Pour cette dernière reconnaissance, le suiveur se lance sur l’étape 8 longue de 176 km entre Semur-en-Auxois (Côte-d’Or) et Colombey-les-Deux-Eglises (Haute-Marne). Une étape pour puncheurs et baroudeurs qui mettront à profit leur préparation hivernale pour régaler la galerie avant d’arriver chez le Général et Tante Yvonne. Le Tour est passé en 1960 pour la première fois dans cette ville mythique, les coureurs avaient alors eu le plaisir d’apercevoir la silhouette de Charles de Gaulle venu les saluer le long de la route.
À quelques encablures du départ à Venarey-les-Laumes, en Bourgogne, de découvrir un projet complexe niché dans un bâtiment singulier réalisé par Dominique Coulon et livré en 2015. Ce programme dense et hétéroclite – Centre d’art et de congrès, Pôle Intergénérationnel et Office de Tourisme, rien que ça – est installé le long d’une ligne de chemin de fer.
L’ouvrage propose, comme souvent chez Dominique Coulon, un volume en torsion qui rassemble au sein d’une enveloppe ciselée et pliée l’ensemble des constituantes. Le projet prend le parti de l’unicité pour harmoniser l’ensemble au travers de deux séquences de volumes, les premiers au sol légèrement fragmentés, le second à l’étage flottant dans le ciel. Lequel, pour retrouver des sols perdus par l’emprise du programme, accueille une crèche suspendue et un programme de plain-pied organisé autour de vastes espaces extérieurs protégés et colorés. « Une cour jaune vif s’inscrit dans le prolongement des espaces de la crèche. Il s’agissait de protéger ces lieux exposés aux fortes nuisances des trains de marchandises et du TGV qui passent », précise l’architecte.
Cet assemblage bicorps, à la fois massif et aérien, unitaire et fragmenté, sombre et coloré, mat et brillant, installe une complexité de langage fort à propos. Le travail de Dominique Coulon explore à chaque projet ces multiples composantes, renonçant rarement à la multiplicité et à la complexité. Il y a une forme d’anachronisme dans cette approche, qui s’amplifie avec le temps, inscrite dans une époque marquée par le gris, le chanvre, le bois abouté, la tôle galvanisée, le béton à la facture prosaïque. L’architecte, d’une certaine façon, dénote dans le paysage de l’excellence française. Il y a un plaisir non feint et partagé à fabriquer des espaces généreux. La simple lecture d’une revue d’architecture française est réveillée par la découverte de l’un de ses projets quand on pensait après moult pages que l’impression en niveau de gris finirait par nous achever.
L’animation du volume haut prismatique se fait par des facettes qui jouent de la lumière rasante et proposent une image changeante du bâtiment dans la journée. Elles sont percées de triangles parsemés de façon apparemment aléatoire comme l’explique le concepteur : « La peau opaque, légèrement percée, est décomposée en autant de triangles, parfois mats, parfois brillants, qui déstructurent les volumes de base », dit-il.
Le socle, relié à la place, se fragmente et offre soit des pleins, soit des vides, soit des vues intériorisées soit des cadrages. Couvert judicieusement par le niveau haut il gère efficacement ses accès et ses cadrages. « Les transparences du rez-de-chaussée sont organisées pour que le rapport aux voies ferrées soit constant et pris comme un événement dynamique », détaille le concepteur qui met scène ce paysage urbain singulier.
La composition du rez-de-chaussée articule l’ensemble des programmes du projet à l’exception de la crèche nichée à l’étage.. Comme souvent, le plan et la coupe chez Dominique Coulon procèdent d’une imbrication malicieuse et savante. Les puristes actuels de la trame et de la géométrie à deux variables, zéro ou quatre-vingt-dix degrés, doivent tourner de l’œil à la vue du travail spatial en interrogeant avec circonspection leur table à dessin pour se figurer que cette espèce de demi-cercle gradué permet de faire tourner l’équerre. Tel Jim Carrey qui ouvre la porte dans le ciel peint du décor du Truman Show, ils découvrent qu’un autre monde est possible.
