Le thème de la deuxième édition des ‘Afterworks’ de l’architecture, le mercredi 8 juin 2016 à la Maison de l’architecture en Ile-de-France était : quelle architecture pour les centres commerciaux et les espaces marchands ? Denis Valode (Valode & Pistre), Antonio Virga (Antonio Virga architecte) et Vincent Parreira (AAVP) étaient réunis à l’occasion pour apporter, à la lumière de leurs expériences, quelques éléments de réponse. Compte-rendu.
Après avoir traité de La petite Madelaine et d’Europa City, alors même que le groupe Sopic lance avec l’agence Wilmotte & Associés un nouveau concept de centre commercial ‘inédit’ (sic) intégrant «une immense ferme pédagogique ouverte toute l’année», Chroniques d’architecture poursuit son exploration sur ce sujet.
Les centres commerciaux, de ceux qui pullulent en périphérie et vident les centres-villes, se sont développés d’abord aux USA avant que le modèle ne débarque en France dans les années 60 sous l’apparence du centre commercial de la Croix-Blanche à Sainte-Geneviève-des-Bois, dans l’Essonne. Selon Denis Valode, «au XXe siècle, l’architecture et le commerce ne font pas bon ménage alors même que la France produit un grand nombre de ces espaces». Certains sont pourtant selon lui des réussites comme ceux conçus par Claude Parent à Reims ou à Sens, le grand centre Bercy 2 de Renzo Piano ou encore l’Euralille de Jean Nouvel.
De fait, l’antinomie entre architecture et commerce est plutôt récente, en témoignent sans doute, parmi les plus beaux ouvrages de la Belle Epoque, les passages couverts parisiens, les halles et autres grands magasins. «Ces constructions, qui sont encore aujourd’hui des temples de la consommation, ont été des succès dès leur ouverture», souligne Denis Valode qui les compare à l’échec des «boîtes rectangulaires en zone périurbaine». Il s’est inspiré dit-il de celles-ci, se défiant de celles-là, pour la réhabilitation du centre Beaugrenelle à Paris.
Surtout, le commerce était urbain. «Les marchés étaient entièrement inclus dans la ville, comme le marché Saint-Germain dans sa forme historique qui avait des allées couvertes qui communiquaient avec la ville, les passages couverts étaient également des lieux totalement urbains. Quant aux grands magasins comme le Bon Marché, ils jouaient le jeu de la ville parce qu’ils étaient conçus comme des îlots à part entière, avec des façades sur rue et des cœurs d’îlot. Dans leur forme, ce sont presque des anti-centres commerciaux tels qu’ils sont pensés aujourd’hui», relève-t-il.
L’agence Valode & Pistre a livré en 2013 le nouveau centre Beaugrenelle dans le quartier du même nom. L’ancien centre commercial, comme le quartier alentour, était alors tombé en désuétude. Pour l’agence, les raisons de l’échec du centre commercial, pourtant situé dans une zone de chalandise pourtant propice, étaient justement liées à son manque d’urbanité.
«Finalement, c’est la forme urbaine qui ne fonctionnait pas», explique l’architecte. «Le centre commercial initial était au-dessus de la dalle, sans lien avec la rue qui était un sous-sol. Quarante ans après, nous avons fait le tri ! Puisque la séparation des circulations ne fonctionnait pas, nous avons repris l’idée de la dalle mais uniquement sous forme de passerelles afin de ramener les commerces au niveau du sol. L’enjeu était de recréer l’îlot urbain, avec des façades sur rue et des atriums, et des liaisons avec la rue afin de mettre en évidence une plateforme d’échange en relation les commerces, avec le quartier, avec le sol et avec la dalle».
C’est ce principe d’une trame urbaine simple faisant le lien avec la ville préexistante qui a d’ailleurs selon lui permis à l’agence de gagner le concours, pour le Jeddah City Mall, à Jeddah en Arabie Saoudite, un immense quartier commercial qui prendra place aux pieds de la future plus haute tour du monde (1001 mètres). «Nous concevons un morceau de ville connecté au quartier», résume Denis Valode.
Si l’ampleur de ce projet est hors d’échelle comparée à celle des projets de centres commerciaux hexagonaux, même les plus grands, son programme, constitué d’un ‘mall’, de centres d’expositions et d’espaces de conférence, se rapproche des concepts développés ici. En effet, les «locomotives» du centre ne sont plus les enseignes mais l’offre culturelle et de loisirs, le centre commercial devenant un «lieu complexe et multifonctionnel».
Pour l’associé fondateur de l’agence Valode & Pistre, «c’est une chance de créer des espaces commerciaux de centre-ville car ils nous permettent de faire de l’urbain. Ainsi, nous inversons le problème : la question n’est plus comment faire le commerce dans la ville mais plutôt comment fabriquer la ville avec du commerce dedans». CQFD. «C’est cette dimension urbaine, issue de notre culture, qui a permis à l’agence de remporter face à de grandes agences américaines et anglo-saxonnes le concours international pour le Jeddah City Mall», conclut-il.
L’atoll, conçu dans un champ en périphérie d’Angers par Antonio Virga et Vincent Parreira, est en revanche une création ex-nihilo. Là, il fallait envisager «un début de ville». Les architectes, conscients de la capacité de pollution visuelle de ce type de projet, ont donc cherché à en limiter les nuisances. «Il fallait créer un ensemble fermé afin d’englober les nuisances habituelles des centres commerciaux et protéger ce qu’il y avait autour», raconte Antonio Virga.
Il poursuit en expliquant qu’ils se sont attachés à une typologie de bâtiment autarcique. «Hermétique, l’Atoll est comme un énorme container où rien n’est visible de l’extérieur et l’objet ne raconte pas forcément le commerce. Puisqu’on n’a pas besoin de le dire, les enseignes ne doivent pas être en façade, du moins en théorie», dit-il.
«Nous avons essayé de maîtriser au maximum les détails. Ce qui a été possible grâce à la bonne volonté de l’investisseur. Les mentalités évoluent là où il n’y a pas encore cette culture architecturale du détail», note Vincent Parreira, son associé sur ce projet. «Pour produire un lieu de qualité, il ne faut rien laisser au hasard. Ce n’est pas parce que les gens vont faire du shopping à bas prix qu’ils doivent nécessairement le faire dans un bâtiment ‘cheap’. C’est le rôle de l’architecte que d’offrir de la qualité, quelle que soit la typologie d’usagers». Les architectes ont en réalité mis la boîte rectangulaire dans une jolie forme arrondie et épurée, ce qui a permis de rester dans des prix de constructions classiques pour un ‘Retail park’.
Si les investisseurs vantent souvent pour leurs centres commerciaux «une nouvelle expérience de la ville», les architectes ne sont pas dupes pour autant. «Le centre commercial reste un tabou dans la profession mais il n’empêche que ces lieux existent. En conséquence, nous proposons des lieux agréables, à l’échelle humaine, qui deviennent par eux-mêmes des lieux de ballade. Il y a une complémentarité à mettre en place avec l’e-commerce pour créer un nouveau lieu d’échange, un peu comme nous avons fait avec les cinémas», conclut Antonio Virga.
Léa Muller