Des architectes régionalistes, en ce sens qu’ils sont ancrés dans leur région et en connaissent les moindres subtilités, ni plus ni moins qu’un architecte parisien réalisant 27 logements dans le XIXe arrondissement ancrés dans leur contexte urbain ? Véronique Joffre à Toulouse, Patrick Arotcharen à Bayonne, Corinne Vezzoni à Marseille. Il ne s’agit pas ici de régionalisme à la mords-moi le toit deux pentes de tuiles usine mais d’une architecture qui offre une nouvelle saisie contextuelle du paysage, au sens large du terme. «Fuck the context», disait l’autre. «Bah non», lui répond-on d’ici. Contexte ?
La question se pose dès le titre de l’expo* consacrée à Corinne Vezzoni à la Galerie de l’architecture à Paris : Archiméditerranéenne. Quoi, en plus d’être femme architecte lauréate du grand prix 2015, un autre truisme ? Celui de la ‘méditerranéenne’, née au Maroc ? En vérité, ce titre, Corinne Vezzoni l’explique très bien. Elle parle de travailler avec la pente et, elle a raison : partout en Méditerranée, dès que vous accostez, il y a la pente.
Elle parle encore de la violence de la lumière, du vent – elle dit le Mistral –, du climat. Quand elle prend le parti au travers de quelques projets récents – le lycée de Saint-Mitre et le CFA Mallemort à Marseille, The camp à Aix-en-Provence – d’installer des circulations extérieures, elle parle de Marseille, de la Méditerranée, du climat local. Alors, pour le coup, même si l’architecture vaut au-delà de son expression dans son site, le titre de l’expo s’en trouve soudain justifié. C’est une invitation au voyage.
Il est étonnant d’ailleurs de voir comment Corinne Vezzoni a imaginé son expo à la Galerie d’architecture. La galerie, rue des blancs manteaux à Paris, comme son nom l’indique, est un lieu voué à l’exposition d’œuvres des architectes. Le lieu est pourtant incommode et rares sont les expos qui ont su se l’accaparer avec justesse. Corinne Vezzoni y parvient parce qu’elle a conçu sa présentation sachant qu’elle devrait voyager. Alors va pour des malles de voyage en bois. Les maquettes, en bois également, ont pour qualité première de montrer les bâtiments dans un large territoire stylisé. Des tiroirs permettent de montrer les documents techniques de chaque projet, chaque maquette enfin positionnée dans l’angle des photos de l’expo. De la maquette au projet, une connexion intuitive. En couleur, les projets réalisés, en noir et blanc, ceux en cours. Une année 2016 mémorable sans doute pour Corinne Vezzoni.
Il suffit à ce titre, sans même rien considérer d’autre sachant qu’il y en a d’autres, le spectaculaire projet du quartier Chalucet à Toulon. Qu’on en juge ; en plein centre-ville, un ancien terrain militaire, un vaste projet – 35 000 m² – Corinne Vezzoni et associés mandataires. Quatre maîtrises d’ouvrage : la Communauté d’agglomération Toulon Provence Méditerranée, la Ville, le Département du Var et la CCI du Var ; des équipements (écoles, médiathèque, école supérieure d’art et de design), des logements, une réhab/reconstruction originale – qui a la chance de devoir des spécificités locales avec la méditerranée en toile de fond. Livraison prévue en 2019, la veille des prochaines élections municipales en 2020. Architecture régionaliste ? En tout cas le besoin pour l’agence de s’organiser face à un projet d’une telle ampleur (et l’occasion de citer ici son associé Pascal Laporte qui n’est pas pour rien dans la réussite de l’agence).
Encore faut-il rendre à César, en l’occurrence Hubert Falco, maire de Toulon, ce qui lui appartient. Tous ces maîtres d’ouvrage sont du même bord politique – ce qui n’est pas gage de franche camaraderie – mais Hubert Falco semble posséder le pouvoir de tenir son affaire. Comme l’architecte tient la sienne. Une seule entreprise de gros œuvre pour tous les chantiers. Sauf à trouver des tessons d’amphores – les Romains étaient partout dans le coin – Corinne Vezzoni croit le pari tenable. Elle va utiliser la roche issue du site pour la teinte de son béton comme le ferait un enlumineur avec ses piments. Poésie. Sur un autre projet elle vous dira de son béton tissé comme les canisses d’Aix-en-Provence et des vues sur la Sainte-Victoire ou encore de ses doubles voiles en béton afin de s’affranchir de la sacro-sainte isolation par l’extérieur.
