L’n-spaces est un espace décuplé par une superposition de couches et de liens. Intéressons-nous à ces fenêtres, portes, passages, et à la propriété de ces liens qui libèrent et relient.
Les espaces physiques peuvent posséder des relations ajustables ou conditionnées avec des espaces virtuels associés. L’idée fonctionne à double sens : ascendant ou descendant.
Soit il s’agit d’un lien qui agit sur l’espace physique et transforme une de ses qualités : un espace virtuel associé impacte une couche de l’espace physique, par exemple via une gestion déportée qui sélectionne, met à jour et donne ou non accès à des informations.
Soit c’est une qualité de l’espace ou de l’utilisateur qui conditionne le lien : j’ai la clé donc je peux accéder à tel espace virtuel commun ou personnalisé. Dans ce dernier cas, ce sont les données, qui nous qualifient ou que nous produisons (profil permanent ou temporaire), qui ouvrent une porte, alors que dans le premier cas c’est plutôt parce qu’une porte est ouverte qu’un espace virtuel déporté agit sur des données contextuelles et/ou personnelles.
Déclenchement localisé
Dans Tilat n [http://www.arkhenspaces.net/fr/portfolio/2012-tilat-n-_-finlande/], un projet pour le campus de l’université Alvar Aalto à Helsinki, nous avions imaginé un dispositif permettant à des personnes extérieures d’assister au cours via un smartphone ou une tablette. Cette possibilité était conditionnée par la localisation, le moment et l’accessibilité donnée ou non par les élèves et leur professeur. Elle invitait ainsi des personnes extérieures à l’enseignement à assister à des cours virtuellement et découvrir, physiquement cette fois, les activités et la vie du campus, renforçant son attrait et sa singularité pour des non étudiants.
Autour de cette même idée, il existe déjà des applications qui proposent aux habitants d’un hôtel d’échanger dans l’espace-temps délimité de leur séjour. Cette mise en place d’un espace digital localisé renforce une idée d’hétérotopie [https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/heure-de-culture-francaise-les-utopies-reelles-ou-lieux-et] (Michel Foucault) à contre-courant de la globalisation. Cette pratique se développe sous diverses formes. Il existe aujourd’hui des applications touristiques pour les villes, pour les centres commerciaux, etc. Elles ne sont pas toutes équivalentes et leurs objectifs et finalités diffèrent.
Avoir accès à certains espaces virtuels ou à certaines de leurs spécificités uniquement en étant localisé dans un espace est un exemple de conditions, parmi d’autres, d’accès à d’autres lieux ou informations. Nous sommes encore aux balbutiements des possibles que le «smart» building ou city aideront à étendre, en ajoutant des connexions locales alternatives et complémentaires à celles du World Wide Web.
Cartographie : accessibilité et nature des liens
De manière étendue, le nouvel espace augmenté devient possiblement personnalisable, il peut ouvrir des portes vers d’autres espaces, et ces portes ne sont pas accessibles par n’importe qui, ni de n’importe où. Il peut conditionner l’accès selon différents critères : typologie de l’espace, nature de l’utilisateur (habitant permanent, temporaire, visiteur, etc.), localisation, moment, climat, etc. Ces critères peuvent varier dans le temps. Ils sont réglables, reconfigurables et traduisent une porosité variable de l’n-spaces.
Cette capacité à se connecter et/ou se déconnecter à des individus ou à des espaces physiques et virtuels, à des informations, en fonction de nombreux paramètres, permet de donner une couleur au lieu, de mettre en place ses rythmes. Le niveau d’amplitude des connections est une autre propriété de l’n-spaces. Elle aura une incidence sur la multiplicité de nos choix, la multiplication et nature des applications, des services, des usages et des typologies des traces.
Face à cet effet, la qualité, la combinaison et la présélection seront plus importantes que la quantité qui risque de perdre l’utilisateur. C’est à nouveau notre rôle d’architecte de se saisir de la conception de ces relations en lien direct avec la modélisation des espaces physiques. L’amplitude, la nature des liens, leur cartographie dynamique, exprimées entre autres à travers des algorithmes, identifieront le bâtiment comme le fait sa façade.
Les rythmes des environnements
Le lieu varie en fonction de différent paramètre (personnels, climatique, etc.) dans le temps, dans l’espace. Il se lie et se délie à d’autres lieux, aux individus et à une combinaison d’applications participant au rythme interne du bâtiment.
Le rythme est un élément essentiel d’un environnement. La sensation éprouvée au bord de la mer ou à la campagne est colorée par ces rythmes à différentes échelles. Dans une forêt, le rythme est la variation de la lumière et de l’ombre, des températures, des textures, des espaces, des atmosphères qui se modifient en fonction du relief, de la nature des arbres, de la forme et la taille de leurs feuilles, du positionnement de leurs branches, mais aussi des saisons, de la force de la pluie ou du vent qui agit sur les feuilles, de l’arbre lui-même, vivant, qui grandit, bouge, en fonction du climat et des autres arbres. Les arbres ne sont pas juxtaposés, ils produisent des synergies, des symbioses, ils appartiennent au corps plus grand de la forêt dont l’environnement est systémique. Un livre ne suffirait pas à décrire l’ensemble des variables qui constituent son rythme.
Tout environnement est régi par des combinaisons complexes. Ces mouvements agissent consciemment et inconsciemment sur nos rythmes intérieurs. Décrire un environnement sensoriel de bord de mer laisse apparaître les mêmes variétés de richesses : embruns, reflets, fraîcheur, textures d’écume, mélodie, sensation corporelle de l’eau contre le corps, scintillements, éclats, couleurs, etc.
C’est tout cela en relation avec notre statut d’animal humain qui nous rappelle que nous appartenons à un écosystème, une combinaison d’ensembles plus ou moins grands, plus ou moins mêlés qui nous dépassent.
Pourtant, j’adhère peu aux nombreux courants architecturaux autour du biomorphisme ou du bio-mimétisme. Notre rôle d’architecte n’est pas de copier la nature ou les phénomènes naturels. Il s’agit de s’en inspirer pour produire des langages architecturaux diversifiés, riches mais autant influencés par la biologie et la physique que par la mathématique (abstraction), l’art ou d’autres domaines moins (re)connus, plus irrationnels, instinctifs.
Dit avec des termes plus anciens, il n’y a pas d’un côté l’architecture géométrique et de l’autre organique mais l’un et l’autre avec des dosages différents selon les approches, les architectes, les projets, les périodes à la fois globales (c’est-à-dire les tendances ou effets de mode) et personnelles (l’âge de l’architecte et la transformation de sa pensée). C’est ce mélange que l’on retrouve différemment exprimé chez l’ensemble des grands architectes, comme par exemple avec Frank Lloyd Wright, Alvar Aalto et Louis Kahn.
Une pulsation architecturale
Il s’agit donc de s’inspirer pour chercher à produire et enrichir les propres rythmes du bâtiment ou de la ville, pas forcément avec une maîtrise complète mais en cherchant à bien combiner et en acceptant d’ajuster, de transformer dans le temps car la matière numérique au cœur de l’n-spaces est facilement modifiable dans les temps courts à la différence de la matière physique qui peut se réajuster aussi, mais sur des plages de temps plus grandes et avec des moyens plus importants.
L’architecte concepteur d’n-spaces partira donc à la recherche des rythmes qu’il souhaite insuffler à son bâtiment ou son quartier.
Eric Cassar
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