Trémies et autres tunnels routiers parisiens semblent voués à demeurer des espaces indéterminés, sombres et malodorants hostiles aux piétons, aux vivants. Pourtant, à l’aube d’un Paris sans voiture, ne convient-il pas de s’interroger dès aujourd’hui quant à l’usage de ces dizaines d’hectares souterrains? Chronique de l’architecte François Scali.
Je me rappelle lorsque nous allions déjeuner chez ma grand-mère qui habitait entre Luzarches et Viarmes à 30 kilomètres de Paris, dans le Val-d’Oise, bien avant l’ouverture du périphérique, dans la 403 de mon père, nous empruntions les boulevards des maréchaux avec ses quelques tunnels qui apparaissaient bien glauques à mes yeux d’enfants. Au bruit épouvantable des pneus sur le mauvais goudron s’ajoutait la désespérance de l’éclairage jaune des néons vibrants, et c’est toute une mémoire d’épouvante dont on se loue de la disparition irrémédiable, non sans un certain bonheur !
J’emprunte encore quelquefois un des plus tristes souterrains encore en activité, sous la porte Champerret, un des pires. Mais la palme de la glauquitude revient à celui de la porte de la Chapelle qui mêle à son surréalisme urbain (du vrai Bilal), le sordide de son activité nocturne fait de prostitution et de gros semi-remorques.
Heureusement un certain nombre de ces monuments à la gloire de la gaîté automobile de l’avant-guerre sont ou seront recyclés,
Les dix-sept tunnels des boulevards des maréchaux seront égayés d’un nouvel usage collectif pour le tramway. Comme l’ensemble de ce dispositif de transport circulaire, les espaces qu’il génère seront relookés, et rééclairés avec des moyens que nos ingénieurs d’avant-guerre ignoraient ou feignaient d’ignorer tellement ils s’en foutaient. Il faut donc espérer qu’à plus ou moins long terme, ces dix-sept souterrains des boulevards des maréchaux, parmi les plus tristes tunnels de Paris ne seront bientôt plus qu’un (mauvais) souvenir.
D’autres souterrains dont la mutation est engagée sont les dix tunnels des anciennes voies sur berge dont malgré les soubresauts régionaux, le sort est scellé, ils vont vraisemblablement être affectés aux usages ludiques des voies sur berge. Interrogeons bien vite la ville pour savoir ce qu’on va bien pouvoir faire de ces souterrains débarrassés de leur usage d’outil de trafic. Des boîtes de nuit ? Des bowlings ?
Mais il en reste encore pas mal qui continueront de polluer l’espace urbain : quarante-huit tunnels sur le parcours du périphérique, ou plutôt dessous. Chacun sait l’épouvante que représentent ces no man’s land urbains sombres et malodorants dont on se demande ce qu’il faut faire pour les ramener à la vie. A part démonter le périphérique, ce qui n’est pas une mince affaire.
Il y a également vingt-et-un tunnels diffus dans Paris, et dont l’usage, lentement, inexorablement, va tomber en désuétude. Ces tunnels situés dans les 1er, 8ème 12ème et 15ème arrondissement représentent près de dix hectares de surface couverte qui s’ajoute aux tunnels évoqués ci-dessus.
Que faire, en général, des tunnels désaffectés, outils d’un millénaire ancien tombés en désuétude par la mutation de la mobilité et la lente disparition d’un dispositif de transport démodé ? Comment faut-il penser l’usage de ces dizaines d’hectares souterrains à l’aube d’un Paris sans voiture ? Faut-il faire appel à un mélange de technologie et de littérature ? Fresnel et Borges, mélange d’un «Labyrinthe» poétique et d’un laboratoire de recherche sur la lumière artificielle.
Puisse Réinventer Paris 2 intégrer cette perspective…
François Scali