Le 15 mars 2016, le projet de Guillaume Hannoun (Moon Architectures mandataire, en partenariat avec Air architectes) a défrayé la chronique. Et de quelle façon ! Que pouvait bien avoir inventé ces architectes pour provoquer, dans le XVIe arrondissement de Paris, une telle poussée d’urticaire chez des gens d’habitude plutôt prompts à en appeler à la loi et l’ordre ? Au-delà de la polémique, découverte du projet*.
Souvenez-vous, cette réunion publique à l’université Dauphine à Paris et la sidération de voir les réactions outragées jusqu’à la caricature de quelques centaines de bourgeois habitants le XVIe arrondissement après l’annonce de la construction prochaine d’un centre d’hébergement d’urgence près de chez eux.
Ces hommes et femmes, républicains en diable, ont provoqué une telle bronca que la salle a dû être évacuée manu militari au milieu des cris et des insultes, à la stupéfaction sans doute des CRS appelés en renfort. Leur indignation a éclairé d’un jour peu glorieux leurs motivations et leurs fameuses ‘valeurs’, provoquant en réaction une polémique nationale. Dans les médias généralistes, les rares fois où l’architecte a été évoqué, rarement nommément, c’était pour rappeler les cris haineux de cette foule bien mise le traitant de «menteur». Pour le coup, tout le monde a oublié de parler du projet en lui-même.
Cependant, dès le 22 avril suivant, un juge des référés s’est prononcé à Paris sur les premiers recours déposés contre la construction du centre. En attendant le jugement sur le fond, le magistrat a estimé qu’il n’y avait aucun caractère ‘urgent’ à suspendre les travaux puisque, en l’occurrence, «tout ce qui sera construit est démontable». Les habitants du quartier saisiront-ils toute la subtilité de cette décision puisque c’est justement ce que le maître d’ouvrage et l’architecte voulaient leur expliquer lors de cette désormais fameuse réunion publique ?
Face à la paranoïa de la population locale, la réalité du projet apparaît bien prosaïque. Le fait est que Guillaume Hannoun propose, par l’architecture, une solution pertinente parmi d’autres à la problématique complexe du logement d’urgence, lequel est le plus couramment constitué de chambres d’hôtel inadaptées aux besoins pour un coût disproportionné. Ces hôtels ‘sociaux’ ont, crise oblige, un taux de remplissage de quasi 100%, le paradoxe étant que c’est justement cela qui les rend hors de prix pour les associations qui voudraient s’en porter acquéreur. Qui plus est, déplacer des familles avec enfants de chambre d’hôtel en chambre d’hôtel est humainement catastrophique et complique l’accompagnement de ces familles.
C’est pourquoi des associations humanitaires ont également entrepris d’occuper les immeubles en attentes d’affectations. Puisqu’un bâtiment sera vide pendant quatre ou cinq ans, pourquoi ne pas en effet l’occuper en hébergement d’urgence. Sauf que si les associations consentent alors des budgets de mise aux normes et de réhabilitation, quatre ou cinq ans plus tard, quand il faut rendre le bâtiment, ces investissements sont à fonds perdu.
D’où l’idée de l’association Aurore (citons son directeur, Eric Pliez, ainsi que son directeur du patrimoine, Jérôme Flot), en collaboration étroite avec Moon Architectures, d’imaginer utiliser non plus un immobilier intercalaire mais un terrain en latence sur lequel édifier, pendant un temps défini donc, un bâtiment qui pourrait être entièrement démonté et déplacé à l’échéance. C’est donc un terrain de ce type que la ville a mis à disposition de l’association.
Pour Guillaume Hannoun, la clef du programme était donc de concevoir un investissement pérenne, hors coût de démontage, qui corresponde aux attentes des associations en termes de confort et de capacité d’accompagnement et qui permette aux personnes accueillies de rebondir plutôt que de sombrer. Pour des raisons de confort (thermique, acoustique), de difficulté d’aménagement (standardisation excessive) et réglementation (incendie notamment) les containers puis les algécos furent tour à tour éliminés de la réflexion.
