Fait très rare et insigne honneur pour des architectes étrangers, Romain Viault, à Paris, et Xavier Laumain, ont cette année été invités à participer aux Fallas de Valencia, en Espagne, une manifestation culturelle unique en son genre. Leur création, intitulée PostNatura, symbolise la fragilité de la Nature qui se consomme et se consume. L’arbre s’embrasera le 19 mars.
En attendant l’ouverture du local abritant le matériel de la falla, nous détachons les Y que la peinture a collés. Le rouge profond brille, tel une laque chinoise. Il évoque l’ardeur fragile du coquelicot, l’amour de la nature et la colère de l’avoir laissé dépérir, le sang du puissant taureau espagnol se déversant dans l’arène, les quatre bandes rouges du drapeau valencien qui, dit-on, sont les traces des doigts ensanglantés d’un seigneur valencien, laissées sur son bouclier jaune lors d’une bataille.
Afin de «prendre des forces» pour cette grande journée de montage, le beau-père de Xavier nous convie à l’almuerzo, un casse-croûte que les ouvriers prennent en milieu de matinée. Le tenancier nous sert saucisses, tortillas, calamars frits, fèves. De quoi tenir au corps, encore et encore… Et pour terminer, un carajillo : un café accompagné d’un alcool fort (à moins que ce soit de l’alcool fort accompagné d’un café).
Arrivé sur le site, nous terminons les racines en doublant les panneaux que nous collons avec des serre-joints, ici appelés gatos (chats), un outil pas bête au nom de bête. Comme la grue, le pied-de-biche, la patte de lapin, la dent-de-loup, …
Quelques passants nous apostrophent : «Quelle m***e ces fallas qui coupent la rue», «C’est laid, on dirait un portemanteau»… Certaines réactions sont vives mais nous nous attendions à pire car notre falla est expérimentale, c’est-à-dire interprétée comme non traditionnelle, non authentique, et de surcroît conçue par des étrangers
Nous disposons au sol, par ordre de taille, les éléments préfabriqués de forme Y. D’aucun y verront Abbey Road des Beatles.
Nous assemblons les plus petites branches au sol avant d’entamer le montage, et les montées en nacelle. L’arbre pousse, se ramifiant de façon dichotome et selon une suite géométrique élémentaire : 1 > 2 > 4 > 8 > 16… Certains badauds nous interpellent : Ce ne serait pas une fractal ?
En soulevant les grands Y de la taille d’un homme, nous avons l’impression de porter notre croix. De circonstance dans ce pays où la religion catholique est forte et où même les joueurs de football s’appellent Messi ! La crucifixion attendra mais les Y nous laissent des stigmates : certaines pièces sont très difficiles à assembler, peut-être dû au fort taux d’humidité.
L’arbre est à maturité. Les passants nous félicitent, ceux-là même qui pestaient le matin même. Des enfants s’émerveillent en visualisant la petite maquette à côté de la grande falla.
A demain!
Romain Viault, avec Xavier Laumain
PS : Pour l’occasion et durant toutes les festivités des Fallas de Valencia, Chroniques d‘architecture devient quotidien afin de tenir le journal de l’évènement, chronique relatée au jour le jour par Romain Viault. Jusqu’à la «crema» donc, retrouvez-nous ici tous les jours vers 18h.