Un grand projet doit avoir une part de rêve pour emporter la plus large adhésion. Roland Castro, dans son rapport remis le 25 septembre 2018 au Président de la République, propose une atomisation de l’espace et de la pensée. Du Grand Paris à Paris en Grand ? Le Grand Paris vaut mieux qu’un jeu de mots. Tribune d’Alain Sarfati et Alain Cluzet.*
Là où nous attendions un Grand Projet, c’est une explosion qui est proposée. A vouloir faire plaisir à tout le monde on prend le risque de ne rien obtenir. Depuis banlieue 89 Roland Castro rêve de créer des lieux magiques et on aurait tort de le lui reprocher. Un grand projet doit comporter sa part de rêve. Le jeu de mots n’est pas suffisant pour envelopper un si vaste territoire. Il faut rêver, Chiche !
Il nous propose une métropole faite de 3000 villages et d’autant de visages différents ? Cette atomisation fera-t-elle un jour ville ? Permettra-t-elle de parcourir la métropole sans un GPS ? On peut se prêter à un tel exercice et dessiner comme le petit prince de St-Exupéry la ville et le monde rêvés. Après un siècle d’errements, d’aucuns pourraient espérer mieux.
L’attente des métropolitains est ailleurs. Habitants, entrepreneurs, décideurs, sont tous avides d’une métropole certes plus belle mais avant tout plus fluide, plus douce à vivre, à investir, à habiter, à partager. Une métropole créative qui permette quiétude et déambulations baudelairiennes mais procure aussi énergie, rencontres, opportunités propres aux villes mondes. Une métropole qui bluffe ses habitants avant les touristes.
La décontraction de Castro, la facilité avec laquelle il esquisse tel un impressionniste les lieux et ambiances d’un Grand Paris mythifié ne fait pas avancer sa construction. Il relate avec passion l’histoire urbaine de Paris du dernier siècle, les errances du mouvement moderne et les tentations récentes de nouveau départ. Mais, au total, c’est une explosion kaléidoscopique, une atomisation de la pensée et du projet qui en résultent.
Prudent plus que de coutume, flatteur avec les grands prescripteurs, Castro accole les idées à la mode sans défendre de ligne globale, d’unité et de réelle méthode pour l’action publique. Si le beau est la condition de l’attractivité, comment l’atteindre dans chaque lieu de la métropole ? Si la ville cède trop aux algorithmes, comment y échapper ? Et comment «lisbonniser» la géographie d’un grand bassin sédimentaire ?
Le lecteur reste perplexe devant un catalogue qui ne dit rien d’un «grand projet» et rien sur ce qui pourrait être son financement. Le Grand Paris Express, s’il a une utilité, ne saurait être l’unique moteur, il ne dit rien de l’ambition du «faire vivre ensemble». L’enjeu est important, il y va de l’avenir du rayonnement de la métropole et, au-delà de la France. Le saupoudrage et l’atomisation ne feront pas un projet ambitieux et partageable de façon pragmatique.
Nous pensons indispensable de regarder la métropole dans sa géographie, dans son histoire et d’en faire un modèle contemporain enviable pour «ses beautés et ses qualités de vie». Nous proposons de considérer deux idées cardinales.
Paris espace de centralité d’une métropole rayonnante
D’aucuns peuvent considérer la forme d’une ville comme secondaire tant les échecs ont été nombreux. L’erreur de l’urbanisme moderne tient dans la toute-puissance qu’il suppose pour faire le contraire de ce qui est naturel, et mépriser le marché. L’histoire de Paris en a fait une capitale radioconcentrique, son énergie est là. Chacun doit pouvoir se reconnaître dans le Grand Paris comme dans un tout, assumer un centre commun élargi à l’ensemble de la capitale dont rayonneront 20 grandes avenues, les actuelles routes nationales, comme autant de liens radioconcentriques à des villes-quartiers. Les 21 Avenues des Champs Elysées du XXIe siècle, se déroulent en portant toutes les vitesses, des transports en commun, de la distribution… Le Grand Paris a besoin d’un centre vaste et non sanctuarisé, appartenant à tous, accessible à chacun rapidement. Le Grand Paris Express ne pourra jouer ce rôle d’unification car il tangente la capitale sans réellement la desservir et se cache dans les entrailles des villes, comme le regrette fort justement Castro. A l’inverse hélas de Tokyo ou Chicago où le métro aérien participe de l’unité de la ville.
