Fait très rare et insigne honneur pour des architectes étrangers, Romain Viault, à Paris, et Xavier Laumain, à Valence, ont cette année été invités à participer aux Fallas de Valencia, en Espagne. Leur création, intitulée PostNatura, symbolisait la fragilité de la Nature. L’œuvre s’est embrasée le 19 mars. Le jour d’après.
La vie valencienne a repris son cours normal. Après plusieurs semaines de préparatifs et une semaine de fête intense, il n’y a plus que les illuminations dans les rues qui nous rappellent que les Fallas ont bien eu lieu, il y a quelques jours à peine.
Même après 15 ans passés ici, je m’étonne encore quand je me lève, le 20 mars au matin, de trouver les rues dégagées, les voitures circulant avec normalité, les tentes disparues, comme si de rien n’était ; alors que la veille au soir, à minuit, la ville foisonnait de vie : fallas au milieu des carrefours, falleros faisant la fête, rues coupées, pétards et feux d’artifice. Comme s’il ne s’agissait que d’un rêve, d’une illusion.
Cette année, après m’être vu plusieurs fois proposée cette possibilité, j’ai finalement accepté l’offre qui m’a été faite de créer une falla. Je l’ai ressenti comme l’opportunité d’une expérience unique de création, de participation à la fête la plus importante pour la ville de Valence. Les Fallas ont d’ailleurs été reconnues en novembre dernier comme Patrimoine Immatériel de l’Humanité par l’UNESCO. Et j’ai tout de suite proposé à Romain de m’accompagner dans cette aventure, qui ne pouvait se vivre qu’en la partageant.
L’œuvre que nous avions à imaginer n’était pas anodine. Il s’agit du monument d’une commission – la Falla Castielfabib – Marqués de Sant Joan- qui a désormais un parcours solide et reconnu dans le domaine des fallas expérimentales, ce qui nous donne une certaine liberté. Mais aussi une évidente pression, étant donné la répulsion qu’éprouvent de nombreux Valenciens face à ces sculptures novatrices dans leur langage formel, eux qui sont si attachés aux ‘ninots’, ces personnages souvent grotesques et caricaturaux, si faciles à appréhender.
Cette forme d’expression déstabilise, gêne, incommode, nécessite une réflexion, et nous savions dès le début que nous allions faire face à de vives critiques. Pour cette raison, et de façon plus ou moins consciente, nous avons décidé de créer un monument résolument moderne mais qui soit aussi figuratif et poétique, afin de permettre ce lien auquel se raccrocher, et ainsi accéder petit à petit au message, sans aller jusqu’à l’excès de la rupture et donc à la confrontation.
Pour moi, qui connais bien le contexte, proposer un monument qui soit un pont entre les différentes lignes – conservatrice ou innovante, fallero ou antifalla – est un challenge, que j’ai transmis très tôt à Romain.
Premières impressions…
Il est encore bien tôt pour voir la portée de cette falla. Le temps nous le dira. Mais nous pouvons cependant ressentir ce qu’a été cette semaine, les réactions des falleros et des passants, faire un bilan objectif de ce projet.
En premier lieu, nous ressentons une grande fierté. Nous sommes convaincus de la cohérence de notre travail, de la pertinence du résultat formel qui est à la fois en accord avec le discours et porte une critique profonde sur un sujet crucial.
Ce qui nous réjouit le plus cependant est la réaction du public, extrêmement positive. Le message a été largement compris et partagé, et le concept a été très apprécié. L’arbre industriel a conquis, et joué son rôle à la fois de prise de conscience et de main tendue vers des secteurs falleros traditionnels.
Notre formation – architectes – ou notre origine – Français – auraient habituellement été source de rejet, à tout le moins un argument négatif. Or, l’acceptation de cet arbre industriel et de son message a été telle que ces «handicaps» ont été perçus comme un gage d’ouverture, comme un apport. Je dois avouer que ce retournement m’a surpris autant que réjouit. Après mes expériences de 2015 et 2016, et les vives critiques – voire plus – reçues, je n’aurais même pas osé en rêver.
