Une maison banale, dans une banlieue ordinaire… Le projet avait tout d’un cadeau empoisonné. Les architectes Rémi Pascal et Pierre Bouillon (rppb) ont su, avec les maîtres d’ouvrage, inventer une manière radicalement différente d’y habiter sans modifier son identité et avec une forme de respect de son histoire. Découverte du prix de la Première œuvre 2006.
Frédéric Desenclos, Sylvie Giroux et leurs enfants ne se doutaient certainement pas qu’en héritant en 2003 de la maison du grand-père dans la banlieue d’Orléans, ils se retrouveraient trois ans plus tard à recevoir un prix d’architecture des mains du ministre de la Culture sous la nef du Grand Palais à Paris. C’est le travail réalisé sur cette maison par les architectes Rémi Pascal et Pierre Bouillon (rppb) qui leur a valu, en effet, le Prix de la Première œuvre 2006.
Les maîtres d’ouvrage vivaient alors à Paris et cette banale maison des années 60 – toit à deux pentes, murs massifs en béton et moellons de 40 cm d’épaisseur, sous-sol bas de plafond – à laquelle on accédait par un escalier extérieur et située dans une zone pavillonnaire sans charme particulier n’avait pour eux aucun attrait. « Malgré sa hauteur, les anciens propriétaires y vivaient comme dans un appartement, n’habitant que le premier étage« , notent les architectes. « A aucun prix, nous n’aurions voulu y vivre« , explique Frédéric Desenclos. Mais qu’en faire ? Pas question de la vendre – c’est une maison de famille – et la louer implique une sévère remise aux normes. De fil en aiguille, les maîtres de l’ouvrage rencontrent les copains architectes d’un copain d’un copain. Rémi Pascal et Pierre Bouillon entrent en scène. Les uns et les autres s’accordent dès le départ sur un point : réfléchir autour d’une (éventuelle) réhabilitation contemporaine de la maison. Qui plus est, la maison n’est au final pas dénuée d’atouts : un grand jardin, proximité de la gare, et si elle n’a rien d’extraordinaire, la construction est saine.
Ce dernier élément invitera d’ailleurs les architectes à une forme de respect et influera sur leurs propositions. « Nous n’avons pas changé la nature de cette maison, qui avait son fonctionnement, car nous ne voulions pas créer des désordres qui n’existaient pas ; il n’y avait pas de salpêtre par exemple« , explique Pierre Bouillon. Le chauffage n’a pas eu besoin d’être refait non plus et, dans un traitement contemporain de l’espace, une simple peinture a permis de mettre en valeur les murs en béton brut. « Nous avons transformé ce pavillon sans modifier son identité iconique ; le projet ne fabrique pas une nouvelle image extérieure, mais refonde ses espaces intérieurs pour répondre aux envies et aux besoins de ses occupants actuels : fluidité des espaces, lumière et verticalité« , assurent les architectes.
Ces aménagements transparaissent sur les différentes façades, sous forme de percements identiques et systématiques constitués de larges baies carrées, doublées de volets coulissants en tôle d’aluminium perforée. Si ces ouvertures sont autant de connexions nouvelles avec le vaste jardin, elles ne disent pas tout de la qualité du nouvel aménagement intérieur. Lequel en revanche en dit long sur la qualité du dialogue qui s’est instauré pendant deux ans entre les maîtres d’ouvrage et les deux architectes. C’est d’ailleurs ce « long et patient dialogue avec le maître d’ouvrage privé » que Jacques Guy, président du Moniteur, a souhaité mettre en exergue en remettant le 29 janvier 2007 leur prix de la Première œuvre aux heureux lauréats.
