Etape 20 – Belfort > Le Markstein Fellering : moaï d'Alsace ?

Depuis Belfort, du territoire éponyme, les suiveurs du Tour de France de Chroniques rejoindront l’Alsace. Via l’île de Pâques de l’architecture contemporaine ?

A la veille de l’arrivée, un menu alsacien susceptible de « provoquer des indigestions », pour citer Christian Prudhomme, directeur du Tour de France. Sur ce format raccourci, où le cumul d’escalade atteint 3 600 m, tout est possible : un dernier round entre les cadors, une étape de la dernière chance pour les morts de faim qui n’ont encore rien gagné, un fait de course (nerveuse) qui rebat les cartes… Entre Ballon d’Alsace, les cols de la Croix des Moinats puis de Grosse Pierre, la Schlucht avant d’attaquer le Petit Ballon et le Platzerwasel, le terrain est miné et ça va flinguer de toutes parts.

Au départ de Belfort, après un petit-déjeuner dédié au « Belflore », un gâteau sur lit de framboises parfumées, sous une couverture d’amandes meringuées et parsemé de noisettes, quasiment sur la route du Tour, les suiveurs du Tour de Chroniques prendront la direction de Tendon, dans les Vosges pour visiter la halle conçue par l’Atelier d’architecture HAHA et livrée en octobre 2017.

Cette halle couverte de 440 m², construite avec un budget de 295 000 € HT, est un « équipement de loisirs » à vocation sociale, culturelle, sportive et événementielle. Implantée au cœur du village, pouvant accueillir 400 personnes, la halle accueille les festivités annuelles (fête du pain, repas des chasseurs, fête de la Saint-Jean) et l’organisation d’activités en lien avec l’école maternelle.

Son implantation met en lumière l’entité paysagère remarquable de la commune, zone humide protégée par sa précieuse biodiversité. Les gradins, le belvédère et les abords de l’équipement relient étroitement les usagers à ce grand paysage et ancre le projet dans son contexte de village vosgien.

Un projet qui valorise le savoir-faire artisanal des scieries locales, la mise en œuvre de matériaux biosourcés et de bois locaux (douglas) en structure de type encorbellement.

Après cette pause fraîcheur, quitter la route du Tour pour rejoindre Gérardmer où les amateurs de sport que sont les suiveurs iront visiter un ouvrage multisports (7 138,45 m²) livré en janvier 2022 par l’agence rouennaise AP-MA Architecture (Jean-François Périnet-Marquet et François-Xavier Decré). Son intérêt tout en un ? Compter un centre aquatique, une patinoire, un bowling et un mur d’escalade tous mis au goût du jour et aux normes d’accessibilité.

L’unité du nouveau centre aquatique s’exprime notamment à travers une façade surlignée par une large bande en mélèze s’inscrivant harmonieusement dans le paysage de forêt et de basse montagne. Cette bande est doublée de poteaux en bois portant les acrotères et les charpentes. Ce dispositif horizontal et vertical unit les parties existantes et nouvelles dans une même écriture. De plus, les parties anciennes sont pourvues d’une façade vitrée identique à celle des parties neuves.

Des hauteurs, distribuées dans la longueur de la façade, traduisent chaque espace : la plus élevée pour le bassin de nage, la moyenne pour le bassin ludique et la plus basse pour la pataugeoire. Deux verticales ponctuent cette volumétrie, assurant un effet de signal : la tour au sommet du toboggan et l’ascenseur.

Pas le temps cette fois pour les suiveurs de se baigner comme hier puisqu’il leur faut poursuivre la boucle du jour par le sud pour arriver dans à Breitenbach, dans le Haut-Rhin désormais. Bienvenue sur l’île de Pâques !

En effet, l’agence danoise Reiulf Ramstad Arkitekter, en collaboration avec ASP Architecture, a livré en 2020 un étonnant hôtel – 48° Nord – né de la rencontre de plusieurs cultures et composé de 14 hyttes de 20 à 60 m².