Cette complexité formelle apparente est au service d’une composition permanente en volume et en interconnexion. Les grands volumes en double hauteur de la salle des congrès disparaissent dans la composition et interagissent avec le volume haut de la crèche, des vues obliques en contre-plongée donnant à voir la couleur de ses patios dans les espaces dédiés au public. Le travail d’articulation n’a pas pour objet que le visiteur savant s’extasie devant le respect d’une trame mais bien que tout un chacun découvre des espaces sensibles. « Proposer aux enfants des lieux ludiques, qui soient attachants, où la lumière les sollicite », résume Dominique Coulon.
L’architecte a la parole rare et ne semble pas dévolu à être en tournée de conférences permanente. Les explications sont ramassées, savantes, modestes et oniriques. Pas besoin de quinze minutes pour expliquer que cette tôle du catalogue Arcelor n’est pas un bardage mais une vêture. Il faut le voir raconter le béton « dripping » du conservatoire de Belfort. « Le béton, il est là, mais en même temps il y a cette étrangeté qui est donnée par la texture » dit-il simplement, sans emphase, avec le calme de celui qui avec son équipe a pris le temps d’embrasser l’ensemble des contraintes pour construire la promesse donnée.
Son projet de Venarey-les-Laumes, comme tous les autres, se démarque par la précision de la mise en œuvre qui au premier abord forme un ensemble précis et ambitieux et qui, en seconde lecture, démontre un usage millimétré des ressources financières. Les effets générant les ambiances sont bien souvent faits de peu de moyens en regard de l’ambiance produite. Une rupture de matérialité de sol, des géométries lisibles dont on perçoit l’excellence du dessin d’exécution puisque tout finit toujours par arriver au bon endroit, des teintes qui s’harmonisent etc. Tout cela sans grands moyens finalement, juste du dessin et de la précaution mais la maîtrise est partout, réjouissante.
Les reconnaissances de cette année, avant le grand départ le 29 juin, se terminent donc ici par ce projet singulier et représentatif du travail de cet architecte bien modeste finalement au vu de l’étendue de ses réalisations en regard de sa présence médiatique. Un Thibault Pinod de l’architecture française, généreux et sans effet de manche.
Sur la route de Colombey-Les-Deux-Eglises, le suiveur s’interroge sur ce parcours singulier qui allie complexité et maîtrise, qualités anachroniques avec l’époque. Dominique Coulon ne résume pas le détail à la gestion de son absence comme bien souvent désormais. Il a le goût du dessin, le détail n’est pas la gestion d’une interface, il ne se voit pas, ne se montre pas en tant que tel, il est une partie d’une somme importante, chacun d’eux participant à la stratégie globale. C’est de l’architecture faite comme le Général aimait la gastronomie : « des plats francs du collier où l’on voie ce que l’on mange », disait le grand homme.
Chez Dominique Coulon on voit ce que l’on ressent sans besoin d’une conférence de deux heures pour appréhender on ne sait quelle approche féconde, durable et frugale. Dominique Coulon démontre son propos par le réel, non l’inverse, installant très certainement son architecture bien plus dans la cité que ne le ferait n’importe quel académisme bon teint.
Pour célébrer ce périple, une belle bouteille de champagne de la maison Drappier est ouverte en hommage au Général qui regardait ces vignes depuis sa demeure et à la santé de Dominique Coulon pour le plaisir qu’il transmet dans le réel qu’il construit.
Guillaume Girod (en reconnaissance)
* Le Tour de France 2024 s’élancera de Florence en Italie le samedi 29 juin pour une arrivée à Nice le dimanche 21 juillet. Comme les équipes de coureurs reconnaissent les étapes en amont, les suiveurs du Tour de France contemporain de Chroniques d’architecture, pour leur septième participation, en font désormais autant.
Pour les suiveurs, retrouver :
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2024
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2023
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2023
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2021.
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France contemporain 2018