Week-end d’élections. Comment ne pas les évoquer tant elles sont simultanément au centre des discussions post week-end et au centre du propos qui a animé ces chroniques au cours de l’année ? A savoir le poids de l’administration sur la ville et sur l’ensemble des comportements citoyens. Au point que ces derniers, inconsciemment, en oublient de voter ?
Dimanche soir, le constat est implacable : près de 70 % des Français en âge et en état de voter n’en ont plus rien à faire.
Comment s’étonner, qu’année après année, les électeurs ne souhaitent plus se déplacer pour le choix de celui qui aura la grosse bagnole de fonction avec chauffeur, la moquette épaisse, le beau bureau avec tout plein de secrétaires, et les avantages pléthoriques qui vont avec, y compris la garantie de l’emploi pour cinq merveilleuses années au salaire plus qu’opulent, d’autant plus princier qu’on est logé et nourri à l’œil ?
La classe politique est une classe à part qui réunit de grands professionnels de l’opportunité, choisissant une écurie au gré des aubaines et des convenances qu’offre celle-ci, au sortir de Sciences Po ou de l’ENA, relativement à la carrière souhaitée, la plus brillante possible (cf l’exemple de Manuel Valls, le Johann Strauss des convictions et des engagements militants).
Depuis la lente extinction de la lutte des classes, au soir de la chute du mur de Berlin, le sens des engagements a perdu sa boussole entre l’est et l’ouest, la gauche et la droite au profit de la lutte entre le sud et le nord, l’intégration ou l’exclusion. Tout homme politique a le souci préalable de son choix de carrière, et de ce que son profil évoque à travers les réseaux sociaux. Chacun des bords ou des non-bords de l’extrême centre, ni de gauche, ni de gauche, a le même engagement (les « sécuritaires » de tous les partis expriment finalement le même besoin d’anxiogène pour rameuter les suffrages, et le rapport entre les services publics et l’équilibrage des comptes publics, la même compréhension pour tous : nécessité absolue et générale de crédibilité).
Et tous se retrouvent à la buvette, parce qu’avant tout, confrères et consœurs.
Il est indispensable d’affiner ce propos relativement au procès en poujadisme qu’on serait en droit de lui faire. Et surtout pour introduire le problème des relations entre le monde politique avide de succès électoraux et celui du corps de l’administration assoiffé de réglementation. Peut-être y trouvera-t-on le secret génétique de cette insidieuse désaffection citoyenne ?
On l’a vu, revu et sans doute compris depuis le début de ces chroniques génomiques, l’administration est un corps vivant organisé en biocénose au cœur du biotope du milieu urbain. Comme tout corps vivant, l’administration se développe, se démultiplie, connaît des mutations… (cf nos chroniques de 2020).
Pressentie par Colbert au XVIIIe siècle, l’administration, sous sa forme actuelle, a été créée par Napoléon 1er dans la perspective d’organiser la vie du territoire, et immédiatement colonisée par les milliers de Corses appelés par l’Empereur pour aider à l’édification de la réglementation de la chose publique. Certains ont formé des générations de Corses au service de cette grande famille généreuse et accueillante : les douanes françaises, dont les Corses y sont devenus légendes.
Le pli était pris, l’orientation génétique de ce grand corps d’état s’est inscrite en direction de sa propre survie, de son développement, de sa croissance et son adaptation aux modifications de son biotope.
Parmi les éléments de la biodiversité dans laquelle évolue l’administration, il est une espèce avec lesquelles les relations sont complexes : la classe politique. La rencontre entre ces deux espèces s’est effectuée dans un sens qu’il n’a plus aujourd’hui, à savoir que la seconde a créé la première par besoin d’armes pour bâtir et conforter son pouvoir sur le Grand Sim City.
