Quel rôle pour le dessin dans l’architecture moderne ? Selon l’architecte Sergei Tchoban, les fantasmes architecturaux permettent de créer des formes complexes pour envelopper la ville. Une approche historique et visionnaire ?
La Galerie d’Architecture de Paris a accueilli en mars et avril 2020 Une ville dessinée, une exposition personnelle de dessins de l’architecte et artiste germano-russe Sergei Tchoban, chef du bureau SPEECH (Russie) et Tchoban Voss Architekten (Allemagne).
Les bâtiments les plus célèbres de SergeI Tchoban sont la tour de la Fédération à Moscou, le musée du dessin d’architecture et l’hôtel Nhow à Berlin, le Nevskaya Ratusha à Saint-Pétersbourg, la reconstruction du stade Loujniki à Moscou, le palais des sports nautiques à Kazan (Russie). En 2018, Sergei Tchoban a reçu le prix européen d’architecture « pour ses conceptions puissantes et sa vision artistique unique qu’il apporte à chacun de ses projets ».
Sergei Tchoban est le président du jury du concours international de dessin d’architecture “ArchiGraphicArts”, dans le cadre duquel je l’ai rencontré. Il est un promoteur actif de l’art des dessins d’architecture qu’il collectionne. En 2013, il a ouvert à Berlin le premier musée au monde dédié au dessin d’architecture où j’ai pu contempler, à son invitation, une grande collection de graphiques architecturaux, y compris ses propres œuvres. Lors de cette visite, j’ai découvert pour la première fois des œuvres originales de l’auteur, parmi lesquelles certaines ont été présentées à Paris lors de l’exposition.
Ces œuvres sont basées sur les fantasmes architecturaux de l’auteur et sur l’interaction contrastée de la ville historique et de l’architecture moderne, Sergei Tchoban expliquant que la ville coexiste avec de nouvelles couches d’architecture. Dans ses fantasmes, l’homme de l’art regarde vers l’avenir où les possibilités de l’architecture lui permettront de créer des formes complexes qui pourront envelopper la ville. L’architecte s’interroge : quelle place occupe l’architecture moderne dans la ville ? Est-elle secondaire par rapport aux bâtiments déjà existants ? La réponse de l’auteur est que l’architecture moderne ne doit pas disparaître à l’arrière-plan. Elle est complexe et contrastée, elle équivaut aux bâtiments construits dans le passé.
L’exposition se composait de plusieurs sections unies par l’idée commune de « couches urbaines ». Dans chaque section, à l’aide d’une série de dessins Sergei Tchoban présente l’interaction d’un environnement urbain particulier avec des bâtiments modernes et montre l’importance de leurs silhouettes. Clairs et compréhensibles, ces dessins montrent la superposition contrastée des époques différentes dans une ville.
Chaque dessin de l’auteur incarne ce phénomène. Par exemple, des deux dessins de Berlin émergents des paysages de développement urbain avec de nouveaux volumes architecturaux aux silhouettes et formes complexes.
L’auteur observe également l’environnement architectural de New York et de Chicago. La superposition de plusieurs époques et styles architecturaux crée une nouvelle esthétique. Les époques alternent progressivement, les immeubles de la fin du XIXe siècle, les gratte-ciel du XXe siècle et encore plus loin, l’architecture complexe de la nouvelle couche, la couche du futur, comme le voit l’auteur. A noter que ces dessins ne sont pas utopiques mais au contraire très précis, ils préservent la taille humaine des espaces grâce aux détails et à la plasticité nés de l’équilibre des couches architecturales.
Certains dessins représentent des fragments architecturaux encadrant l’ancienne architecture par la nouvelle, Sergei Tchoban soulevant alors la question de l’interaction de l’architecture à travers les points de vue, les points de focalisation, à travers les détails.
Ainsi, le contraste et la plasticité de la série consacrée à l’interaction entre des paysages architecturaux de Rome, des gravures de Piranesi et des volumes complexes modernes sont très intéressants. Ici Sergei Tchoban exagère les liens entre l’ancien et du nouveau en prenant comme base les exemples les plus importants de l’image et du paysage architectural harmonieux classique. Ainsi, dit-il, le développement de la ville est inévitable et nécessaire, l’architecture moderne va changer et transformer nos villes et les paysages panoramiques déjà devenus classiques ne font pas exception.
Une partie importante de l’exposition était constituée de dessins pour la scénographie théâtrale où Sergei Tchoban passe de l’échelle de la ville à l’échelle du décor, une transition difficile quand ses dessins théâtraux font partie du paysage urbain ou, au contraire, quand c’est la ville qui devient un décor théâtral.
En témoigne le clou de l’exposition, un grand dessin au fusain (7,2 x 2,7m) qui, grâce à son échelle, crée avec succès une sensation d’immersion du spectateur dans la vision architecturale, lui donnant la possibilité de faire partie de l’espace créé par l’architecte.
Pour Sergei Tchoban, dessiner est enfin l’occasion de regarder l’architecture à travers les yeux d’un citadin : il analyse les bâtiments qu’il dessine tandis que, en même temps, dessiner est s’analyser soi-même avec le choix de l’objet du dessin, de la manière de composition, du principal et du secondaire. Ce que veut dire Sergei Tchoban est qu’un architecte qui dessine affine d’une part son point de vue en représentant à plusieurs reprises des architectures différentes, d’autre part il peut changer la manière d’étudier l’architecture en expérimentant avec les matériaux et les techniques.
Il est rare de voir une exposition de dessins faits à la main par un architecte moderne. L’approche de Sergei Tchoban montre tous les avantages et la nécessité du dessin. Les œuvres présentées à l’exposition Une ville dessinée sont l’occasion de redéfinir le rôle du dessin dans l’architecture moderne qui n’est rien moins qu’une forme de transmission des idées, une méthode d’analyse et de réflexion.
Vladimir Balasanyan