La France désespérait tellement d’être à nouveau primée par le jury du Pritzker que l’annonce le 16 mars 2021 qu’Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal étaient lauréats de la 43ème édition a pris le pays par surprise, un peu comme le facteur qui vous réveille pour vous annoncer une bonne nouvelle. Mais le moment était venu d’honorer à nouveau, enfin, un pays si généreux avec les Pritzkers (et tous ceux qui aspirent à le devenir). Explications géopolitiquement correctes.
La première chose qu’indique ce prix est que les jurés* sont comme tout un chacun soumis à l’air du temps et se font un devoir d’être politiquement corrects. Nul ne peut leur en vouloir. Après la débauche immobilière des années 2000 à 2019, dont Donald Trump est sans doute le meilleur exemple, chacun convient qu’il faut désormais faire preuve de retenue, d’aucuns allant même jusqu’à prôner une architecture frugale.
L’appréciation du jury offre à ce titre de belles explications, certes, mais le Pritzker Prize, prix occidental s’il en est même si inventé par un exotique marchand de nuitées, procède d’un sens très américain de la géopolitique : il y a eu des architectes Pritzker Chinois et Indien – Wang Shu et Balkrishna Doshi – quand le monde occidental croyait encore ces deux pays engagés sur la voie inexorable de la démocratie pour le premier, du nirvana pour le second.
Aujourd’hui avec Xi Jinping président à vie en Chine et le Premier ministre nationaliste indien Narendra Modi qui aimerait bien l’émuler, considérant que les architectes japonais ont déjà (beaucoup) donné, autant dire que les architectes asiatiques ne sont pas près de voir la couleur d’un nouveau Pritzker. Vous imaginez le prochain Prize donné à un architecte de Singapour ou de Hong Kong ? Le monde entier crierait à l’écocide et à la forfaiture.
Les jurés du Pritzker 2021 dès la première phrase de leur commentaire mettent en exergue que le travail d’Anne Lacaton et de Jean-Philippe Vassal « reflète l’esprit démocratique de l’architecture ». En France c’est encore à espérer. D’ailleurs, si les jurés tenaient vraiment à envoyer un message démocratique via l’architecture, ils n’avaient qu’à donner le prix à un architecte de Taïwan où il y en a sûrement qui se préoccupent de développement durable et d’économie de moyens.
Soit dit en passant, la géopolitique, c’est aussi la raison pour laquelle les Russes ne sont pas près non plus d’en avoir un de Pritzker. Idem, les Turcs d’Erdogan qui peuvent toujours attendre. Ce qui réduit singulièrement le champ de la nationalité des impétrants.
Certes mais pourquoi la France ?
Nous n’étions pas évidemment dans l’intimité du jury mais il est possible d’émettre une hypothèse, qui va au-delà du fait que la France, malgré sa puissance économique et culturelle, n’avait encore que deux lauréats (Christian de Portzamparc et Jean Nouvel, dans cet ordre) en 43 éditions.
En effet, la France est le seul pays au monde que les lauréats Pritker peuvent considérer comme leur terrain de jeu puisqu’ils y construisent en abondance, ce dont témoigne encore le dernier grand projet hospitalier en date confié à Renzo Piano. Une situation étrange : aucun autre pays au monde, à part les dictatures exotiques, n’est aussi ouvert aux architectes étrangers.
Que Lacaton & Vassal essayent d’aller construire leurs maisons en polycarbonate en Alabama ou en Norvège pour voir… Toujours est-il que cette razzia par les Pritzkers sur les grands équipements français finissant dans ce pays par faire grincer des dents, il devenait urgent pour les jurés de préserver ce privilège réservé à leurs pairs. Et quel est le meilleur moyen pour gagner en France encore 10 ans ou 15 ans de groupes scolaires et d’EHPAD pour tous les Pritzkers encore vivants ?
CQFD !
Christophe Leray
Les articles de notre dossier Pritzker 2021
– Pritzker 2021, plastique bien française ?
– Lacaton & Vassal, un Pritzker et quelques paradoxes
– Brutalité architecturale, comment résister au naufrage ?
– Mais pourquoi diable un Pritzker français ?
– Lacaton & Vassal, le jury du Pritzker 2021 explique son choix
*Les members du jury
Alejandro Aravena (Chair) : Architect, Educator and 2016 Pritzker Laureate – Santiago, Chile
Barry Bergdoll : Architecture Historian, Educator, Curator and Author – New York, New York
Deborah Berke : Architect and Dean, Yale School of Architecture – New York, New York
Stephen Breyer : U.S. Supreme Court Justice – Washington, DC
André Aranha Corrêa do Lago : Architectural Critic, Curator and Brazilian Ambassador to India –
Delhi, India
Kazuyo Sejima : Architect and 2010 Pritzker Laureate – Tokyo, Japan
Wang Shu : Architect, Educator and 2012 Pritzker Laureate – Hangzhou, China
Benedetta Tagliabue : Architect and Educator – Barcelona, Spain
Martha Thorne (Executive Director) : Dean, IE School of Architecture & Design – Madrid, Spain
Manuela Lucá-Dazio (Advisor) – Paris, France **Voir notre article Pritzker 2020 : #MeFour pour Yvonne Farrell et Shelley McNamara