Fabrice Desrez, directeur général des Nouveaux Constructeurs, avait le sourire au moment de recevoir le vendredi 10 mars 2017 la presse spécialisée pour la visite du ONE – encore un nom à la noix mais bon – un immeuble de 111 logements livré à Nanterre (92) au pied de l’arche de la Défense par l’agence londonienne Farshid Moussavi Architecture (FMA). Oui, le promoteur pouvait avoir la banane.
Il faut dire que les Nouveaux Constructeurs, promoteur de l’ouvrage, ont rarement les honneurs de la presse spécialisée mais là, pour le coup, à l’heure de cette visite de presse, le DG se rend bien compte qu’il se passe quelque chose avec son dernier bâtiment, quelque chose dont il n’a pas forcément l’habitude mais qui pour le coup le met visiblement de bonne humeur.
D’ailleurs tout le monde est de bonne humeur, qu’il s’agisse de Farshid Moussavi elle-même, petit bout de femme perchée sur des semelles compensées vertigineuses qui s’excuse de ne parler qu’en anglais, ou de Thomas Richez, architecte associé, et de tous les hommes et femmes de l’art présents ayant participé à la construction de ce bâtiment. C’est toujours bon signe quand le maître d’ouvrage et l’architecte sont également contents que vous soyez là, la presse je veux dire.
Fabrice Desrez explique en premier lieu les circonstances d’un concours en deux phases. La première était réservée aux promoteurs, à charge pour eux de proposer un programme et un budget sur cette parcelle au pied de l’arche de La Défense, voisine du stade de rugby de Christian de Portzamparc, au tout début des Jardins de l’arche, longue avenue piétonne qui descend ensuite jusqu’à la Seine. De fait, une adresse prestigieuse donc, à Nanterre.
D’évidence, les Nouveaux Constructeurs se sont montrés convaincants, proposant «de mêler en ce lieu toutes les formes d’habitat en milieu urbain». D’où ce programme composé de 110 logements étudiants, de 91 logements en accession, dont 72 en accession à prix maîtrisé et 9 appartements réservés aux Nanterriens. Dit autrement, toute la gamme des budgets et de quoi emporter le morceau auprès de Patrick Jarry, maire communiste de Nanterre, évidemment très impliqué sur le projet.
C’est à ce moment-là que le promoteur lauréat à fait appel à trois agences – LAN, Brenac & Gonzalez et FMA donc – avec une volonté de «upgrade» par rapport à ce qu’il fait d’habitude. Il est d’ailleurs perceptible, au travers de quelques hésitations, que Fabrice Desrez est peu familier de ces architectes ‘upgrade’ puisqu’il parle, avant d’être repris, de LAN comme d’une agence italienne. Mais Farshid Moussavi, cette architecte iranienne, diplômée de Harvard et enseignante dans la même école et dont l’agence est basée à Londres ? Discrimination positive ?
«Elle nous a été recommandée», indique le directeur général, qui ajoute que, pour ce qui le concerne, le projet de FMA était son choix, «et, celui du maire» : une lame qui accueille 11 étages en superstructure sur 16 niveaux, dont deux niveaux de parking. «En façade sud, les planchers sont effilés de deux degrés dans des directions alternées pour apporter une vue oblique sur l’Axe Historique depuis les surfaces extérieures tout en produisant une coupe étagée», indique l’architecte.
Quant au budget de cette opération, le promoteur convient «pour ce programme emblématique» avoir mis la main au portefeuille : 2 100€ du m² au lieu de 1 500€/m² dans ses programmes habituels. Les logements meilleur marché sont vendus 3 512€/m², ce qui montre que le promoteur a fait un effort. Il se rattrape sans doute avec les appartements en accession et les opulents duplex au sommet de l’immeuble puisqu’il indique que le prix de vente moyen est de 5 612/m².
Comme les Nouveaux Constructeurs commercialisent eux-mêmes ces logements, le promoteur a pu opportunément vendre en amont à l’université Dauphine une partie des studios étudiants. Toujours est-il qu’à l’heure de la visite, le bâtiment quasi livré, tous les appartements, sauf deux, sont vendus. Budget total pour les travaux : 20 M€.
Il faut cependant qu’elle fasse gaffe Farshid. Avec Thomas Richez à nouveau associé, elle construit actuellement à Montpellier un autre immeuble pour les Nouveaux Constructeurs, mais «à 1.600€ le m² cette fois» fait remarquer Fabrice Desrez. Comme quoi les promoteurs ne sont pas des mécènes. Si elle n’y prend garde, son prochain projet avec les Nouveaux Constructeurs, Farshid Moussavi devra le faire au tarif de l’architecte polonais.
Bref, même si elle n’ose pas encore s’exprimer en français, Farshid Moussavi le comprend et les questions d’argent des journalistes ont fini par la saouler. A juste titre d’ailleurs.