Les commentaires des passants, leurs félicitations, les longues discussions sur le fond du discours, la satisfaction des falleros, les prix, l’intense couverture médiatique… Tout n’a été que positif, constructif. Certes, nous avons connu des moments compliqués, lors de la construction ou de la mise en place mais ces complications techniques ont vite été effacées par le contact humain.
Les enfants jouant dans le sable, les gens s’émerveillant devant cet arbre entièrement construit avec des Y en bois, faisant des photos en posant fièrement devant notre œuvre, ou encore toutes ces personnes cherchant les animaux virtuels en voie de disparition (réalité augmentée de Manusamo & Bzika) sur leurs portables. Quel sentiment d’accomplissement!
Un élément très révélateur – et objectif – de l’intérêt suscité par Postnatura a été la couverture médiatique dont le projet a fait l’objet, avant et pendant la semaine des Fallas, du côté espagnol comme du côté français. Ainsi, des articles sont fréquemment parus dans les grands journaux locaux, nous avons participé à des programmes de radios, fait l’objet d’un documentaire, d’articles dans l’Yonne Républicaine, nous avons été suivis par des journalistes falleros, l’ambassade de France en Espagne, sans parler des séries d’articles de Shirley Savy Puig pour le Petit Journal de Valence, et de Chroniques d’architecture.
Toute cette couverture est absolument exceptionnelle pour une falla et nous a bien évidemment fait énormément plaisir.
Cette expérience nous a aussi et surtout permis de connaître des personnes formidables : membres de la falla, ressortissants français, représentants politiques, Shirley et sa famille, journalistes locaux… Une expérience qui restera inoubliable !
… et premières répercussions
Même si les conséquences réelles à long terme sont très hypothétiques – il faut raison garder – nous avons tout de même d’ores et déjà observé des conséquences immédiates à ce projet innovant.
En premier lieu, et avant même la fin des Fallas, la commission nous a en plusieurs occasions, fait part de son contentement quant à notre travail et au résultat, et nous a offert de poursuivre la collaboration l’année prochaine. Malgré une évidente envie d’accepter, notre situation ne nous permet pas de renouveler si rapidement l’expérience mais nous prenons date. D’autres cadres sont également envisagés, comme par exemple le Burning Man*. Lors de cette semaine de fallas nous avons eu des contacts avec des organisateurs de ce festival et commence à trotter dans notre tête une petite musique à Nevada.
Il s’agit aussi pour nous d’optimiser notre travail et pour cela les répercussions seront aussi d’un autre ordre, plus pragmatique. Le concept et le ‘produit’ feront l’objet d’un développement commercial, afin d’être mis en vente dans divers cadres. Ainsi, la maquette sera distribuée pour la décoration intérieure et l’arbre pourra animer de grands volumes dans des locaux d’entreprise, ou des stands de salons professionnels. Nous avons d’ailleurs déjà eu des offres concrètes de rachat des droits.
Nous voulons également présenter notre projet à divers prix internationaux, afin de lui donner de la visibilité, et que cet arbre industrialisé puisse contribuer à véhiculer le message qui nous est cher, concernant la protection de l’environnement.
Xavier Laumain, avec Romain Viault
PS : Durant toutes les festivités des Fallas de Valencia, Chroniques d‘architecture a relaté l’évènement au quotidien. Retrouvez ici tous les épisodes de cette aventure.
*Le festival Burning Man est une grande rencontre artistique qui se tient chaque année dans le désert de Black Rock au Nevada (USA). Elle a lieu la dernière semaine d’août. En 1986, à San Francisco, un dénommé Larry Harvey propose la crémation festive d’un mannequin géant sur la plage de Baker Beach. En 1990, l’événement est déplacé dans le Nevada pour permettre l’accueil, dans une sorte de ville temporaire en plein désert, d’installations (Art Camps) et de participants (Burners) de plus en plus nombreux. (Wiki)