Ces avenues du Grand Paris, par une typologie commune de gabarit et d’aménagement, donneront une unité nouvelle et moderne à un ensemble de lieux trop souvent juxtaposés sans ordonnancement commun ou neutralisés par de seuls impératifs techniques. Plus les avenues du Grand Paris seront des manifestes, moins la mutation continue au sein des ilots sera difficile, car l’identité principale sera préservée.
Cette trame urbaine principale sera prolongée par une desserte renforcée de tous les lieux relégués de la métropole, pour donner à chaque quartier l’opportunité d’un vrai développement car l’enclavement psychologique, économique et communautaire, résulte bien souvent d’un enclavement physique.
Enfin, la trame verte de parcs et d’agriculture périurbaine, boisements, lacs et canaux, sera démultipliée pour faciliter les liaisons douces et les loisirs nature, la respiration des sols comme des habitants. Et la Seine doit devenir une vraie ligne de vie jusqu’au Havre.
La création d’une ceinture verte périphérique, également souhaitée par Castro selon le modèle londonien élaboré dès les années 1930 ou pékinois décidé dernièrement, stoppera l’étalement infini et procurera un bol d’air à tous ceux qui ne peuvent atteindre les rives bretonnes tous les week-ends.
Une croissance maîtrisée et une offre diversifiée
Pour cela il faut impérativement changer de logiciel de croissance. Abandonner au plus vite un objectif illimité d’emplois et d’habitants, comme l’ont déjà fait de nombreuses métropoles mondiales dont Shanghai, modèle néfaste pour l’environnement, la qualité de vie et la compétitivité, au profit d’une croissance ciblée à forte R&D et des partenariats avec les métropoles régionales.
Choisir des secteurs de croissance précis, dans des pôles métropolitains spécialisés et non dupliqués, est une condition majeure d’attractivité globale. C’est aussi une manière de donner du sens et de différencier les «Avenues». Il faudra privilégier une écométropole pilote en innovation verte, support des multiples technologies mises au point dans les grands laboratoires franciliens avec lesquels signer un pacte pour l’innovation technologique à l’instar de Bloomberg à New-York après la crise des subprimes.
Loger prioritairement les acteurs de la métropole, particulièrement les classes moyennes au lieu de laisser l’offre se focaliser sur deux pôles extrêmes, les populations nomades et les investisseurs immobiliers internationaux, deux catégories illimitées dans la mondialisation. Londres, Hong-Kong, New-York, Los Angeles sont des épicentres de cette bipolarisation destructrice. Trouver sa place sereinement entre Tokyo (40 millions d’habitants) et Francfort (700.000) sans continuer à doubler la construction annuelle de logements est une assurance de privilégier qualité de vie et agilité économique.
Si le Grand Paris a besoin de «poésie» c’est dans la perspective qu’il offre qu’il faut la trouver à toutes les échelles. La dissémination des projets n’aura un sens qu’à partir d’un Grand Projet imaginable, compréhensible sans GPS. La cohérence a d’abord besoin, de coordination des acteurs et de mouvement. Sacrifier ou minimiser l’un ou l’autre de ces ingrédients ne préserverait ni l’attractivité du Grand Paris ni la qualité de vie en son sein.
Nous n’avons plus ni le temps ni les moyens de tourner autour d’un sujet qui concerne tous les Français et qui doit devenir exemplaire dans son traitement comme l’a été Paris au XIXe siècle. Paris doit rayonner et redonner de l’espoir parce qu’y trouveront leur place tous ceux qui l’ont perdue. C’est un projet lisible et ambitieux qu’il est urgent de remettre en route. Le Grand Paris vaut mieux qu’un jeu de mots.
Alain Sarfati est architecte et urbaniste. Il a publié de nombreux ouvrages et articles sur l’architecture et la ville.
Alain Cluzet est docteur en urbanisme et directeur des services de collectivité au sein du Grand Paris. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articles dans les champs de l’urbanisme et de l’environnement. Il a été président du Conseil français des urbanistes.
(*) Le Grand Paris, l’accélération du monde, Éditions Infolio (octobre 2017), collection Archygraphy Poche, 187 pages.