
Les rénovations de grands établissements coûtent très cher et perturbent leur fonctionnement : plusieurs années d’interruption, installations temporaires, etc. Ne serait-il pas possible d’éviter ces dépenses et ces épreuves ? Une question d’actualité, au moment où se vote le budget dans une ambiance de crise financière. Chronique de l’intensité.
Le coût des travaux du centre Pompidou, à Paris, est évalué à 450 millions d’euros (à peu près la même somme que pour le Grand Palais), mais certains craignent déjà des dérapages de plusieurs centaines de millions d’euros. Inauguré en 1977, il a déjà fait l’objet d’une rénovation en profondeur, c’était en 2000, avec trois années de travaux. Rebelotte en 2025, avec notamment le désamiantage qui n’avait donc pas pu avoir lieu en 2000.
Le musée du Louvre se réveille de son côté. Il y a des infiltrations, une série de problèmes techniques, notamment de ventilation, auxquelles s’ajoute le besoin de s’adapter à une fréquentation double de celle qui était prévue au départ, avec l’installation de la pyramide de Pei, en 1989. Là encore, il faut un énorme budget pour remettre le bâtiment à niveau et réorganiser l’accueil pour faire face à l’affluence du « plus grand musée du monde », ambition purement symbolique mais lourde en termes logistiques.
Dans toutes ces opérations, emblématiques puisqu’il s’agit de notre patrimoine culturel le plus prestigieux, il est permis de s’interroger sur la qualité du service rendu au fur et à mesure que la dégradation a pris de l’ampleur. Une dégradation dont les personnels, le public et les œuvres ont souffert pendant des années. N’y a-t-il pas des types de gestion plus performants et plus économiques ? plus intense, en somme.
Permettez-moi une comparaison, qui n’est évidemment pas raison, et qui est forcément abusive. Une comparaison qui montre l’écart de prix entre une maintenance-amélioration en continu, chaque année, et des grands chantiers tous les vingt ans et souvent plus.
C’était il y a trente ans, il s’agissait des collèges. Une commission présidée par un ancien président de fédération de parents d’élèves, Jean-Marie Schléret, s’est penchée sur l’état de ce parc immobilier et les besoins de travaux pour le remettre à niveau. Les conclusions à l’époque ont été vivement contestées mais les ordres de grandeur leur donnent de la crédibilité. Quelle différence de coût entre des travaux réguliers et une reprise tous les vingt ans, ou à peu près ?
Les travaux réguliers coûtent moins cher. Et ils permettent d’offrir aux élèves et à leurs professeurs des conditions de vie à l’école constantes, et non dégradées la moitié du temps. Quel écart de coût ? Un facteur 3 à 4. L’action en continu coûte 3 à 4 fois moins cher que le grand chantier. Ce chiffre n’est pas à prendre à la lettre mais il donne une idée des économies qu’une gestion rigoureuse du patrimoine public pourrait apporter.
Une politique bonne pour les finances mais l’intervention lourde tous les vingt ans n’a-t-elle pas elle aussi des avantages ? Elle permet en effet des changements plus complets, adaptés à de nouvelles approches, pédagogiques ou muséologiques dans les deux cas présentés dans cette note, à de nouveaux comportements, et à de nouveaux défis, comme le dérèglement climatique. Elle offre l’avantage de pouvoir décider des transformations structurelles et de transformer un lieu, lui donner une nouvelle personnalité.
Il reste à savoir si ces résultats ne peuvent être obtenus dans la continuité : un plan suivi année après année, une ligne directrice retenue pour dix ans mise en œuvre avec régularité et des financements assurés. Tous les bâtiments ne se prêtent pas de la même manière à des évolutions par étapes successives mais beaucoup le permettent selon les techniques constructives mises en œuvre. C’est une organisation rigoureuse qui est nécessaire, associant une mutation progressive et la maintenance « ordinaire » des locaux non touchés par les travaux et qui éviteront ainsi la dégradation qui se manifeste le plus souvent avec le temps. Une organisation pour une utilisation plus intense de ces bâtiments, c’est aussi, pour les nouveaux qui se créent aujourd’hui, une exigence d’adaptabilité à respecter dès la conception.
Mettons à part les situations exceptionnelles, comme le transfert à Bercy du ministère des Finances, qui ouvrait un formidable champ de possibilités pour un musée rénové dans un « Grand Louvre ». La tour Eiffel est un exemple de maintenance en continu et de transformations profondes. Pour l’essentiel de notre parc immobilier, quelle que soit sa destination, il y a un gisement d’économies et de gains de qualité à obtenir dans une politique d’interventions régulières, de maintien à niveau et de transformation progressive. Les Plans pluriannuels de travaux des propriétés en sont une déclinaison dans le domaine privé, mais la culture de la durée n’est pas universelle. Le patrimoine public, à sa manière et avec ses contraintes, pourrait utilement montrer l’exemple.
Dominique Bidou
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