Fait très rare pour des étrangers, les architectes Romain Viault, à Paris, et Xavier Laumain, à Valence, ont cette année été invités à participer aux Fallas de Valencia, en Espagne. Leur création éphémère, un arbre intitulé PostNatura, après un an de travail, s’est consumée le 19 mars en une demi-heure. Retour d’expérience.
Xavier m’a contacté en avril 2016 pour me dire qu’il était invité à participer aux Fallas de Valencia. Xavier habite Valence depuis plusieurs années avec sa femme Angela, architecte également. Ils avaient participé avec un de leurs amis artiste à la conception de l’une de ses fallas. Nous sommes tous deux architectes et amis d’enfance, depuis le lycée. J’avais fait Erasmus en Espagne et je parle espagnol. De fil en aiguille…
Nous avons regardé comment les artistes représentent l’arbre avant d’aboutir à un système dichotomique. Notre arbre est donc composé d’éléments préfabriqués en forme de Y, l’arbre se ramifiant de façon dichotome, ses branches se subdivisant selon une suite géométrique élémentaire : 1 > 2 > 4 > 8 >16 > 32 … Il y a sept tailles de pièces différentes pour 272 pièces : le tronc fait 3 m, les premières branches 1,80 m, les deuxièmes 1,20m, etc.
La maquette n’était pas une demande. Nous l’avons construite au fil de la conception comme un grand jeu d’assemblage, simple à monter. Les pièces fendues sont similaires à celles que l’on trouve dans les jeux d’enfant. Nous avons réalisé une dizaine de maquettes, une pour le président de la falla Catielfabib, une autre pour la fallera Mayor, d’autres pour tous ceux qui nous ont aidés, et une chacun pour Xavier et moi. De fait, notre but est également de sensibiliser le public à l’environnement et cet objet est un bel outil pédagogique.
Nous avions l’idée de l’arbre et du Y dès juillet et en avions réalisé la 3D en septembre au moment de présenter notre falla à la Falla Castielfabib. La falla signifie aussi bien l’œuvre elle-même que l’association de quartier qu’elle représente. C’est donc le président de la Falla de Castielfabib, un quartier de Valence, et la ‘fallera mayor’, l’ambassadrice des fallas 2017, qui nous ont passé commande. C’est lors de cette première présentation que le jury nous a dit : «attention, il faut de la couleur». Les fallas sont en effet toutes colorées. C’est ainsi que nous avons eu l’idée de peindre en rouge la tranche de tous les éléments. Cette teinte alerte, évoque l’amour de la nature et la colère de l’avoir laissé dépérir.
Le fait de faire le projet en 3D, avec nos outils d’architectes, nous a permis de n’avoir pas de surprise plus tard lors du montage. La conception s’est faite à Paris, la construction à Valence. Le tronc est un ouvrage complexe, notamment dans la façon dont il se raccorde aux racines et c’est un menuisier Valencien qui l’a réalisé. Son savoir-faire nous a permis d’anticiper les problèmes. Il faut aussi prendre en compte les éléments météorologiques. Las Fallas de Valencia est une manifestation qui se déroule en plein air et le vent et la pluie sont les ennemis des fallas. Cette année, une grande falla est tombée à cause du vent. Ses falleros l’ont rafistolée et remise debout mais leur fête était gâchée. Quand notre arbre fut monté, nous l’avons vu osciller doucement avec le vent mais il avait fallu auparavant le protéger de la pluie avec des bâches, du scotch et des sacs de sable.
Les habitants du quartier étaient surpris de voir des étrangers, surtout des architectes et non des artistes, participer à l’élaboration de leur falla. Il s’agit en effet d’une fête véritablement traditionnelle, conservatrice pour une bonne part, avec la religion jamais très loin. Comme en plus nous étions dans la catégorie expérimentale, au début les gens n’hésitaient pas à faire des remarques désobligeantes. Puis, ils ont adhéré au projet au fur et à mesure que l’œuvre s’élevait. Alors quand nous avons gagné le 1er prix dans la catégorie générale ‘Ingéniosité et Grâce’ et le 4ème prix de la catégorie ‘Expérimentale’, tout le quartier était vraiment très heureux. Toute la falla nous a accompagné en procession jusqu’à la place de l’hôtel de ville.
Ce n’est pas un carnaval, les gens ne sont pas déguisés, ils sont costumés, endimanchés en quelques sorte, la fanfare nous ouvrant la route avec des chants que les Valenciens reprennent en chœur. En arrivant sur la place de la mairie, chacun découvre les processions des autres fallas qui viennent comme nous de toute la ville chercher leurs prix, de magnifiques fanions brodés, et nous en avions deux ! Les Valenciens ont une faculté à faire des processions, à magnifier l’évènement. Une haie fut formée au moment d’aller déposer les trophées au club de la falla Castielfabib. C’est sous les applaudissements et emmenés par la fallera mayor que nous avons rejoint la salle du dîner.
