Rem Koolhaas, Olivier Chaslin, Studio Milou, Inessa Hansch, Christian Hauvette / Pierre Champenois, Michel Desvigne… La 4ème biennale d’architecture et d’urbanisme de Caen est l’occasion de zoomer vers les aménagements urbains de la presqu’île, fer de lance du renouveau urbain de la ville. Autant d’équipements publics aux écritures marquées et indépendantes. Ballade architecturale.
Le Cargo – Olivier Chaslin architecte
Cette salle de musiques actuelles de 3500 m² a été inaugurée en 2007. Elle figure le premier équipement culturel à sortir de terre, à côté de bâtiments révélateurs du passé industriel et portuaire de la ville. Ce grand bâtiment ancre résolument le territoire dans une nouvelle dynamique urbaine, culturelle et architecturale.
Lieu de documentation et de diffusion, Le Cargö abrite deux salles de concert, un bar et un pôle de répétition et d’enregistrement. Premier jalon de la reconquête des berges, l’ouvrage crée une première polarité visuelle et urbaine, à l’arrière du Pavillon et à l’avant de l’ESAM.
L’Ecole supérieure des arts et médias (ESAM) – Studio Milou architecte
L’ESAM dialogue avec le Cargö, notamment parce qu’elle constitue le deuxième bâtiment érigé sur le site, qu’elle clôt en tournant le dos au centre-ville. Sa longue façade en bois et béton ainsi que ses hautes marches instaurent une rupture dans les échelles construites. C’est seulement de plus près, puis de l’intérieur, que ce paysage se révèle être une architecture complexe qui cadre et met en scène le contexte urbain alentour.
Cet établissement, malgré sa présence (trop) imposante dans le paysage urbain caennais, contribue à souligner les ambitions de la ville, dont la première université de Normandie date de 1432, au regard de l’enseignement supérieur à l’échelle nationale et européenne.
Le nouveau palais de justice pour Caen – Christian Hauvette / Pierre Champenois
A l’est de la presqu’île, accolé à la pelouse dessinée par Philippe Panerai, se dresse le nouveau palais de justice de Caen, inauguré en 2015. Le projet est à l’origine celui de l’agence Hauvette architectes, que la disparition subite de Christian Hauvette en 2011 a fait passer dans le giron des autrichiens Baumschlager Erbele. C’est néanmoins Pierre Champenois, collaborateur de l’architecte, qui termina le projet, livrant un bâtiment compact singularisé par une vaste salle des pas perdus en porte-à-faux ceinturant le palais et offrant un large panorama sur la ville.
La géométrie simple de cette salle des pas perdus joue sur les transparences afin de donner une image ouverte et sereine de la justice. Mais les salles d’audiences, pour la plupart sans fenêtre, n’ont vue ni sur le canal ni sur le paysage et sont dénuées de lumière naturelle.
La bibliothèque multimédia à vocation régionale (BMVR) – OMA / Rem Koolhass
Instaurant un dialogue coloré fortuit avec le Dôme inauguré en 2015 par l’agence Bruther, la future bibliothèque Alexis de Tocqueville campe, imposante, près du port de plaisance, à deux pas du Pavillon dédié à l’architecture de la ville. La pelouse attenante, ainsi que le palais de justice, en perturbent les perceptions. Finalement, la bibliothèque en forme de croix de saint André, pourtant gigantesque, ne semble pas aussi impressionnante. Le bâtiment est en lien direct avec le canal au nord, une nouvelle place publique ouverte sur le bassin Saint-Pierre à l’ouest. La question se pose encore d’un accès – passerelle ou bac – plus direct du centre-ville à la bibliothèque tant contourner le bassin représente une distance pour les personnes à mobilité réduite.
Selon Clément Blanchet, l’architecte du projet chez OMA, «cette bibliothèque est un symbole de la pensée latérale du 21e siècle. Sa forme est basée sur une action presque primitive : deux lignes qui se croisent, générant une centralité qui regroupe quatre polarités. Il s’agit d’une agora d’idées, un lieu qui pourrait renforcer le rôle des livres dans un monde de plus en plus numérisé.»*
Les aménagements urbains – Inessa Hansch architecte
«Considérer cette portion de ville comme une entièreté afin de redonner l’expérience de la grande échelle et la conscience du parcours de l’eau constitue l’intention première du projet. Trois natures d’espaces ont alors été définies dans les profondeurs de la presqu’île : un quai abordé comme un cadre dans le prolongement des rives connexes et appartenant au système urbain existant, un très large chemin, planté et multidirectionnel contenant les bâtiments et, en cœur de site, une vaste pelouse telle une grande ouverture horizontale en lien avec la vieille ville. Ces trois séquences déterminent les trois lignes de forces du diagramme du projet ainsi que les conditions de son aménagement»,** explique Inessa Hansch dans l’ouvrage publié à l’occasion de la biennale. Ses interventions, bien moins grandiloquentes, révèlent un projet subtil autour du travail de l’eau, du dialogue d’échelle, de l’horizontalité, d’un vaste site aménagé pour des piétons.
L’architecte belge propose ainsi des aménagements urbains sobres et efficaces, qui invitent à la flânerie et rendent hommage à l’eau, élément principal du site. Cinq balustrades, appelées estacades, sont en surplomb du canal et invitent à la méditation. Les bancs sur la promenade ou sur la pelouse, tout à fait originaux, jouent avec les échelles des deux grands bâtiments en vis-à-vis. Le club de canoë-kayak, une trame élégante de fins poteaux en acier galvanisé d’une structure en préau, souligne l’horizontalité du site.
Le paysage – Michel Desvigne
Dessinée par Philippe Panerai pour un précédent projet sur le site, l’immense pelouse triangulaire, sorte de réponse contemporaine à l’immense prairie de l’hippodrome, délimite les parcelles de la bibliothèque Alexis de Tocqueville et du palais de justice, en même temps qu’elle ouvre la vue vers l’Abbaye aux dames. Le vide est un luxe dans les villes aujourd’hui densifiées. Ici, il permet au paysagiste de brouiller davantage les échelles des constructions alentours car il faut, selon lui, «refuser la banalisation des échelles ; les contrastes d’échelles sont importants et il ne faut pas casser leur beauté et leur contraste».***
Le paysagiste souhaitait la plus pure des horizontalités afin de créer l’abstraction car «c’est l’abstraction qui crée le paysage», dit-il.
Ce qui n’était pas abstrait étaient les contraintes du site, pollué et inondable. Qui plus est, la grande pelouse à vocation à accueillir ponctuellement des évènements. A terme, celle-ci devrait également accueillir le dispositif de bancs en cercle imaginé par Inessa Hansch.
Pour Michel Desvigne, le sol ne doit pas devenir un objet décoratif et, telles qu’on les découvre aujourd’hui, ses paysages sont en réalité éphémères et sauront s’adapter aux futurs projets encore non définis qui viendront s’inscrire dans le site.
Léa Muller
*https://www.actualitte.com/article/monde-edition/marquee-d-un-x-la-future-bibliotheque-de-caen-par-rem-koolhaas/43132
** (Re) construire la ville sur mesure, dir. Frederic Lenne, éditions de la Découverte, Paris, 2016, p.56.
*** Intervention de Michel Desvigne le 23 septembre 2016 à l’ESAM dans le cadre de conférence d’ouverture de la 4e biennale d’architecture et d’urbanisme de Caen.