Pour sa part, l’architecte venait de livrer une construction en bois, un matériau qui offre non seulement de meilleures performances thermiques mais qui répond aussi pleinement à la notion de durabilité, de diminution du coût carbone et de simplicité de mise en œuvre. C’est dans le cadre de cette recherche exploratoire, que n’aurait d’ailleurs pas permis un concours, qu’est né cette idée d’utiliser habitat spécifique, modulaire et en bois pour répondre à une demande précise, urgente, de mise à l’abri de populations défavorisées.
Prises en compte les contraintes de répétition, de rationalisation et de systémisation, l’architecte a optimisé la diversité de ses modules : de celui de 18 m² adapté aux familles avec point d’eau, douche et wc à un autre de même dimension avec deux chambres de 9m² pour les individus isolés, des modules sanitaires et techniques aux modules dédiés aux espaces en commun. Pour ce projet dense, des modules vides enveloppés de polycarbonate sont pour Guillaume Hannoun autant d’espaces «de respiration» dont les habitants pourront s’approprier les usages.
Il suffit enfin de regarder les perspectives pour comprendre que l’homme de l’art a soigné l’insertion paysagère et que ce projet est parfaitement adapté au site. Rien n’est enterré et le bâtiment est entièrement démontable et réutilisable. Ces modules, construits en France avec un outil industriel, permettent non seulement d’améliorer le cahier des charges de l’association mais aussi de «dessiner» un bâtiment de 196m de long et de 200 places qui ne jure ni avec le bois de Boulogne ni avec son environnement immédiat.
Chacune des règles et normes du logement, en termes de sécurité, d’accès PMR – il y a un ascenseur -, d’environnement et de confort – triple vitrage – ont été soigneusement respectées. Le tout, 2 800m² dans une enveloppe de 3,9M€, devrait pourtant largement rentabiliser l’espace en comparaison du coût hôtelier. Bref, n’en déplaise aux grincheux, il s’agit de rien moins que d’un projet humaniste qui, en s’appuyant sur un système qui permet de construire mieux, plus vite et moins cher, permet d’offrir un toit temporaire à ceux qui en ont le plus besoin, sans que cela ne coûte un rond aux contribuables.
Maintenant que le permis de construire est délivré (depuis le 10 mars) et l’hypothèque des référés d’urgence levée (depuis le 22 avril), l’ouvrage devrait être livré dès septembre 2016, l’usine étant capable aujourd’hui de produire jusqu’à six modules par jour. De toute façon, il faut que le bâtiment soit prêt avant l’hiver.
Pour en revenir aux riverains, si la réunion publique n’a pas permis de lever leurs fantasmes, sans doute découvriront-ils que leurs craintes étaient infondées puisque tout se passe généralement bien dans les autres centres d’accueil que gère l’association Aurore. Sans compter que celui-ci sera de toute façon démonté dans quelques années. Peut-être ne demeurera alors en mémoire que la violence exprimée lors de cette fameuse réunion et la grande classe toute républicaine de Claude Goasguen, maire (LR) de l’arrondissement.
L’ironie de l’histoire veut que la veille même du jugement en référé autorisant la poursuite des travaux du centre d’hébergement, la justice dans une autre décision autorisait également la construction de logements sociaux dans le même arrondissement, le XVIe, un projet de la ville de Paris contre lequel s’opposaient déjà 600 copropriétaires du boulevard Suchet, à deux pas là encore du bois de Boulogne.
Deux défaites certes mais qui montrent cependant la détermination des rentiers de la France rance, ceux-là mêmes qui passent leurs vacances au Panama et s’accrochent à leur vision très XIXe siècle de l’avenir, à s’opposer de toutes leurs forces à la «dépréciation de leurs biens», surtout à «la dépréciation de leurs biens». Pour info, le XVIe arrondissement de Paris compte actuellement 3,8 % de logements sociaux, quand la loi fait obligation d’en avoir 25 %. Il compte aussi le plus grand nombre de contribuables assujettis à l’ISF. Ceci expliquant cela ? Au moins les SDF et familles sans logis, autant de «chapardeurs» sans doute, sont-ils prévenus de l’accueil cultivé et généreux qui les attend.
Christophe Leray
*Mis à jour le 29/04/2016