Une étape accidentée et, pour les coureurs, une longue route pour traverser les Ardennes. A 6 km de l’arrivée, les puncheurs devront s’expliquer une première fois dans le mur de Pulventeux – 800 m à 12 % de pente moyenne – avant de régler leurs derniers comptes dans la côte des Religieuses. A moins que, pour parer à cette éventualité, un groupe de chasseurs ne se montre opportuniste pour tenter d’empocher la mise.
Avec 220 km à parcourir pour la caravane, les suiveurs du Tour de France contemporain ont tout le temps de flâner aujourd’hui. Et puisque le départ se fait à nouveau de Binche, en Belgique, qui était déjà ville départ de la 3ème étape du Tour 2019, ils se souviennent donc de ce dont ils ont besoin pour démarrer. Allez, quelques Gayettes du Pays Noir (petites truffes fondantes, garnies de crème au beurre et enrobées de chocolat au lait, à l’aspect de charbon symbolisant l’histoire minière de la région) et c’est parti !
Pendant que les coureurs commencent à s’échauffer, à un jet de pierre, juste de l’autre côté de la frontière, dans le Nord, les suiveurs du Tour contemporain peuvent commencer par visiter la gare de Jeumont, qui n’est plus une gare, l’ancien bâtiment ayant été réaménagé et réhabilité en 2007 en un ‘pôle numérique’ par les agences Sophie Thomas (AST) et Artéo.
Le programme du pôle culturel et de haute technologie se caractérise par la diversité des activités à regrouper dans un bâtiment dont la force architecturale se caractérise par sa longueur et son étroitesse : salle d’exposition, bar, salle de spectacle, studios son et vidéo, plateau de tournage, conservatoire de danse et musique, cybercentre. Le défi consistait à regrouper ou isoler les activités entre elles sans détruire la simplicité et l’évidence des volumes d’origine tout en veillant à ce que l’intervention conserve l’identité de la gare, ses matériaux, la poésie liée aux lieux, salle des pas perdus ou hall des douanes par exemple.
Quinze ans plus tard, les bienfaits de cette politique culturelle tardent à se matérialiser – il n’y eut pas d’effet Bilbao à Jeumont – mais le projet architectural n’en demeure pas moins réussi et intriguant.
Puisque ce Tour de France 2022, après un départ au Danemark, flirte avec les limites de l’Hexagone, en profiter pour repasser la frontière et traverser un bout de Belgique pour se rendre au Luxembourg que les suiveurs du Tour contemporain n’ont encore jamais eu l’occasion de visiter. Mini Tour du Luxembourg donc.
Avant d’arriver à Luxembourg ville, s’arrêter à Dommeldange où l’agence Metaform architects a livré en 2016, un immeuble de 15 logements absolument étonnant. « Chaque projet, au travers du programme et du site, doit posséder une réponse architecturale qui lui est propre, ce qui lui permet d’affirmer une identité unique », explique l’architecte. On ne saurait mieux dire pour ce cas d’espèce.
La réglementation municipale, qui ne prend pas en compte une topographie particulière et les normes et régulations locales n’autorisaient qu’un bâtiment de deux étages fait d’un seul bloc, avec un sous-sol plat. « Cependant, l’environnement, les conditions spécifiques et la forme du terrain offraient la possibilité d’une expérience différente », souligne l’agence.
Le terrain est situé le long d’une rue particulièrement courbe, avec un très raide dénivelé de 10 m et un arbre vieux de 300 ans, classé comme monument national. La séparation du volume principal du bâtiment en six blocs plus petits répond à ce contexte spécifique urbain et crée une transition subtile entre les pâtés de maison d’un côté et les résidences de l’autre. De cette façon, le bâtiment s’ajuste à son environnement, préserve la densité requise tout en entretenant les sentiments d’appartenance, d’identité et d’échelle humaine.
« La répartition et le décalage du volume furent étudiés pour répondre au mieux au besoin de lumière naturelle et d’ouvrir une vue panoramique sur le paysage, la ville et le ciel tout en conservant l’intimité des résidents », conclut Mataform.
A l’heure où se posent en France des questions de densité, Metaform démontre que la densité du collectif permet de créer une identité unique. Identité reprise par la ville de Dommeldange qui utilise l’image de ce bâtiment pour sa propre communication.
De là, se rendre ensuite place de l’Europe, destination prédestinée pour ce Tour international, pour visiter la Philharmonie de Luxembourg livrée par Christian de Portzamparc depuis quasiment vingt ans déjà et qui semble encore avoir été construite hier. L’ouvrage est de fait ouvert à la visite même s’il n’y a pas de concert ce jour-là.
Le plateau « européen » du Kirchberg incarne sans doute toutes les ratés et le sentiment d’inachevé de la construction européenne. Dans ce quartier froid où l’urbanité brille par son absence, la Philharmonie rappelle que si « less is more », l’homme c’est encore bien mieux. Les formes arrondies de la philharmonie et la spiritualité qu’elle évoque au premier regard sont des signes chaleureux dans un univers à angles droits où même la verdure des arbres tire vers le gris. D’un blanc immaculé, elle rend vain, par sa seule présence, l’orgueil des bâtiments qui l’entourent, y compris le musée de Pei, réduit à un pastiche de forteresse Vauban.
