«Dans deux générations, on ne pourra plus fabriquer de béton» explique Anouk Legendre en introduction à la conférence Fleurs du futur : Le vivant fera-t-il la ville demain ?* L’agence X-TU architects (Anouk Legendre et Nicolas Demazières) s’est associée à des chercheurs agronomes** à la recherche de solutions durables pour construire la ville de demain. Utopie ? En tout cas les projets sont en cours, les brevets déposés. Zoom sur une vision optimiste du futur des villes.
Quels contrepoints à la ville d’hier et d’aujourd’hui, dont la principale source de construction est issue du carbone fossile ? Pour X-TU Architects et ses partenaires, il faut adapter la nature à la densité urbaine et les faire cohabiter pour aboutir à une hybridation progressive des villes. Il s’agit pour ce faire selon eux d’utiliser le potentiel des micro-algues à même les constructions, voire de valoriser la culture d’insectes à grande échelle en ville. De là à imaginer une ville mutante, il n’y a qu’un pas, que les architectes et les ingénieurs franchissent au sein du programme SymBio2 (avec les concours d’entreprises et de bureaux d’études).
La culture des micro-algues constitue le principal ciment de la réflexion du groupe. Le constat est simple. A la source de la chaîne alimentaire et à l’origine de la vie sur terre grâce au processus de photosynthèse qu’elles opèrent, les micro-algues constituent l’un des principaux puits de carbone de la planète, permettant du coup de réguler le changement climatique. Leur potentiel d’exploitation est aujourd’hui largement sous-estimé, à commencer par leur capacité d’absorption du CO² bien supérieure aux plantes terrestres.
Du point de vue de la fabrique des villes de demain, de nombreux matériaux pourraient être issus de la culture des micro-algues tels les bio-polymères, plastiques biodégradables, bio-floculants et autres polysaccharides. Par ailleurs, ces végétaux pourront également fournir de l’énergie, entièrement renouvelable et stockable, sous de multiples formes: hydrogène, méthane, alcools, …
C’est lors de la dernière COP 21 que le grand public a découvert les recherches de X-TU architects avec AlgoNOMAD, un objet architectural qui a pris place du 30 Novembre au 13 décembre 2015 sur le parvis de l’hôtel de Ville de Paris. Une sorte de prélude permettant d’immerger le public «dans un futur urbain photosynthétique et biologique, où les micro-algues seraient cultivées sur nos façades et nos routes faites d’algobitumes, où le phytoplancton nettoierait nos eaux usées tout en produisant des molécules de substitution à la filière pétrochimique, où les avions voleraient aux algocarburants, et où l’algoculture urbaine nourrirait les citadins sans empiéter sur les espaces naturels». Rêve ou réalité ?
Brevetées en 2009 par X-TU architects, les biofaçades SymBIO2 intègrent des systèmes de culture de micro-algues au sein d’une façade à haute performance. Ces «photobioréacteurs» agissent comme des capteurs solaires biologiques et naturels, les cultures de micro-algues assurant ainsi également la régulation thermique du bâtiment. «Un ‘champ vertical’ d’un hectare de biofaçades absorbe deux à cinq fois plus de CO2 qu’un hectare de forêt en pleine croissance», assurent les architectes. Ces façades offrent un terrain fertile pour la culture de ces végétaux, nécessitant dès lors moitié moins d’eau que pour une agriculture en plan. Le rendement de cette biomasse en serait ainsi bien meilleur, de plus en plus d’ailleurs au fur et à mesure de son utilisation à l’échelle mondiale dans l’alimentation, la recherche médicale, les cosmétiques ou la production énergétique. Un bon point économique donc pour un bâtiment écologique.
Enfin, l’aspect esthétique d’une façade vivante, changeant potentiellement de couleur d’une journée ou d’une saison à l’autre en fonction du stade d’avancement des cultures, passant du vert pomme au rouge, représente une véritable nouveauté urbaine. La ville et la nature ne se contentent pas de se mêler discrètement à l’intérieur des entrailles du bâtiment mais s’exposent allègrement à la vue de tous.
En 2013, X-TU s’est vu octroyer par le gouvernement français un financement de 4,8 M€ pour le développement d’un projet pilote de biofaçade de 200 m². Une première mondiale ! Un prototype a été conçu qui répond à toutes les exigences du clos couvert et des performances thermiques des enveloppes de bâtiment. Reste donc à le tester en conditions réelles et sur une façade complète.
De ce succès pourrait naître la première application des Biofaçades incluses dans les deux projets sélectionnés pour la phase finale du concours Réinventer Paris. In-Vivo et Régénération-S proposent de mettre en application cette algoculture à l’échelle architecturale en dotant ces deux bâtiments aux programmes variés, Régénération-S abritant des bureaux, In-vivo se consacrant à la recherche médicale.
Pour autant, rejouer Avatar en zone urbaine demeure encore largement hypothétique. Si les bilans énergétiques, environnementaux et sociaux de ces façades paraissent globalement positifs (à l’échelle mondiale, cette innovation pourrait créer 20 000 emplois et 5 000 algoculteurs locaux pourraient voir le jour d’ici 2030), elles posent néanmoins des questions d’ordre culturel, notamment en Occident, où les algues et les insectes (utilisés comme mode de recyclage des déchets dans le projet In-Vivo) sont vecteurs d’angoisses dans l’imaginaire collectif. Steven Spielberg et David Cronenberg ne s’y sont pas trompés !
Bien plus que les investisseurs et les maîtres d’ouvrage, ce sont peut-être les usagers et les habitants qu’il va falloir convaincre. Cela écrit, il semble bien que la mutation de la ville de demain soit désormais en marche.
Léa Muller
*«Fleurs du futur : Le vivant fera-t-il la ville demain ?»* à la Cité de l’Architecture le 28 janvier 2016
** AgroParisTech et le laboratoire GEPEA du CNRS