Après le trépas, l’expression bien de chez nous veut que l’on aille là où l’on doit aller «les pieds devant». Mais… devant quoi ? Plus je m’intéresse à l’architecture, plus je réalise qu’elle est à l’image de la Force chez les Jedi (ou, pour les plus pragmatiques, à l’image d’un élu En Marche) : elle est partout. Elle constitue un ensemble de ce qu’est la conscience et l’inconscient des Hommes.
En 300 après Jésus-Christ, lorsque le christianisme s’est officiellement installé comme religion d’Etat en Gaulle, l’architecture a connu un bouleversement. Une révolution. Une apocalypse. L’apocalypse n’étant bien évidemment pas la fin du monde mais la fin d’un monde, la fin d’un ordre.
Candide, je suis un profane en architecture et en urbanisme. Aujourd’hui encore, j’apprends à aimer les découvertes, issues de mes petits voyages personnels, dans l’espace immense qu’offrent les villes et les campagnes françaises. Il y a néanmoins un espace auquel je n’avais pas encore songé jusqu’à présent : celui des cimetières.
Au Père-Lachaise par exemple, un gus de mon genre s’y rend dans le but de vider, avec un engagement et un sens de la dramaturgie, une bouteille de spiritueux sur la tombe de Jim Morrison, entre deux contrôles-qualité des informations de Wikipédia vis-à-vis des sépultures de nos héros littéraires, politiques et mondains.
En vérité, cette activité est plaisante mais affreusement futile. On découvre mais on ne regarde pas. Comme lorsqu’un fan de Vianney entend surgir les accords de La Tempête de Bach, sans réaliser le moins du monde que ce qui fait le génie d’une structure, qu’elle soit musicale ou architecturale, c’est bien entendu le rythme qu’elle impose, qu’elle dévoile et enfin qu’elle transmet.
Que l’art qui nous rassemble, ici à Chroniques d’architecture, soit le résultat d’un plan B ou non, la règle est la même pour tout le monde : on respecte les plans… les mesures… les rythmes… les échelles… les profondeurs… les cadences… les mouvements… et ce avec la rigueur d’un Houellebecq usant de cette délicieuse mauvaise foi permettant de faire sortir Christine Angot de ses gonds.
Partant de ce principe, je redécouvre le cimetière du Père-Lachaise. Culturellement, le défunt est positionné dans sa sépulture d’Est en Ouest, orientant donc les pieds vers la Sainte Ville de Jérusalem (voilà pour l’autre histoire des «pieds devant», plus jolie que celle des brancardiers). Or, les cimetières se sont au fur et à mesure du temps développés comme l’ont fait les villes. Ils se sont émancipés de la règle de l’orientation est-ouest et une forme de liberté s’est installée en leur sein.
Tout pareil qu’à la ville donc, y ont émergé des avenues, des boulevards, des rues, des ruelles. Des pentes, chiantes comme celles de Montmartre, aussi romantiques soient-elles, donnant sur des caveaux familiaux aux inscriptions à la fois intimes et universelles. Des quartiers chics et des moins en vogue. Et des habitants. Et des visiteurs. Et des touristes qui se baladent, contemplent, s’orientent, se perdent.
La démographie des cimetières a beau respecter une forme de diversité des profils qui les peuplent, contrairement aux villes, l’esthétique générale doit cependant rester harmonieuse. Jusqu’à présent en effet, il est hors de question d’y bâtir des édifices faisant tâche au milieu de cette grisaille solennelle.
Un tombeau ayant la forme de l’œuvre rouge et impudique qui s’est dressée sur le parvis de Beaubourg, par exemple, n’y aurait pas sa place. Du moins, pas encore. Car à l’image de nos villes, et donc de notre civilisation, les cimetières sont forcément voués à l’évolution des mœurs. Donc de leurs dispositions. Donc de leur architecture.
Un jour, qui sait ?, lorsque le transhumanisme aura bouleversé nos habitats, les cimetières seront peut-être uniformisés de façon rectiligne, à l’image des ‘data-centers’ de la Silicon Valley où ronronnent les serveurs de multinationales qui discrètement se muent en seconde peau pour l’Homme, en nouvel abri pour l’humanité.
C’est d’ailleurs ce qui représente notre époque actuelle et celle vers laquelle nous nous dirigeons : l’uniformisation née du développement des individus. Un paradoxe qui touche tout le monde, les morts et les vivants.
Candide
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