«L’architecture a des vertus sociales, à ce prix-là, ce bâtiment n’est pas luxueux mais il offre les attributs du luxe», dit-elle. Le parti pris pour son immeuble en témoigne, de deux façons. D’une part, en choisissant de faire un bâtiment qui longe sur toute la longueur l’alignement de l’arche et des jardins de l’arche – ce qu’elle appelle «étreindre l’horizontalité de l’axe» – elle propose un bâtiment étroit, 11 m, qui permet de n’offrir que des logements traversants, hormis pour les logements étudiants. Pour les appartements en bout d’immeuble, triple exposition.
Un fonctionnement qui permet de n’avoir que deux appartements par palier d’ascenseurs – il n’y a qu’un voisin à la porte d’à côté, pas de couloir, sauf pour les étudiants évidemment. Puis «des qualités de détails» que le directeur général en est baba, qui en a apporté pour preuve des plans de détails qui le sidèrent – ce qui peut-être en dit long sur sa façon de travailler habituellement. Compter encore des finitions soignées, des appartements divers et intrigants.
Le tout dans «une structure systématique» qui laisse entièrement libre l’aménagement intérieur puisqu’aucun appartement n’a de mur porteur, l’occasion pour les habitants de faire évoluer facilement leur logement. «D’abord un couple, puis ils ont des enfants, puis les enfants s’en vont», indique l’architecte comme une évidence. Un logement pour toute la vie en somme. Flexibilité ? En tout cas Fabrice Desrez de se féliciter de n’avoir, parmi les acheteurs, reconnu que 20% d’investisseurs.
Puis, Farshid Moussavi a habillé la façade de telle façon que nulle distinction ne laisse apparaître le statut de l’habitant. Ainsi sans doute a-t-elle su donner corps au projet initial vendu par le promoteur au maire, le mélange des modes d’habiter. «Le bâtiment permet des vies différentes, en ce sens il est inclusif», dit-elle. Elle explique avoir mis les logements étudiant sur les trois premiers niveaux, au-dessus des commerces, «pour animer la rue». Puis sur six niveaux les logements en accessions, encore au-dessus les duplex. «Un bâtiment haussmannien», dit-elle.
Avec ça une vision homogène des besoins. Chaque logement étudiant dispose d’une terrasse ou d’une loggia, chaque appartement d’un balcon ET d’une loggia. Quant aux duplex, ils ont tellement de balcons et terrasses que les propriétaires pourront choisir où prendre le petit déjeune en fonction du vent ou du soleil. Presque partout, des vues exceptionnelles sur la Défense, même aux étages inférieurs.
Et tout ça, rappelle l’architecte, avec «du béton, du verre, de l’aluminium, facile d’entretien». Le luxe selon Farshid Moussavi c’est aussi ne pas avoir des peintures qui s’écaillent et des frais d’entretien qui font regretter les lubies d’un architecte. Pour ce qui concerne le développement durable, avec son système de balcons et loggias qui sont eux-mêmes des pare-soleil efficaces, elle explique que l’on peut faire durable en utilisant MOINS de matériau. A visiter son bâtiment, chacun la croit.
Même si le luxe des triplex est peut-être démesuré – qui a besoin de quatre terrasses ? – la générosité des espaces exprimée partout est notable pour tous les futurs habitants. Dit autrement, apparemment cela vaut le coup de faire des appartements familiaux – jusqu’à 5 pièces ! De fait, ces 20 % d’investisseurs ne s’y sont pas trompés, le bâtiment n’est pas encore livré que des appartements sont déjà en vente sur Internet, avec un profit notable à la clef. C’est à son crédit que le promoteur tienne finalement à ce que son bâtiment rencontre véritablement ses habitants. Peut-être d’ailleurs que Patrick Jarry en avait fait aussi une condition sine qua non.
Fabrice Desrez précise cependant au fil de la conversation que, avec Farshid Moussavi, «ce ne fut pas facile tous les jours». En clair, l’architecte n’a cédé sur rien et, à la fin, c’est le promoteur qui a tout lieu de s’en réjouir.
Quoi qu’il en soit, lors de la visite, Fabrice Desrez était venu avec la doc habituelle de sa société à destination des journalistes, une plaquette dont on peut penser qu’il en est fier. Sur la couverture cartonnée, un bâtiment à Chatenay-Malabry, je crois, peut-être pas ; en tout cas, à regarder la photo de couverture de ce document, l’impression d’être à Varsovie.
Pour le coup, la joie du promoteur lors de cette visite de son bâtiment à la Défense faisait plaisir à voir. Que ne puisse-t-il se dire, pour le futur, qu’avec de la bonne architecture, il y a la place. Quant à Farshid Moussavi l’architecte, c’est une géante.
Christophe Leray