Au diable la loi MOP ! Le concours d’architecture, dont l’USH est désormais totalement dispensé, n’est pas le seul enjeu de la loi ELAN. En effet, le regroupement des organismes d’HLM et le recours désormais banalisé à la conception-réalisation, prévus dans le texte, annoncent l’arrivée de nouveaux acteurs puissants d’un marché paradoxalement plus cadenassé que jamais. Explications.
Le mercredi 7 mars 2018, le Conseil des ministres a révélé l’arbitrage du gouvernement en faveur de l’Union sociale pour l’habitat (USH), et la prorogation, au moins pour trois ans, de la dérogation exemptant de concours les organismes HLM. Ce dont se félicitait déjà, dès le 6 mars lors d’une conférence de presse, Frédéric Paul, délégué général de l’USH, qui se disait «ravi que les organismes ne soient plus obligés de recourir au concours d’architecture».* Il est vrai qu’ils n’en sont ‘dispensés’ que depuis 2011.** Défaite ?
La même semaine, le vendredi 9, Nicole Belloudet, garde des Sceaux, annonçait sur France Info, au moins pour la construction des prisons et des tribunaux, l’«abandon» des Partenariats-Public-Privé (PPP), jugés «trop onéreux». Victoire ?
Il aura quand même fallu 17 ans pour qu’un gouvernement prenne acte de l’inanité d’un système dénoncé avec véhémence dès le début, en 2002, par quelques serviteurs de l’Etat, dont Roland Peylet, un conseiller d’Etat auteur en 2003 d’un rapport pour le moins circonspect quant au modèle britannique de PFI, aujourd’hui un désastre dans le royaume, cité alors en exemple par les tenants français du PPP. Deux ministres, Jean-Jacques Aillagon, à la Culture, et Gilles de Robien, à l’Equipement, pourtant de droite, se sont même en 2003 désolidarisés du gouvernement à ce sujet, un fait rarissime. Les deux y laissèrent leur chemise politique. Ce qui leur apprendra à soutenir les architectes.
Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy, surtout, le «frère» de Martin Bouygues, furent les plus enthousiastes dans la dépense. Le TGI de Paris, s’ajoutant au Balardgone et autres prisons et écoles, fut la brouette de béton qui a fait exploser le coffrage. Christiane Taubira, ministre de la Justice sous la présidence de François Hollande, a bien tenté de se dépêtrer du bâton merdeux… Comme si les conseillers d’Etat pouvaient l’emporter face aux scuds juridiques planqués par les grands groupes dans les petits caractères…
La Cour des Comptes, après de longs atermoiements, a fini quand même, au bout de 17 ans, par siffler la fin de la récré, indiquant dans son rapport de décembre 2017 consacré à ce sujet*** qu’il convient tout simplement «de renoncer à l’avenir aux PPP pour l’immobilier de la justice». Un abandon pur et simple pour solde de tout compte ! Comme quoi, ces PPP, c’était vraiment une trouvaille !
Il est donc revenu à Nicole Belloubet de reconnaître l’évidence. Pourquoi elle ? Parce qu’entretemps, disons entre 2006 et 2014, en moins de dix ans donc, «guidé par des considérations budgétaires de court terme», dixit la Cour, le budget de la justice a été siphonné par les groupes privés. Le seul TGI, ce sont 86 M€ par mois jusqu’en 2044, soit un coût global de 2,3 Md€. 2,3 Md€ ! Pour un seul TGI ! Chapeau les artistes ! Le ministère de la Défense en PPP ? Au moins 3,5Md€, au bas mot. Ca c’est de la rentabilité coco !
Il est vrai que les banques qui ont avancé l’investissement peuvent s’appuyer sans crainte sur la signature de l’Etat, les contribuables paieront quoi qu’il en soit. Il est vrai aussi que les banques et les Majors n’aiment rien moins que l’incertitude. En attendant, les tribunaux ordinaires croulent sous le poids de la vétusté, du manque de moyen et la déréliction de la justice en France. Heureusement que gouverner c’est prévoir.
Le président Emmanuel Macron, qui s’était engagé à construire 15 000 nouvelles places de prisons, qui sont devenues 7 000 «durant le quinquennat», ne s’en trouve pas moins fort dépourvu. A moins que…
Dans son rapport, la Cour des Comptes met en exergue le coût et la complexité moindres de la conception-réalisation. Bingo ! Car si la garde des Sceaux n’en a pas parlé directement lors de son intervention radiophonique, Le Moniteur se voyait confirmer le jour même par son ministère que la conception-réalisation serait désormais privilégiée pour remplacer les PPP défaillants, dans la construction de prisons notamment.**** Décidément, les dérogations à la loi MOP, ce n’est pas ce qui manque.
Il demeure que, pour les architectes, PPP ou conception-réalisation, c’est presque du pareil au même : c’est l’entreprise qui est mandataire et ce n’est plus l’architecte qui, avec le maître d’ouvrage, choisit l’entreprise. Le rapport de force ainsi inversé, quel que soit son mode de désignation, il est alors attendu de l’architecte une prestation. Et l’homme de l’art qui se voyait exécuter une mission d’intérêt général de se voir réduit à effectuer une tâche constructive. Dit autrement, les architectes obéissants pourront travailler et s’estimer heureux.