Breitenbach Landscape Hotel propose une expérience holistique d’écotourisme en Alsace, inspirée des traditions scandinaves et tirant parti des opportunités culinaires, de bien-être et de nature de la région. Perché sur les hauteurs du village, 48° Nord réinterprète l’hytte traditionnelle scandinave, lieu de retraite et de reconnexion avec la nature sauvage. Au cœur d’un site protégé Natura 2000, le projet a été conçu pour s’intégrer dans un cadre préservé sans jamais le déranger.

Le projet est né de la rencontre de deux cultures (France et Scandinavie), deux passions (nature et architecture), deux hommes (Emil Leroy et Reiulf Ramstad) et d’une communauté locale enthousiaste et solidaire du village de Breitenbach.

Breitenbach est un village unique, situé entre les Vosges et l’Alsace, avec une communauté très dynamique et fortement engagée politiquement dans une démarche éco-responsable, à travers diverses activités comme une brasserie écologique, des ruches, une production laitière et fromagère pour n’en citer que quelques exemples. Le maire lui-même, un végétarien enthousiaste, a lancé une agriculture écologique dans le village, encourageant constamment de nouvelles entreprises durables et écologiques.

Un client franco-danois, un architecte norvégien et un attrait commun pour le design et les matériaux naturels, c’est de cette rencontre qu’est né le projet 48° Nord, une expression architecturale unique.

Dommage que les suiveurs n’aient pas le temps d’y passer la nuit. S’ils avaient anticipé… En attendant, il est temps de rejoindre Colmar pour retrouver, pour la fin de cette dernière étape, l’agence Ameller Dubois avec laquelle nous avons quasiment débuté le Tour, à Pau.

L’agence parisienne – avec Stephan Manciulescu ACMH, architecte associé – a livré en 2022 la restructuration et l’extension de la fameuse bibliothèque des Dominicains de Colmar aux fabuleuses collections.

Un mot d’histoire. Établis à Colmar vers 1260, les Dominicains firent poser la première pierre de leur église en 1283 par Rodolphe de Habsbourg. Complété par les bâtiments conventuels vers 1300, le bâtiment est successivement transformé en caserne de gendarmerie, en école puis en bibliothèque municipale en 1955. Cet édifice aux multiples facettes recèle la mémoire écrite de la région Alsace depuis le Moyen-Âge.

Le projet a ainsi permis, non seulement de restaurer soigneusement le couvent et le cloître des Dominicains, joyaux du patrimoine colmarien, mais également de repenser la préservation et la valorisation de documents graphiques et écrits conservés, d’une valeur inestimable.

Le nouvel ensemble met à l’honneur l’édifice historique, développe de grandes qualités d’usage et offre une image d’exception, faisant écho au musée Unterlinden (couvent des Dominicaines) situé à proximité.

Haut-Rhin Ameller Dubois Alsace — @Patrick Bogner

Haut-Rhin Ameller Dubois — @Patrick Bogner

Au couvent, soigneusement restauré et libéré des multiples mutilations léguées au fil du temps pour en retrouver l’essence originelle, est adjointe une extension contemporaine en bois brûlé, véritable « silo » à livres destiné au stockage de documents moins prestigieux ; une passerelle entièrement transparente relie les deux constructions.

Les Dominicains accueillent désormais un large public désireux de découvrir par une scénographie séduisante la valeur de son double patrimoine, écrit et bâti. Les suiveurs pourront s’en rendre compte par eux-mêmes mais sans trop traîner pour rejoindre le Markstein Felleringcar car ils ne voudront pas rater le dernier duel entre les cadors, le Tour de France se jouant parfois à quelques secondes.

En tout cas, au moment d’aller se restaurer, les suiveurs connaitront le vainqueur du Tour. C’est donc détendu qu’ils pourront commander une choucroute locale – sans viande mais c’est moins local – arrosée de vin ou de bière selon les goûts – ou d’eau fraîche mais c’est moins local. Rassasiés, il leur restera à rejoindre la gare ou prendre la route vers Paris, avec en vue les Champs-Elysées.

Christophe Leray (dans la caravane)