Et si le monde d’après était le même… « en un peu mieux » ? Conscient des difficultés que peuvent subir les plus petites et les plus jeunes agences bordelaises, « souvent talentueuses », Olivier Brochet, architecte, professeur d’architecture, cofondateur de BLP & Associés, membre titulaire de l’Académie d’Architecture, se sait mieux loti pour tirer les enseignements d’une période confinée et appeler le métier à toujours plus d’autonomie.
De mars à juin 2020, durant le confinement et jusqu’au déconfinement, l’Académie d’architecture a questionné ses académiciens et académiciennes quant à leurs réponses et réactions face à cette contrainte inattendue. Chroniques d’architecture publie neuf de ces entretiens.
Académie d’architecture – Comment avez-vous vécu le confinement ?
Olivier Brochet – Je préfère le confinement dur au déconfinement mou actuel. L’agence a, il me semble, assez bien supporté cette première période. J’ai, pour ma part, adopté un rythme drastique de vie et d’organisation dès les premiers jours. J’étais seul à l’agence, avec un collaborateur. Tous les architectes et les associés ont été confinés. Les uns – une trentaine – en télétravail. Les autres – une dizaine – en chômage partiel.
Pourquoi décider d’aller chaque jour dans vos bureaux ?
J’ai souhaité ne pas partir sous les pins du bassin d’Arcachon afin de venir quotidiennement à l’agence ; j’appréhendais une forme de relâchement. Pendant les 55 jours du confinement, je suis arrivé tous les matins à 7h30 avec le lever du soleil. Je pouvais alors tranquillement travailler à la main. C’était une manière de retrouver mes fonctions d’origine ou, plus encore, un métier où les retours n’étaient pas encore instantanés, ni les numérisations 3D immédiates. Ce confinement a été l’occasion de recouvrer le temps de la réflexion.
J’ai alors étudié sereinement trois concours ; tout a été dessiné à la main et mon travail n’a jamais été interrompu par des fonctions de direction. C’était un rythme intéressant. Pour l’affirmer plus encore et m’y tenir, je me suis mis à communiquer sur les réseaux sociaux. C’était nouveau pour moi, je communiquais l’humeur du jour, le travail en cours, ce rituel a rythmé mon temps. Tous les matins je publiais une photographie que j’accompagnais d’un texte. C’était le préalable à une journée de dessin.
N’étiez-vous donc pas rattrapé par l’activité de l’agence ?
Les affaires courantes ont été gérées par les chefs de projet et par les jeunes associés. J’ai suivi avec un œil plus lointain les DCE ou encore les phases très avancées de certaines opérations. Moins sollicité sur ces points, j’ai pu davantage me concentrer sur la conception des projets nouveaux et sur les concours.
Qu’avez-vous appris, in fine, de cette période ?
J’ai d’abord été conforté dans cette récente décision d’associer trois jeunes architectes à l’agence. Autonomes, ils se sont montrés, tous, excellents.
Quant à une leçon, j’ai sans doute appris, pendant cette période, à mieux sélectionner l’essentiel de ce qui ne l’est pas. Notre métier est encombré de tâches administratives. Or, dans le mouvement permanent, il n’est pas aisé de distinguer les degrés d’importance. Arrêter la réunionite a, sans doute, été le plus bénéfique. L’avènement de la visioconférence nous a conduit en outre à nous concentrer sur les sujets les plus importants. J’appelle désormais de mes vœux un véritable recentrement du métier sur l’essentiel.
Avez-vous modifié votre relation à l’autre ?
Dans ce temps de confinement, nous avons a fortiori moins besoin des autres. En conséquence, la créativité gagne en autonomie. Je me suis donc senti, pendant ces deux mois, comme dans les années 80 en retrouvant le sens du dessin. Les trois concours sur lesquels j’ai travaillé sont des propositions que j’estime issues d’une créativité plus libre. C’est comme cela que j’ai commencé à travailler au Maroc, il y a quarante ans. Tout était à cette époque encore lié au dessin. Seule la réalisation appelait une chaîne d’avancées et de responsabilités impliquant tour à tour d’autres personnes.