Heureusement, «comme le PPP, le recours à la conception-réalisation garantit le respect des délais du projet», assure comme au bon vieux temps des PPP Max Roche, le président d’EGF.BTP et directeur général adjoint du groupe Eiffage, cité par Le Moniteur dès le 9 mars. C’est dire si la révolution est en marche !
Ce qui nous ramène au logement et à la réforme Macron des organismes HLM. En plus de l’«abandon» du concours – comme si l’architecture était la source de tous les maux… -, le président de la République préconise en effet un regroupement des organismes, et, à en croire L’USH, la prochaine discussion parlementaire aura trait plutôt sur les modalités de ces regroupements que sur la question de savoir s’ils sont nécessaires, utiles, rentables ou finalement diaboliquement onéreux, financièrement et socialement.
L’idée générale du gouvernement, telle que la comprend Marianne Louis, secrétaire générale de l’USH, est la suivante : [la loi Elan] «privilégie la circulation financière dans une logique verticale et non pas territoriale dans la mesure où la question du regroupement est uniquement abordée sous l’angle des capitaux, des flux de financement et de trésorerie». Traduction : le concept ‘d’organisme’ va faire place à celui de ‘groupe’, comme on dit au CAC 40. Pyramidal le groupe, évidemment !
«Le raisonnement qui sous-tend la volonté de regrouper les organismes repose sur l’idée qu’on gagnera en efficacité si on applique les formules d’intégration capitalistique aux organismes HLM», souligne Frédéric Paul, le délégué général de l’USH. Comme pour les PPP des prisons et des hôpitaux par exemple ?
Toujours est-il que ces futurs groupes HLM, financés par l’argent public (à l’instar d’ailleurs d’autres groupes du CAC 40 soit dit en passant), n’auront donc bientôt plus besoin de concours d’architecture du tout et vont pouvoir à leur tour et à leur aise laisser libre cours à l’imagination des conceptions-réalisations.
Il est par ailleurs permis d’imaginer que les patrons de ces futurs hyper groupes de bailleurs sociaux, verront leurs salaires évoluer pour se rapprocher de ceux de leurs homologues du CAC 40 et de la promotion privée. C’est bien le moins pour les futurs ‘leaders’ de ces entreprises de logement social et l’USH pouvait bien en contrepartie avaler la facture de la baisse des loyers inscrite dans la loi de finance 2018.
Ces nouveaux ‘regroupements’ vont donc s’organiser et sans doute relever le défi de la construction massive et rationnelle de logements sociaux. Frédéric Paul d’ailleurs de souligner lors de sa présentation à la presse sa défiance vis-à-vis des collectivités locales, trop axées selon lui sur leurs «égoïsmes locaux». Car c’est bien d’un défi national qu’il s’agit : construire moult logements vite et pas cher. Comme avec les PPP par exemple ? Ce sont en tous cas les mêmes arguments.
Il est en effet sans doute grand temps de standardiser tout ce bazar. Une piste : l’industrialisation du logement comme en Chine. On dit merci qui ? Si ça se trouve, s’il n’y prend pas garde, Emmanuel Macron va réussir en France en guise de logement social ce que les communistes ont réussi chez eux en Russie. Comme quoi, le président peut être «en même temps» de gauche.
En tout cas, maintenant que cette étape est passée, les bailleurs sociaux vont pouvoir mettre la gomme et passer à la vitesse supérieure. Qui sait, Emmanuel Macron sera peut-être le président des Dix Glorieuses ? D’ailleurs, à ce rythme, dans dix ans, faudra-t-il encore vraiment un architecte pour les permis de construire ?
Il est d’ailleurs significatif que les Majors recrutent de plus en plus de double-cursus ingénieur-archi. Ainsi, quand elles modifient les projets, elles peuvent expliquer aux élus que c’est un architecte lui-même qui a suggéré les modifications. «Vous toussez ? J’ai un très bon médecin Monsieur le Maire !».
Que retenir alors de la déclaration de Nicole Belloudet sur l’«abandon» des PPP ? Au mieux qu’il s’agit d’un aveu d’impuissance dont, d’évidence, au moment où elle parle, tout le monde au gouvernement se fiche comme de l’An quarante. Alors, la grande réforme de la Justice, ce sera avec des clopinettes, au moins jusqu’en 2044 !
Les hommes d’un président issu de la banque sont logiquement eux-mêmes issus de la finance, c’est bien naturel. Va donc pour des super bailleurs sociaux qui s’entendront comme cochons avec les Majors de la construction autour de la «circulation verticale des capitaux» pour relever l’immense défi présidentiel de la crise du logement. Dans moins de dix ans ils pourront vendre leur expertise en Syrie. Quant aux délits d’initiés, aucun risque, les Majors du bâtiment français ne sont-elles pas des parangons de vertu ? Demandez au ministère de la Justice !
Et puis, après tout, il sera toujours temps dans quinze ans de s’en remettre à la Cour des Comptes. Comme avec les PPP par exemple.
Christophe Leray
*Cité(e) par Valérie Liquet 08/03/2018 sur le site de la caisse des dépôts dans l’article ‘Elan – Le Mouvement HLM trouve que le projet de loi Elan est une boîte à outils « pas inintéressante »’
** Voir notre article ‘Président des riches’ et ‘intérêt général’, un oxymore
***La politique immobilière du ministère de la Justice Décembre 2017
**** Prisons : fini les PPP, place aux contrats de conception-réalisation, par Romain Cayrey et Sophie Vincelot – LE MONITEUR, publié le 09 mars 2018 à 17h58