Deux ouvrages traitant d’architecture sont sortis quasi simultanément en mai 2021. Le beau, le brut et les truands, signé de Paul Chemetov et Rudy Ricciotti a l’honneur des gazettes de toute obédience, Habiter, un ouvrage autrement plus important écrit par l’architecte Jacques Lucan, passe lui totalement inaperçu. Cri du cœur de l’architecte Xavier Fabre (Fabre&Speller).
On se souvient d’un dialogue entre Chemetov et Lucan dans les années quatre-vingt autour des questions d’esthétiques, Chem défendant son processus « brechtien » adapté à l’architecture (l’édifice illustrant sa propre élaboration constructive… ) et Lucan, jeune rédacteur d’AMC, tentant de ramener l’empreinte urbaine du projet au cœur du débat… La discussion se prolonge aujourd’hui au travers de deux ouvrages récents que tout semble opposer, et pourtant…
Le beau, le brut et les truands* fait dialoguer deux grands architectes français dans une forme qui frise la discussion de comptoir mais témoigne avec sincérité de leurs engagements, de leurs interrogations et finalement de la fragilité de leur position d’artistes.
Habiter offre un panorama et une réflexion édifiante sur les formes de l’habitation, et son rapport à la ville, issues d’un siècle d’expériences architecturales défendues, souvent en vain, par les professionnels et théoriciens les plus engagés.
Les deux ouvrages n’ont pas le même propos ni la même finalité mais ils témoignent chacun de la même désillusion des architectes dits « modernes » à pouvoir transformer le monde …
Cependant le premier trouve un succès médiatique immédiat car les deux protagonistes s’envoient des coups de pagaie fraternels qui font le sucre des journalistes, tandis que le deuxième, qui construit une réflexion de longue durée et gratte là où ça fait mal, n’intéresse pas encore la presse .
La question du « beau » est tout aussi importante que celle de la morphologie urbaine et du devenir de nos formes d’habiter mais nous devons exiger des meilleurs professionnels qu’ils s’expriment avec science et rigueur, même sous forme poétique quand c’est possible, pour éclaircir le constant débat sur l’architecture et la ville. C’est une question de salubrité intellectuelle qui devrait leur convenir et rompre avec cette habitude badine et bavarde des architectes qui signe leur désarroi social.
Jacques Lucan accomplit ce travail méthodique, très bien documenté, au centre de l’architecture – la question de « l’habiter » – et rouvre de nouvelles pistes, souvent soutenues par nos deux illustres rameurs ! Recommandons sa lecture en priorité !!
Xavier Fabre
*Editions Textuel (mai 2021 – 80 pages – 11, 90 €)
**Presses Polytechniques Romandes (mai 2021 – 398 pages – 37,50 €)
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