C’est vraiment une fête des Valenciens pour les Valenciens. Le 19 mars, jour de la ‘crema’ et de la saint-Joseph, patron des charpentiers et des menuisiers, est férié à Valence. Il faut cotiser pour être membre d’une falla – ils font une fête par semaine – et il faut apporter une contribution pour être la fallera mayor de sa falla, voire une somme élevée pour espérer être la fallera mayor de la ville qui sera reine de Valence pendant un an, jusqu’à la ‘cremà’.
Les fallas sont donc financées par les falleros eux-mêmes, les festivités l’étant par la ville et quelques sponsors, assez discrets d’ailleurs mais que l’on retrouve dans la liste des donateurs de certains prix. Le tout dans un pays qui connaît de grandes difficultés économiques. Mêmes ceux qui ne sont pas falleros donnent facilement un coup de main.
Il y a encore le musée des falleros. Le ‘ninot’ est une présentation stylisée du projet en trois dimensions exposée à la Cité des Arts et des Sciences pendant un mois avant le début des festivités. Les gens payent pour visiter et votent pour leur ‘ninot’ préféré. Celui qui a reçu le plus de votes est «gracié» et ne sera pas brûlé. Il rejoindra ensuite le musée. Un sur 760 !
Nous avions pour notre falla un budget limité qui ont couvert les frais de production : les matériaux, la découpe laser, la colle, le menuisier, la nacelle et celui qui la conduit, le transport, etc. De fait, nous avons aussi dû réfléchir à la combustion. En effet, la falla ne peut pas brûler en trois minutes, sinon il n’y a pas de spectacle, elle ne peut pas non plus brûler pendant quatre heures, qu’il faille les pompiers pour l’éteindre.
Nous avions fait des tests de combustion dans le jardin mais cela ne prenait pas bien. En fait, la ‘cremà’ est précédée d’un feu d’artifice et l’artificier qui s’est occupé de notre falla a judicieusement placé quelques bouteilles d’huile et notre arbre s’est consumé merveilleusement, les branches retombant sur elles-mêmes et alimentant le brasier. C’est à ce moment-là que m’est revenue en mémoire la phrase d’Auguste Perret «l’architecture c’est construire de belles ruines». L’architecture se construit sur ses éléments porteurs et c’est ce qui demeure le plus longtemps ; notre ouvrage s’est défait comme on l’avait fait. Notre ‘cremà’ a duré une trentaine de minutes, le temps que le tronc cède. Tous les spectateurs ont adoré. Pour Xavier et moi, c’était un moment émouvant d’autant qu’il y avait beaucoup de monde pour assister à notre ‘cremà’.
Il était surprenant de réaliser que partout en ville brûlaient des centaines de fallas. Les fallas infantil s’embrasent à partir de 23H. Les grandes fallas comme la nôtre à minuit. Les grandes fallas de la catégorie ‘especial’ s’enflamment à minuit et demi, tous ces feux de joie – ils célèbrent l’arrivée du printemps – se terminant avec celui de la grande falla de la place de l’hôtel de ville.
Suite à la visite de la commission ad hoc, il n’y avait pas de pompiers autour de notre arbre. La maîtrise des Valenciens du feu des fallas est étonnante. Ailleurs en ville, dans des rues ou sur des places encaissées, les fallas flambent à toute proximité des immeubles. Il n’est pas rare paraît-il que des commerces y perdent leur auvent.
La falla Castielfabib nous a proposé de revenir l’année prochaine mais que faire d’autre au même endroit dans les mêmes circonstances alors que nous avons tout donné dans ce projet-là ? Peut-être dans un autre endroit de Valence ? Ce fut une magnifique aventure mais pendant dix jours intenses je n’étais pas à l’agence et du travail m’y attendait (rires).
En revanche, ce fut pour nous l’occasion de rencontrer des représentants du festival Burning Man au Nevada. Poursuivre l’expérience de cette façon est une idée intrigante car d’autres contraintes entrent en jeu : cela se passe en plein désert, il n’y a pas de grue, il faut gérer le transport. Et à la fin, des sculptures brûlent à nouveau (rires).
Romain Viault, avec Xavier Laumain
Retrouver ici tous les épisodes de l’aventure.
*Le festival Burning Man est une grande rencontre artistique qui se tient chaque année dans le désert de Black Rock au Nevada (USA). Elle a lieu la dernière semaine d’août. En 1986, à San Francisco, un dénommé Larry Harvey propose la crémation festive d’un mannequin géant sur la plage de Baker Beach. En 1990, l’événement est déplacé dans le Nevada pour permettre l’accueil, dans une sorte de ville temporaire en plein désert, d’installations (Art Camps) et de participants (Burners) de plus en plus nombreux. (Wiki)