
Il y a presque un siècle le monde allait tenter de surnager dans les remous pré et post crise de 1929 (quasi un feu de paille comparé à l’empilement de celles actuelles : géopolitiques, militaires, technologiques, commerciales, écologiques, climatiques, médiatiques, scolaires et … sanitaires ces dernières pour ce qui est de notre feuilleton en cours ici*).
Evoquons donc brièvement nos « gloires de la patrie » (sic, leur devise) nommément nos polytechniciens, pour l’analyse de nos difficultés actuelles pour tenter de changer d’ère et d’erre (2024 ressemble à un très gros navire difficile à faire changer de cap).
Nos ingénieurs, tous corps d’Etat confondus ont un don exceptionnel pour nos bonheurs territoriaux : leur objectivité ne peut qu’innerver au mieux tous les bons et grands esprits avides de « Buon Govierno » (Buon, c’est à dire en « bien » évidemment, sans les machiavélisme actuels qui feraient se retourner dans sa tombe l’auteur inspirateur de la fresque éponyme du palais siennois siège de pouvoirs locaux, eux au contraire souvent quérulents en ces temps alors très incertains eux aussi).
Foin de petits tripatouillages micropolitiques surtout claniques et intéressés. Foin de dérapages incontrôlés par orgueil de roitelets de basse-cours. Foin de naïvetés. Foin d’incompétences nourries par différents lobbies avides, et j’en passe.
Au filet, nous aurons un petit noyau de ces polytechniciens, entre 1925 et 1942, acmé de leur accession aux postes ministériels sous Vichy comme technocrates à poigne, création de la plupart de nos « ordres » actuels – architectes comme pharmaciens – et surtout de nos grands ministères techniques maîtres d’ouvrage – Equipement / la fameuse DGEN Délégation Générale à l’équipement National – Logement, Urbanisme, Reconstruction (oblige), Santé ensuite car Sécurité sociale pour tous après 1945, etc.
X-Crise sera le nom de cette cellule d’influence devenue boule de neige à tout faire de l’Etat failli.
Ce qui est remarquable et tout à leur honneur alors, presque du pré-Macron d’évidence comme la prose de l’ami Molière, ce sera leur « pré-science » (le premier terme de leur devise citée plus haut, chahuté par un pré hélas tellement difficilement divinatoire pour régenter notre humanité si souvent en dérapage face à la « Raison pure » des chiffres), pré-science fortifiée par une colossale volonté (leur amour effréné du pouvoir technique absolu, de l’énergie aux mobilités, des territoires aux expertises à venir). Il s’agissait d’allier vertueusement planification soviétique (alors en débat – pauvre Bayrou d’aujourd’hui sur sa chaloupe méprisée) et ultra-libéralisme américain.
Face à eux, centralisation oblige, les élus locaux, sauf exceptions (Herriot à Lyon, Marquet à Bordeaux, fauves politiques de la longévité), ne pourrons qu’acquiescer. Nous touchons là à l’essence des grandes programmations judicieusement saupoudrées sur tout le territoire, mues par un universalisme de bon aloi capable de niveler les trop fortes ambitions locales. Seule compte une échelle hiérarchique quasi militaire. Les villes phares devenues métropoles d’équilibre (rien ne dépasse de l’organigramme), et elles seules, concentreront les grands équipements gaulliens saupoudrés parcimonieusement au cours des années soixante. Qu’on se le dise. Point.
Universités de province, aéroports (les CCI mixtes pouvoirs publics et privés acquiescent), futures gares TGV, grands musées antennes du Louvre, Maisons de la Culture (attention aux majuscules, Malraux est là pour la grandeur du Général et de l’Etat) et CHU (Centre Hospitaliers Universitaires) pour notre chronique, ne toléreront que peu d’exceptions.
Nous aurons donc au début 22 CHU faitiers de toute la hiérarchie hospitalière publique, concentrés des enseignements, des grands services médicaux de pointe, de la recherche.
Ce seront d’énormes vaisseaux verticalisés pour mieux assoir leur domination scientifique et administrative absolue, généralement en lisière des principales capitales régionales d’alors.
Mais, depuis peu, l’Etat veut absolument ré-innerver toute la France des « territoires », soit oubliés, soit simplement autres, des petites villes aux campagnes, des déserts médicaux aux zones commerciales périphériques creusets partiels des urbanités de demain.
Un changement d’échelle doit donc s’imposer au travers d’autre hiérarchies et d’autres tailles de programmations.
De la même manière que des milliers d’associations dans le réseau des micros maisons des jeunes et de la culture (attention nous tenons cette fois nos minuscules) réclament dorénavant auprès de la nouvelle ministre de la Culture une reconnaissance identitaire par trop bafouée par tous ces prédécesseurs de droite comme de gauche (caviar ?), nos hôpitaux de demain, foin de strictes obédiences hiérarchiques, tels des petits collèges universitaires américains de médecine, ne pourront que fonctionner en réseau non centrés de centres de santé de différentes échelles complémentaires localement plus ou moins autonomes.
Deuxième volet donc, les interactions complexes d’échelles vont croiser les économies privées publiques. Et là, les jeunes architectes, tels les médecins maoïstes aux pieds nus, pourront s’ils s’implantent localement (les 9/10ème des X voire plus restent Parisiens) devenir les co-auteurs programmateurs associés de ces nouveaux petits maillages.
Contrairement à des fonctionnaires d’Etat (y compris ceux qui pantouflent dans le privé) leur statut pourrait entrouvrir pour demain la fenêtre d’experts mixtes entre professions libérales indépendantes et contractuels publics à temps partiel. Les Grisons suisses, le Voralberg autrichien pratiquent depuis des décennies cette immersion micro locale des praticiens, souvent menée au début par des charpentiers (Peter Zumthor, Pritzker Price, en tête).
Nous développerons donc le mois prochain différents scénarios locaux d’équipements molaires (Deleuze-Guattari dixit), donc en réseaux riches de nouvelles productivités, contrairement à de simples égoïsmes locaux atomisés.
Jean-Philippe Pargade, architecte fondateur de Pargade Architectes
Bruno Vayssière, professeur d’architecture et d’urbanisme
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