Son ‘régionalisme’, soit le regard qu’elle porte sur les spécificités du site, lui permet de construire ailleurs, voir par exemple l’immeuble Thémis à Clichy-Batignolles à Paris qui vient utilement compléter le Tribunal de Grande Instance de Renzo Piano. Il ne s’agit pas en effet de construire comme au Moyen-Age. Mais puisqu’il est question ici de la Méditerranée, son ‘régionalisme’ donc n’est pas qu’une question de paysage. Se souvenir quand la jeune agence Corinne Vezzoni avait gagné le concours public pour l’extension du palais des festivals de Cannes. Le maire de Cannes, bien en cour, avait déjà choisi son candidat et ce résultat de concours tombait mal. Cet odieux promis pis que pendre à l’impudente, «que jamais plus [elle] ne travaillerait ni à Cannes ni à Marseille ni ailleurs».
Quinze ans plus tard, Hubert Falco, pas un poète non plus, lui confie, sur concours, sa formidable réserve militaire et foncière en centre-ville. Comme quoi le contexte doit être entendu au sens large.
Pour l’anecdote, ce terrain appartenait à la Marine qui avait ramené de ses lointaines explorations moult plantes exotiques transformant le parc en un historique, sinon impromptu, jardin d’acclimatation. Quand les militaires sont partis, ils ont emporté avec eux leurs essences. Corinne Vezzoni, avec le paysagiste, les replante !
Alors régionaliste la compréhension des mœurs, de la pente et de la lumière violente ? Une vision ainsi plus cohérente qu’une vision importée ? Nul protectionnisme dans la démarche, c’est juste que la Méditerranée et le mistral importent et qu’il convient de partir à la reconquête de cette architecture galvaudée dite ‘régionaliste’.
C’est parce qu’elle sait le climat marseillais que l’architecte peut faire des propositions de circulations extérieures, de coursives, de lieux protégés ou au contraire ouvert à tous. Pour ce lycée Saint-Mitre par exemple dont le programme prévoyait un gymnase. Sur le site, une église, pas la Bonne Mère, avec un tout petit parvis. Bientôt, le toit du gymnase sera la nouvelle place du marché devant l’église, enfin dotée d’un vrai parvis. Il suffit pour s’en convaincre de vérifier la taille des poutres du gymnase. Le marché devant l’église sur le toit du gymnase, seul(e) un(e) architecte pouvait y penser ! Au pied de l’église, dans la pente, l’école. L’insertion dans le site de l’Ecole nationale supérieure publique d’ingénieurs, en surplomb de la vallée du Var, procède encore de cette attention sensible au paysage et climat locaux.
Quel que soit le lieu, ne faut-il pas se réjouir que des écoles soient construites ? Et qu’elles soient adaptées à leur climat ?
Régionalisme alors ?
Certes, il y a 40 ans, Jean-Louis Chanéac essayait déjà de développer, dans ses montagnes savoyardes, une ‘archo-architecture’. Des idées mal comprises qui ont fini par donner corps à une «stratégie commerciale à portée de tir du consumérisme régionaliste», pour citer Rudy Ricciotti, aussi vulgaire que destructrice : les toits à deux pentes, les tuiles sorties d’usine, le crépi pastel, etc..
N’empêche, Corinne Vezzoni, avec d’autres (dont sans doute Véronique Joffre, lauréate 2016 du prix de la femme architecte), face à la standardisation des processus de construction, est en train de définir une nouvelle pensée ‘régionale’ affranchie des codes du ‘patrimoine’ et des diktats de la promotion immobilière. Aucun pastiche mais ici la pente, la lumière violente, le mistral. Ailleurs sans doute la plaine, la lumière rasante et le vent du nord.
Contexte !
Christophe Leray
*Jusqu’au 7 janvier, 11 rue des blancs manteaux, 75004 Paris. Sinon plus tard à Marseille évidemment, puis à Bratislava et ailleurs. Si elle passe près de chez vous, cette exposition vaut le détour.