Que l’architecte franco-espagnol Manuel Núñez Yanowsky l’ait mauvaise, c’est le moins. Il est cet architecte qui, en mars 2011, avait gagné le concours international pour la construction d’un gigantesque centre spirituel et religieux orthodoxe russe (le plus grand hors de Russie) quai Branly, à deux pas de la Tour Eiffel. Waouh !
Jean-Michel Wilmotte était deuxième. Frédéric Borel complétait le podium. Après celui du Louvre, Paris, la ville des tapis volants.
Quelle que fut l’appréciation de son projet, Manuel Núñez Yanowsky était assuré d’être sur les cartes postales parisiennes jusqu’à la fin des temps. Le tout, en plus, à l’issue d’un concours ‘fair and square’, comme on dit à Samarkand, et pas contre dix cloches*.
Pour mémoire, le destin du futur centre orthodoxe russe à Paris avait été scellé dès 2007 lorsque le président français Nicolas Sarkozy, fraîchement élu à l’époque, avait rencontré le Patriarche Alexis II (décédé en décembre 2008).
Entre 2011 et 2014, le coût estimé de ce bâtiment orthodoxe parisien est passé de 30 millions à 50 millions puis, à ce jour, avant le premier coup de pioche, 100 millions. En euros, pas en roubles, même si c’est la Russie qui paye. Sans compter les 70 millions pour le terrain. Le prix pour des âmes vivantes, comme dirait Gogol ? Lesquelles attendent encore un bâtiment qui devait être, à l’origine, livré en 2014.
En 2014, chacun sait seulement que ce n’est pas Manuel Núñez Yanowsky qui construira la nouvelle icône de l’influence soviétique – pardon, russe – mais Jean-Michel Wilmotte, par ailleurs architecte du Grand Moscou. A ce dernier, donc, la responsabilité des cartes postales.
Que l’architecte Manuel Núñez Yanowsky l’ait mauvaise, c’est bien le moins.
Tout à son dépit, dans un communiqué enflammé et amer daté du 8 janvier 2014, parmi d’autres amabilités à l’égard des socialistes français – suivez son regard -, voici ce qu’il écrit : «Les socialistes français ont exigé de POUTINE, l’éviction sans aucune indemnisation de l’architecte lauréat et l’usurpation DU PROJET par WILMOTTE qui pourtant avait perdu le concours».
Il est permis de penser que Bertrand Delanoë, maire de Paris, considérant tous les ennuis qu’il a déjà avec la première, ne voyait pas d’un bon oeil débouler une autre canopée.
Cela écrit, les socialistes français, l’édile de la capitale en tête, sont-ils en mesure d’exiger quoi que ce soit de POUTINE ? Il est permis d’en douter. Au plus ont-ils exercé leur pouvoir de nuisance et chatouillé le maître du Kremlin.
Diplomatie oblige, le tsarévitch qui ordonne la construction d’un centre orthodoxe à Paris – et ce projet n’est sans doute que la partie émergée de tout ce qu’il exige – a consenti à ce que ses interlocuteurs français ne perdent pas (trop) la face. Par voie de conséquence, pour le projet lauréat, sans autre forme de procès, la trappe.
Ainsi soit-il.
De fait, rien là de très nouveau, quand les petits princes et baronnets français s’écharpent ou s’entendent, en leurs comtés minuscules, intramuros, sur un projet ou une nomination, c’est plus souvent la foire aux mignons qu’une réflexion technique et objective. Les exemples ne manquent pas. Il se trouve juste que Poutine est tout en haut de la chaîne alimentaire.
D’où sans doute la tentation récurrente du despote éclairé. Napoléon III par exemple. Alors, vraiment, au maître d’ouvrage et ses entremetteurs, que leur chaut la tristesse de Manuel Núñez Yanowsky ? Pendant ce temps, combien sont ceux à avoir candidaté pour un projet Sotchi 2014, les jeux olympiques les plus chers de l’histoire, puisque c’est d’actualité ?
D’ailleurs, notons que le président de toutes les Russies jusqu’en Ukraine a, en guise de subtile réponse du berger à la bergère, fait place nette, sur la place rouge, de la française valise Vuitton. Parce qu’elle gênait la vue sur le Kremlin !, expliqua-t-il. Cela ne vous rappelle rien ? Et encore, s’agissait-il d’un ‘bâtiment’ temporaire, pas comme un Kremlin – une église, pardon – construit devant la tour Eiffel jusqu’à la fin des temps peut-être.
En tout cas, Poutine, orgueilleux de se voir despote en son miroir, chaque matin quand il se rase, est persuadé d’être éclairé. Qui pour le démentir ? Pas même un socialiste. Moins encore un architecte.
Christophe Leray
* Premier : Sade (Manuel Nuñez-Yanowsky / Miriam Teitelbaum) et Arch Group (équipe binationale) ; Second : Wilmotte & Associés et Mosproekt 2 (équipe binationale). Troisième : Frédéric Borel & Associés (équipe française).
Les autres équipes du concours : Studio Architecture et Lazarevic & Liénard (équipe binationale) / Elena Lenok (équipe russe) / Agence architecture Anthony Béchu (équipe française) / Mikhail Filipov et Wladimir Mitrofanoff (équipe russe) / Rudy Ricciotti et Ginger Sechaud Bossuyt (BET) (équipe française) / Vega Architecture (équipe russe) / Dumont Legrand Architectes et GEC Ingénierie (BET) (équipe française).
Cet article est paru en première publication sur le Courrier de l’Architecte le 5 février 2013