Alphonse et Vivette Monmoulin ont porté plainte contre Maisons-Hypnos Construction. Malgré la signature d’un contrat de construction de maison individuelle (CCMI), pourtant promu par le gouvernement, leur pavillon n’est ni fait ni à faire mais tout à refaire. A leur demande, le juge a ordonné aux avocats des parties une ultime audience de conciliation au tribunal. Leurs conclusions.
Dans son bureau largement vitré et lumineux, le juge fait face aux deux avocats et résume le dossier.
« Monsieur et Madame Alphonse et Vivette Monmoulin ont décidé de faire construire leur maison par la Société Maisons-Hypnos, dont Monsieur Ryant est le gérant, avec laquelle ils ont signé un contrat de construction de maison individuelle (CCMI). Ils ont assigné Maisons-Hypnos car le chantier était arrêté depuis huit mois. L’expert, missionné par le Tribunal, a révélé de nombreuses malfaçons rendant la démolition totale de l’ouvrage inévitable. Il a également noté ce qui peut apparaître comme des infractions pénales de la part du gérant de la Société Maisons-Hypnos ».
« Nous avons donc » :
POUR :
Alphonse Monmoulin
3 rue principale
Sainte-Gemmes
Demandeur
Ayant pour avocat : Maître Catherine Chevalier-Blanc
Avocate au Barreau de …
CONTRE :
Maisons-Hypnos Construction
Thierry Ryant, gérant
Main Street
George Town
Cayman Islands
Défenseur
Ayant pour avocat : Selarl LAW International & Partners
Représentée par Maître Hannibal Tartarin, inscrit au Barreau de …
Projet de CONCLUSIONS de Me Chevalier-Blanc, avocat des plaignants (extraits)
Monsieur le Président, Cher Confrère,
Puisque le temps nous est compté, voici en peu de mots l’essence de nos arguments.
Mes clients ne comprennent pas pourquoi ils ont dû payer beaucoup plus cher que le prix convenu dans le Contrat de Construction de Maison Individuelle (CCMI) alors que, paraît-il, le prix dans un CCMI est soi-disant global, ferme et définitif.
Mes clients ne comprennent pas pourquoi les sous-traitants de Maisons-Hypnos viennent leur réclamer à eux le paiement de leurs travaux, alors que les Monmoulin ont déjà payé au constructeur les sommes dues suivant le CCMI. Ils croyaient que le CCMI les protégeait de ces risques.
Mes clients ne comprennent pas pourquoi le Garant leur a dit que s’ils lui demandaient d’intervenir pour finir le chantier, ils devraient payer 6 000€ de plus que le montant du prix convenu avec le constructeur, c’est-à-dire la « franchise ».
Mes clients ne comprennent pas pourquoi on ne démolit pas les travaux, comme le dit l’expert, et pourquoi on ne recommence pas à construire une nouvelle maison, bien faite.
Voilà.
Le juge – « Bien, à vous maître »
Projet de CONCLUSIONS de la Selarl LAW International & Partners, représentée par Me Hannibal Tartarin, avocat de la Société Maisons-Hypnos (extraits)
Monsieur le Président, Chère Consœur,
Vos clients d’évidence ne comprennent pas grand ’chose. Mais la loi est la loi. Et, comme nous le disons, nous les juristes, « le contrat fait la loi des parties ».
Vos clients ont accepté des avenants sur l’étude de sol, les fondations, les carrelages, les menuiseries, les robinetteries, sur un déplacement (sur plans) de cloison, de prises de courant, etc. (je dois en oublier). Ils n’avaient qu’à pas les accepter ! Ils n’avaient qu’à réfléchir avant de signer le CCMI. Ils n’avaient qu’à tout prévoir, tout détailler, tout anticiper jusqu’au moindre détail avant de signer. Maintenant c’est trop tard. En fait, dès la signature du CCMI, c’était déjà trop tard.
Vos clients devaient obtenir du constructeur qu’il leur soumette les sous-traitants qu’il proposait à leur agrément. Ils sont autant responsables que le constructeur de ne pas l’avoir fait. C’est la loi, comme vous le savez. Là aussi, c’est trop tard : les travaux sont faits, ils doivent les payer aux sous-traitants, même s’ils les ont déjà payés par ailleurs.
Vos clients ont accepté l’avenant en résiliation que leur proposait leur garant, pour « économiser » la franchise de 6 000€. Ils ont eu tort mais, là encore, c’est trop tard.
Vos clients peuvent toujours tout recommencer, bien sûr. Faire démolir ce qui a été fait et faire construire une nouvelle maison. Mais à leurs frais, puisqu’ils ont accumulé les erreurs et fait ce qu’il ne fallait pas. Ils se croyaient protégés, ha ha ha ! ils n’avaient pas compris que s’embarquer pour faire construire une maison n’est pas comme aller au supermarché, que cela demande une connaissance complète et approfondie du déroulement de l’aventure. En attendant, la loi est la loi et c’est sur elle – rien que la loi – que nous argumenterons ce dossier somme toute courant.
Pour conclure, si je peux me permettre, vos clients auront compris qu’il est indispensable pour ce genre de projet de disposer d’un conseil indépendant, un architecte, pour les guider, les protéger réellement. Ils peuvent donc tout recommencer, s’ils en ont les moyens financiers.
Voilà.
Le Juge – Me Chevalier-Blanc, que souhaitez-vous ?
Me Chevalier-Blanc – Que conformément au contrat, cette maison soit démolie et reconstruite par Maisons-Hypnos selon les règles de l’art.
Le juge – Et vous Me Tartarin ?
Me Tartarin – Pour notre part, nous nous en tenons à la lettre de la loi et il n’est pas question pour nous de faire quoi que ce soit dans un dossier qui ne nous concerne plus.
Le juge – Je constate que nous ne sommes parvenus à aucun accord. Je vous remercie.
Dehors sur le trottoir, tout en décrochant l’antivol de son vélo, Me Catherine Chevalier-Blanc au téléphone. « Oui Monsieur Monmoulin… Non, ça ne s’est pas très bien passé … Oui vous pouvez appeler ça du cynisme… Non, ce n’est pas fini pour autant… Oui, très bien, c’est ça… A bientôt et gardez courage ».
A quelques pas, avant d’enfourcher son puissant scooter trois-roues tout neuf, Me Hannibal Tartarin. « … Je vous réveille, désolé je n’avais pas fait gaffe au décalage horaire… Oui ça s’est très bien passé… Non, juste comme d’habitude… Oui ils ont l’air paumés… Non, il n’y a aucun danger, nous avons le temps pour nous… Pêche au gros ?… Bon ben bonne journée alors ».
Jean-François Espagno
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