C’est d’ailleurs la Philharmonie qui tient lieu d’éclairage public pour cette place de l’Europe, Europe si attachée à ses services, si peu convaincue de la nécessité de culture. La façade sud, où sont situés les bureaux, la cafeteria et, tout près, l’entrée des artistes, s’ouvre en proue sur la vieille ville de Luxembourg, signifiant ainsi que là est le cœur de l’ouvrage, que dans « nouveau quartier », il y a quartier.
C’est à l’échelle de l’homme encore qu’une longue passerelle, protégée de l’extérieur par le péristyle, fait le tour du bâtiment. Malgré les hauteurs imposantes, l’espace y est à taille humaine.
Bref une visite incontournable et à savourer.
Après les saveurs musicales, il est temps pour les suiveurs de penser au déjeuner. Pour cela se rendre à Bridel, en banlieue de Luxembourg et, en plein-centre-ville, s’installer sur la plage au Boos Beach Club Restaurant. Sur la plage ? Au Luxembourg ? Avec un décor tropical ?
Tout à fait. Livré en 2016 par Metaform architects – les mêmes avec lesquels les suiveurs du tour contemporain ont commencé la visite du pays – ce petit ouvrage de 600 m², qui a remplacé un vieux bar, se veut ‘beach house’ grâce à la création ex nihilo d’une petite plage de sable blanc ; un restaurant qui se joue donc ici du climat et du lointain océan.
Entremêlé avec les maisons existantes du quartier, l’ouvrage est inspiré par l’art Japonais de l’origami. « Il ressemble à une feuille de papier pliée qui répond aux exigences du programme tout en créant une relation avec le bâti existant et s’ouvrant à la nature environnante. L’idée était d’intégrer harmonieusement la nouvelle structure dans le contexte naturel préexistant. Il s’agissait en même temps de montrer du respect à l’architecture existante en plaçant une structure légère en bois avec des vitres s’ouvrant sur le paysage », explique les architectes.
Pour préserver l’identité ‘Beach club’ du lieu, la nouvelle structure est faite de matières premières constituées de bois calciné, d’un sol en béton poli, d’acier brut, et pour la terrasse, de bois et de sable blanc. Sur la terrasse donc, les amateurs pourront commander du fierkelsjelli, du porcelet servi en gelée ou du kuddelfleck, un plat préparé à base de gras-double (tripes). Mais comme la journée est encore longue et qu’il n’y a pas de place pour une sieste, peut-être se régaler plutôt avec une ‘fritür vun der Musel’, des petits poissons pêchés dans la Moselle et frits.
Après le déjeuner, puisque les coureurs en sont encore de leur propre ravitaillement pour cette longue étape, les suiveurs peuvent pousser rapidement jusqu’à Grevenmacher, non loin de la frontière allemande, et chercher l’agence du cabinet WeB (Jean-Claude Welter, Maurice Bley). Atypique, elle est immanquable entre une villa des années 20 et un bungalow des années 70. Quand ils l’auront trouvée, les suiveurs auront aussi trouvé la banque mitoyenne. L’ensemble, livré en 2015, offre définitivement un concept structural singulier.
Pour la petite histoire, les deux bâtiments jumelés devaient initialement abriter l’agence d’architecture et des logements. Ils ont donc été conçus avec précision et passion. Aujourd’hui, dédiés au tertiaire – cabinet d’architecture WeB et une banque allemande – les architectes ont fait le choix « d’une matière vivante changeante avec le temps », de deux coloris différents.
Un détour qui permet donc, outre de retirer un peu de cash pour la suite de la route, de se convaincre qu’au Luxembourg, l’architecture contemporaine, si ce n’est pas forcément une question de goût, c’est souvent une question d’audace !
Puis, sans trop traîner, sur la route vers la France, avant de rejoindre Longwy pour l’arrivée de l’étape, rester encore quelque temps au Luxembourg pour un dernier petit détour jusqu’à Esch-sur-Alzette afin de découvrir sur le Campus de Belval, à l’Université des Sciences du Luxembourg, la réalisation d’Inessa Hansch Architecte (IHA), livrée en avril 2018.
L’objectif du projet était de développer un système de construction modulaire permettant l’intégration de structures pouvant accueillir diverses fonctions urbaines. Budget de 1,4 M€ !!!
Construit sur l’ancien site industriel d’Esch-sur-Alzette, le campus s’articule autour des vestiges d’une ancienne aciérie, dominée par des hauts-fourneaux. Inessa Hansch a conçu deux structures praticables (Structure A : 466 m² SDP ; Structure Université : 319 m² SDP) stratégiquement disposées afin d’offrir des espaces publics en étages dont la hauteur est celle des socles en béton des hauts-fourneaux, élevés à 12 mètres.
Belvédères, passerelles, arcades, escaliers, places, alcôves constituent des situations traversées et ouvertes au climat. Espaces semi-ouverts, en longueur, évidés, en mezzanine, sont quelques-unes des propriétés de ces ouvrages.
Après cette intrigante promenade en hauteur, les suiveurs peuvent rejoindre non loin l’arrivée à Longwy (France) largement dans les temps pour assister à la bagarre finale au sommet de la côte des religieuses.
Christophe Leray (dans la caravane)
Pour les suiveurs, retrouver :
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2021.
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France contemporain 2018