Un dialogue fructueux qui a de fait permis de « changer radicalement la manière d’habiter cette maison, même s’il y avait une logique dans la trame constructive qui se prêtait à nos idées de triple hauteur« , explique Rémi Pascal, parlant d’un nouvel espace ouvert qui va donc de l’ancien sous-sol jusqu’aux nouvelles chambres aménagées dans les combles. Mais plus intéressant encore est le jeu de contrastes entre les volumes, les espaces et les pièces à vivre. La cuisine – aux couleurs grises du béton brut du plafond – et la salle à manger ont ainsi gardé la hauteur de plafond d’origine du sous-sol, offrant intimité et confort ; le salon, grand espace pour recevoir, offre sur toute la hauteur du logement la lumière issue des percements qui s’inscrit « comme des toiles« , les murs offrant de plus un nouvel écrin aux peintures contemporaines des clients (« nous savions qu’ils avaient ces œuvres d’art« , précisent les architectes) ; à l’étage, le salon de musique, lieu de travail de ces musiciens, offre des vues extérieures et intérieures ; la bibliothèque en bois en balcon répondant au parquet (le rez-de-chaussée est revêtu de pierre de Chine noire) ; les chambres sont d’autant plus vastes que les plafonds vont jusqu’au faîte de la charpente. Les escaliers en métal avec leurs garde-corps également revêtus de tôles d’aluminium perforées se marient admirablement avec le béton et organisent les flux quand des détournements astucieux de produits standards de bureau (goulotte, spots, etc.) ont permis de tirer le meilleur parti décoratif dans le cadre du budget alloué.
La clôture fut repensée selon le principe directeur de la conception : juxtaposition de cadres métalliques de dimensions semblables à celles des percements des façades et également remplis par la même résille métallique. Une plantation de bambous protège des regards extérieurs et assure une intériorité par rapport à la rue. Paradoxalement, c’est cette clôture qui a posé le plus de difficulté aux riverains puisque, plus que la façade, elle indique que quelque chose de spécial s’est bien passé à l’intérieur. La preuve, une famille avec jeunes enfants y habite désormais.
Au final, les architectes sont parvenus à livrer une maison contemporaine dans une enveloppe traditionnelle sans faute « anachronique » : les radiateurs sont ceux d’origine mais ont été habilement replacés, l’enduit de façade est gris mais destiné à être couvert de vigne vierge ; il y a un vrai geste architectural à l’intérieur mais destiné au confort, contenu et sans contrainte, permettant aux propriétaires de s’approprier les lieux avec la décoration de leur choix ; la forme extérieure est immanquablement datée mais ouverte désormais sur l’extérieur conformément aux besoins d’aujourd’hui, etc.
Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture, lors de la cérémonie de remise des prix a lui voulu, « au-delà de la qualité exceptionnelle du projet » mettre l’accent sur la portée de ce type de travaux. « Je suis convaincu que l’héritage du tissu pavillonnaire des années soixante, qui caractérise de nombreuses périphéries urbaines, n’est pas une malchance, une fatalité à laquelle il faudrait nous résigner, ou même qu’il s’agirait de combattre. C’est une réalité qu’il nous appartient d’assumer, et dont les compétences architecturales les plus engagées, les plus imaginatives, sont appelées à se saisir. Pour s’en convaincre, il suffit de constater, à travers le travail de Rémi Pascal et de Pierre Bouillon, qu’un projet de réhabilitation peut parfaitement améliorer l’image et l’usage de la maison individuelle, autant que lorsqu’il s’agit de constructions publiques, souvent citées en exemples« , dit-il.
Il ne s’agit ici que d’une seule maison, travaillée comme un « projet de recherche » par des jeunes architectes qui n’ont pas cherché pour eux-mêmes une quelconque rentabilité financière. C’est là une limite que le ministre n’a pas mentionnée. Quant à transformer le tissu urbain… Cela dit, c’est avec une « maison icône » à Montreuil que l’agence Périphériques a débuté sa carrière. Laquelle agence était récompensée le même soir pour sa conception et réalisation de l’atrium de Jussieu. Remi Pascal et Pierre Bouillon n’ont sans doute pas fini de se distinguer.
Christophe Leray
Fiche technique
Maîtrise d’ouvrage privée
Année du bâti d’origine : 1959
Durée des études + travaux : 24 mois
Année de livraison : 2006
Restructuration complète : SHON 213 m2
Montant des travaux : 230.000 € TTC (TVA 5,5%)
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 7 février 2007