Au lendemain de la journée de repos, le parcours à travers la Haute-Savoie offre un décor de montagne à couper le souffle, bordant notamment le lac Léman avant de se diriger vers Megève. Le tracé serpente entre les vallées, sans réelle difficulté pour les coureurs qui devront s’expliquer entre costauds dans la montée finale vers Megève, la ligne d’arrivée étant tracée sur l’altiport. A moins bien sûr qu’un outsider ne profite de cette étape somme toute tranquille pour fausser compagnie au peloton. Bref, une étape bucolique en Haute-Savoie.
Depuis Morzine, avant le départ des coureurs, les suiveurs du Tour de France contemporain de Chroniques peuvent partir à la découverte de la Villa Solaire de Jérémie Koempgen Architecture. Allez, une omelette savoyarde pour bien caler l’estomac et c’est parti.
Les alpes françaises ont vu depuis plusieurs décennies un néo-régionalisme s’implanter au travers d’une image importée du chalet suisse, laquelle au fil du temps a développé une architecture domestique caricaturale basée sur un archétype auto suggéré. La Villa Solaire offre un vrai contre modèle au travers de cette réhabilitation d’une ancienne ferme dans le quartier historique du Pied de la Plagne. L’agence LKA manipule avec un art consommé l’archétype de la paline ouvragée en l’étirant jusqu’à une situation de bardage pour conserver cet ornement historique des chalets locaux.
« Le motif, contemporain et simple, s’accorde avec les moyens de découpe des lattes d’épicéa de l’artisan menuisier local. Cet ajourage rappelle les lattes disjointes de la ferme traditionnelle, permettant de ventiler autrefois les foins », précise Jérémie Koempgen.
Le plan est subdivisé en cinq volumes, quatre placés dans les angles, le dernier résultant de l’éloignement des autres accueille les espaces de vie et les circulations. Les fonctions servantes sont maintenues dans les quatre premiers volumes et le projet propose une sorte de plan Miesien à la montagne.
« Ces quatre blocs jalonnent la maison comme les montagnes jalonnent la vallée. En Haute Savoie, on fait instinctivement le rapprochement entre les fermes et les montagnes. Ici aussi, ce rapprochement symbolique est marqué : chaque « bloc » est identifié au relief lui faisant face, et la charpente est assimilée à un bois, dont les lignes de relief sont à rapprocher des plateaux de planchers », poursuit l’architecte
Les suiveurs, alors que le peloton n’est pas encore parti, regagnent les berges françaises du lac Léman à hauteur de Thonon-les-Bains, un léger crochet leur permettant de se rendre à Yvoire pour découvrir l’embarcadère de la commune réalisé par Fabrice David Architecte.
Cet ouvrage est destiné tout à la fois aux touristes et aux frontaliers qui utilisent le bateau pour se rendre en suisse en traversant le lac. Il assure donc une protection solaire estivale pour les touristes et une réelle protection hivernale pour les frontaliers. Son volume prismatique repose sur quelques points d’appuis et ses facettes réfléchissent à la manière d’un périscope le lac Léman.
Une parenté évidente avec Norman Foster à Marseille s’établit avec un grand sens d’une inscription de l’histoire architecturale collective. Là ou Norman Foster concentre uniquement le regard de la ville vers le vieux port, Fabrice David procède d’un double échange de regard, de la cité vers le lac et du lac vers la cité. Ce soulèvement ménage les vues dans les deux sens et prend en compte la situation d’arrivée depuis le lac pour ne pas masquer le paysage remarquable de la commune.
« Son matériau rappelle le clocher d’Yvoire, il réfléchit le ciel et le lac et il disparaît comme un caméléon dans le paysage. La feuille de métal pliée permet d’avoir une finesse extrême au bout des ailes de l’abri. Le parti pris architectural était de faire disparaître l’abri pour ne pas masquer le village », explique l’architecte.
Les suiveurs peuvent profiter de l’embarcadère pour prendre le bateau, traverser le lac, se retrouver à quelques encablures de Sergy et partir à la découverte du prix de la Première œuvre 2022, visité déjà lors de la reconnaissance de l’étape.
Un léger détour permet ensuite de se rendre à Chens-sur-Leman pour visiter la Maison des Associations et à l’espace polyvalent réalisé par Guyard et Bergman Architecture.
Ce long bâtiment, glissé sous un large toit à la sur-couverture en bois, propose une enveloppe simple qui abrite avec efficacité ses programmes. Il rappelle certains travaux de Kengo Kuma tant sur la qualité de la vêture que des espaces intérieurs.
La grande toiture, élément invariable de l’architecture locale, résout la question des modernes et des crispations formelles en s’insérant dans le paysage par le plus grand des archétypes, assimilé à une grande ferme délicate. « Un volume allongé, proche du sol, qui se coule dans l’étendue de la prairie et de ses légers vallonnements pour rentrer en osmose avec le paysage champêtre », expliquent simplement les architectes.
La délicate épaisseur des tasseaux utilisés en façade et en sur-toiture apporte une échelle domestique et gracile qui offre à ce grand volume une peau vibrante et changeante. Ce dispositif se retrouve dans les espaces intérieurs prolongeant la vibration soit en plafond soit en paroi, tantôt brut, tantôt peint. Le duo Haut-Savoyard confirme une fois de plus son impact au long cours sur l’architecture contemporaine locale en parsemant le territoire d’une architecture parfaitement située dans son époque et ses enjeux.
Arrivés à Megève les suiveurs pourront apprécier le travail singulier de l’architecte Sybille de Margerie pour l’hôtel Le Cœur de Megève et sa rénovation lourde. Le néo-régionalisme constaté à Morzine se déploie également ici et l’architecte apporte une réponse mesurée sur le petit volume de l’entrée fonctionnant en joint creux de deux grands chalets à l’architecture attendue. Cette façade délicate rompt l’horizontalité et la massivité des balcons en installant un registre vertical sans garde-corps distinctif et une fine paroi métallique qui caractérise avec douceur cette entrée.
Le projet démontre, dans ce paysage de chalets bodybuildés, qu’une fine lame d’architecture contemporaine – c’est le bâtiment visible le plus petit du centre-bourg – peut poser des questions fondamentales au sujet de l’architecture contemporaine dans les stations huppées des Alpes. Là où les dispositifs architecturaux classiques assument un vocabulaire simple montant aux clients qu’il en a pour son argent, Sybille de Margerie propose une approche du luxe dans la retenue et la finesse des précisions. Elle importe une précision horlogère helvétique en terre française et prolonge le questionnement initié depuis les étapes de reconnaissance sur les divergences d’approche et de résultats de ces deux territoires si proches.
Après l’arrivée, une halte de fin de journée au bistrot « Flocons Village » permettra au suiveur de manger des nems de reblochon savoureux accompagnés d’un petit Chignin-Bergeron savoyard à bonne température pour se remettre de cette étape épique entre lac et montagne.
Guillaume Girod (dans la caravane)
Pour les suiveurs, retrouver :
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2021.
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France contemporain 2018