construit est le Shrine of the Book à Jérusalem.
(7) Les Marilyn Towers » sont le surnom donné aux tours du complexe Absolute World, à Mississauga, dans la banlieue de Toronto, au Canada. MAD Architects.
(8) Place du parc Chaoyang, Pékin. Quartier d’affaires. 220000 m2. Dix bâtiments s’intègrent aux parcs dans une continuité végétale. 2017. MAD Architects.