Aujourd’hui, il n’y a plus que 10 % de mon temps – et je m’y astreins – consacré à la créativité. Pendant le confinement, c’était 100 %. Habituellement, tout est plus rapide. La moindre proposition formelle ou spatiale est immédiatement corrigée. Là, je me suis de nouveau senti le seul auteur de mon projet. Quel contraste avec notre quotidien ! La conception se réduit désormais à un aller-retour violent avec une multitude d’intervenants. Ce sont aussi des déplacements intempestifs à travers la France. Si ces mouvements sont certes une manière contemporaine de passer le temps, ils nous privent d’un temps de réflexion plus serein. J’aimerais alors pouvoir conserver ces grandes plages de pensées et d’autonomie qui ont marqué ces mois confinés.
Réclamez-vous, à la suite du confinement, un exercice plus solitaire du métier d’architecte ?
Non, mon travail est toujours basé sur l’échange et, même en temps de confinement, cet échange s’est maintenu. La solitude à laquelle j’aspire est toute relative. Réfléchir ensemble et travailler à partir de propositions partagées autour d’une table a toujours été ma manière de faire. Le recul qu’a permis cette période confinée renforce simplement l’envie d’une phase supplémentaire de conception en autonomie laquelle ne constitue évidemment pas tout le processus de conception du projet.
Aujourd’hui, souvent, ce temps spécialisé, concentré sur la discipline architecturale, n’a pas lieu puisque tous les éléments constitutifs du projet sont mêlés dès le début des études. La société a des exigences techniques, normatives, sécuritaires qui nourrissent le projet et le conditionnement ; elles constituent un cadre obligatoire mais ne font pas le projet.
Dans ces circonstances, il nous faut organiser le temps de la conception en retrouvant une liberté de ton et d’invention. Le planning des affaires en est malheureusement souvent l’ennemi. Ce temps suspendu m’a donc rendu un regard préalable, autonome et préparatoire au travail complexe de mise au point.
Quel regard portez-vous sur le monde de « l’Après » ?
Demain ne sera pas, comme l’écrit Houellebecq, pareil « en un peu pire ». Je n’aimerais pas, en tous les cas, le penser. Il y a sûrement des effets positifs sur les projets. Peut-être un plus grand nombre d’humains se montreront adaptés à une vie plus simple et localisée.
Nous devons réfléchir à la production d’un habitat qui revient à une certaine simplicité, éviter la compacité à tout prix que les entreprises actuelles prônent pour des raisons de rentabilité.
Travailler à des notions de seuil, d’entre-deux, de territoires de rencontres et d’échanges entre les logements. C’est aussi un logement avec des habits trop grands, des limites plus floues, des zones d’expansion et de respirations.
Les modèles type ont vécu. Il faut donc en imaginer d’autres, plus conformes à la vie nouvelle, à l’évolution des cellules familiales. Tout ceci est d’ores et déjà en mouvement, ces recherches existent et sont quelquefois réalisées dans des opérations phares saluées par la critique. Mais regardons le paysage actuel, en dehors de ces opérations plébiscitées ; chacun peut, en traversant la France, se rendre compte que toutes les villes connaissent la prolifération de bâtiments sans qualité. La ville générique se développe plus que jamais et, avec elle, un mal-être profond exprimé, entre autres, par les Gilets Jaunes.
Demain notre architecture devra contribuer à une ville plus naturelle moins agressive à l’égard de l’environnement, plus agréable à vivre. Tout ceci est en marche mais certains modèles dominants ont récemment menti, en détournant les objectifs salutaires énoncés. Sortons des faux-semblants de la communication pour rétablir une production de l’habitat plus engagée fondée sur les notions de bien-être et d’échange.
Propos recueillis par l’Académie d’architecture
Entretien réalisé en juin 2020
Retrouvez les neuf entretiens de la série.