Après deux week-ends de travail pour le rendu d’un concours, Mme. B est partie en vacances à la campagne pour le bon air. Quelques fermes agricoles en bois ponctuent le paysage vert et vallonné. Elle apprécie cet environnement paisible où la nature côtoie les gens qui vivent ancrés dans son sol. Mme. B. décide d’adopter le mode de vie simple de ces gens courageux et, par la même occasion, de se changer les idées.
Peut-être l’occasion d’entamer un grand dialogue avec elle-même, se dit-elle.
Jour 2
Mme. B. aime les chaussures à talons aiguille. Elle se rend utile cependant et s’engage à préparer le pique-nique. En ‘pumps’ et veste vertes, of course, elle se rend donc à la boucherie du village afin d’anticiper pour les sandwiches. Boucherie fermée entre 12h et 15h.
Chenonceau, son premier Château de la Loire ! Trop de touristes qui l’empêchent de prendre toute seule des photos d’architecte. Dans un tel bâtiment historique, il y a en effet des aménagements contemporains. Dommage qu’à l’aune du prestige de l’immeuble, ces aménagements soient de mauvais goût. Va pour une bière !
Jour 3
Sur la route, des enseignes de grandes surfaces de bricolage, d’alimentation, de shopping center, il y a plein de monde ; ils sont tous dans les centres commerciaux. En ville il n’y a personne, même en faisant le tour des bars.
Nous passons sur une nationale siglée ‘Pont&Chaussée’ qui n’annonce que des Châteaux machin et des Châteaux truc. Nous allons visiter des caves, pas troglodytes, mais celles de vignerons avisés. Une dégustation cordiale et, ‘Ha quand même’, du bonheur d’être en France, se réjouit Mme. B. La prochaine fois, Mme. B. se promet d’aller dans les Alpes pour déguster tous les fromages.
Jour 4
L’ennui vient à Mme. B. qui ressent une sorte d’angoisse à rater quelque chose qui se passerait en ce moment dans sa grande ville. Le paysage naturel a l’air tout à coup mélancolique. Il lui dirait bien d’aller flâner au hasard dans les rues de sa ville avec ses baskets tendance.
Peu lui importe la banalité ou la laideur cruelle de quelques lieux de sa ville, elle y trouve toujours une source d’inspiration et une valeur poétique.
Ha, pourquoi pas faire un tour des bars du quartier, lieux sociaux-culturels s’il en est. Elle a envie d’aller se perdre dans l’épaisseur de sa grande ville – la foule, les bruits, les voix, la nuit en lumière, la musique, etc. – et de se faire surprendre par des rencontres spontanées.
Ce qui lui manque est peut-être cette dimension anti-mélancolie, anti-ennui et anti-désœuvrement qu’offre sa ville. En ville, c’est simplement moins cruel, pense-t-elle.
Jour 5
Elle se souvient de la dernière fois qu’elle s’est trouvée à l’aéroport. Les noms des grandes métropoles du monde défilaient sans arrêt sur le panneau d’affichage des vols. Londres, Berlin, New-York, Tokyo, Shanghai, Seoul… Mme. B. a envie de repartir en vacances et se plonger dans un nouveau bouillon urbain, à la rencontre d’idées diverses.
Les grandes villes sont des lieux de laboratoire extraordinaires. Là ont lieu les expériences sociales, culturelles et politiques qui seront transportées ailleurs. Tout y est constamment en mouvement et en évolution et les créations des artistes interagissent aussi sur cette stimulation urbaine. Ainsi naît un imaginaire collectif construit bien plus puissant que celui des nations.
C’est pourquoi Mme. B. demeure fascinée et ressent un fort sentiment d’appartenance envers la ville qu’elle habite. Aujourd’hui, l’intensité locale se perd de plus en plus à l’échelle mondiale. En Occident, les villes sont transfigurées par le tourisme et par la culture de consommation. En Asie, une fois les quartiers traditionnels remplacés par des grands ensembles de logements, il n’y a plus de ‘ville’, il n’y a plus que des ‘chez soi’.
Jour 6
En retour en ville, Mme. B. se retrouve sur une terrasse de bistrot. Elle n’a aucun rapport avec les gens présents mais elle apprécie la présence d’autrui. De la promiscuité en terrasse en guise de paysage naturel… Même les jours de pluie.
Les vacances de Mme. B. sont terminées. Son amour de la ville sera sans doute l’une de ses sources d’inspiration pour la conception de ses projets.
En attendant, retour sur terre. Metro, boulot, dodo.
Et les talons qui sont pleins de terre !
Hyojin Byun
Le blog de Hyojin Byun
Cette chronique est parue en première publication sur le Courrier de l’Architecte le 29 mai 2013