Sans remonter aux Romains, mais en passant quand même par Colbert, les arcanes d’un squelette d’une bureaucratie réglementaire se sont constitués au fur et à mesure, jusqu’au jour où, tel l’apprenti sorcier du poème de Goethe (repris avec brio par Walt Disney sur le poème symphonique de Paul Dukas), l’administration a muté pour n’exister que par elle-même, pour elle-même, avec ses prérogatives et ses grosses appétences pour le grand Monopoly urbain auquel elle fut conviée. On ne partage plus !
C’est alors que le biotope se complique d’une subordination qui s’infléchit réciproquement entre les détenteurs d’un fallacieux pouvoir politique et les détenteurs des manettes d’un pouvoir technocratique.
Essayez de réaliser une décision politique contre la volonté des techniciens chargés de la mettre en œuvre ! Ceux-ci sont alors capables d’inventer, manipuler, bidouiller quelques avis techniques, pléthore de DTU bien sentis qui vont s’opposer avec toute la candeur diplomatique nécessaire pour entraver la bonne marche du projet. Et le politique s’en va, marri, chercher ailleurs les breloques indispensables à sa réélection…
Chaque année voit s’affermir l’arsenal des dispositifs réglementaires qui assoit asymptotiquement le pouvoir des administratifs sur les politiques. Dans ces conditions il n’est pas anormal d’oublier le sens du vote.
Ces mal fonctionnements au dépend de la chose publique ne sont pas forcément des manifestations paranoïdes ni des luttes armées pour le contrôle du biotope. La ville n’est pas Gangs of New York.
Il y a simplement une différence culturelle fondamentale entre, par exemple, un élu déterminé à verdir son action (ce qui est plus que courant aujourd’hui) et les services administratifs en charge de l’orchestration de ce greenwashing.
L’exemple le plus cruel est la Réglementation Techniques 2020 dont nous allons hériter à partir de janvier 2022. Cette nouveauté administrative contient des articles d’une rare perversité qui dépassent largement en tracasseries ce que les politiques y ont mis comme intention.
Non content d’imposer des considérations thermiques, cette réglementation impose des choix architecturaux extravagants : murs en briques, planchers en hourdis isolés, vitrages isolants chauffants et rafraîchissants, volets qui bougent en fonction de la position du soleil. On y note certaines contradictions laissant libre arbitre à ceux de nos instructeurs qui comprendront les effets pervers de cette réglementation, et le pouvoir que cela leur donne sur les pétitionnaires.
Les nouvelles constructions doivent simultanément consommer un maximum de 10 kW/m²/an pour le chauffage, 100 kW/m²/an pour toute consommation énergétique (éclairage, eux chaude, chauffage) et être également BEPOS, c’est-à-dire à énergie positive ? Faudrait savoir ; à moins que le doute soit part de la manipulation et de la prise de pouvoir définitive sur la construction.
Une grande question parmi les questions pour les nouveaux élus s’ils avaient la compétence en matière de logement : qui paira pour le Bépos ? A-t-on envisagé le Waterloo dans la production de logements ? Une baisse de 20% des permis de construire (cf Crise du logement : c’est open-bar chez les ingés) est déjà à déplorer mais là, ce texte va plonger dans les tréfonds de l’âme des techniciens de l’éconarchie !
La qualité architecturale va forcément s’en ressentir, peut-être dans le bon sens, peut-être l’inverse… Faisons confiance en la créativité de l’architecture s’arcboutant depuis plusieurs générations contre l’hydre technicienne de l’administration.
Comme tous les corps vivants de la planète qui ont bâti des défenses contre les agressions multiples des prédateurs, l’architecture s’est affublée d’une créativité sans borne pour inventer des stratagèmes pour camoufler les camouflets sous d’épaisses couches d’esbrouffe architecturale, pour le meilleur ou pour le pire. L’administration, quant à elle, possède pour seule créativité sa capacité à développer son pouvoir de nuisance.
En ce qui me concerne cependant, je vais cesser de traiter des pérégrinations génétiques de l’administration car je n’ai pas encore les défenses immunitaires pour vivre sans permis de construire…
François Scali
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