Une étape accidentée parsemée de secteurs pavés. Bienvenue dans l’Enfer du Nord et ce n’est pas une comédie chez les Ch’tis. Les prétendants putatifs à la victoire finale vont trembler, tous devront pourtant relever le défi acrobatique. Pour les favoris du Tour, quelles que soient la concentration et la préparation déployées pour ce rendez-vous, sous les pavés des Hauts-de-France, il n’y a pas la plage ! De quoi gâcher la fête de quelques-uns. Bienvenue chez les Ch’tis !
D’ailleurs l’arrivée, proche de Valenciennes, à 30 minutes de Lille, est prévue Porte du Hainaut, une communauté d’agglomération connue des suiveurs pour sa fameuse « Tranchée d’Arenberg ». Il s’agit d’un long chemin pavé en ligne droite de 2 400 mètres qui traverse la forêt de Raismes-Saint-Amand-Wallers, passage incontournable de Paris-Roubaix.
Bref, le temps que les coureurs se retrouvent à crier misère entre les champs de betteraves, les suiveurs du Tour de France contemporain ont tout le temps, aujourd’hui comme avec l’étape d’hier, de flâner toute la journée à la recherche d’architecture contemporaine avec la certitude d’être revenu à temps pour l’arrivée des coureurs.
Pour le petit-déjeuner donc – pas trop tard quand même – se rendre à L’Arbre voyageur, un hôtel 4 étoiles ouvert en 2017 et installé dans l’ancien consulat de Pologne. L’agence lilloise OP-EN et Gontran Dufour, directeur de VS-A (BET Façade & Structure), ont transformé en un hôtel contemporain ce vestige massif de l’ère communiste, symbole du bâtiment administratif conçu en 1962 par une équipe d’architectes Polonais accompagnée de l’architecte français Jean Willervael, auteur notamment du Tribunal de Grande Instance de Lille.
L’équipe de maîtrise d’œuvre a corrigé un certain nombre de points négatifs dont l’image architecturale désuète et un aménagement intérieur surchargé par le rôle administratif du bâtiment… Aujourd’hui, la nouvelle identité du bâtiment fait oublier le poids de ses origines.
Pour les suiveurs, s’installer dans le patio, élément central entre les différentes fonctions du complexe et havre de paix verdoyant en plein cœur de ville. Son illumination permet d’étendre ses usages, diurne ou nocturne, et de créer un nouvel univers en fin de journée. Allez, quelques cramiques (petites brioches au sucre perlé) avec le café et c’est parti pour une virée en ville Ch’ti.
A Lille, les suiveurs de l’architecture contemporaine n’ont que l’embarras du choix, notamment en termes de restructurations telle celle de l’hôtel qu’ils viennent de quitter. Se rendre alors en quelques minutes place de Bretagne pour découvrir le Bâtiment Place, livré en 2018 par Canal Architecture (Patick Rubin, Annie le Bot) et l’architecte Guillaume Nicolas. L’ancienne halle de l’usine Blan-Lafont a été transformée en trois plateaux de bureaux et showroom pour les chercheurs de l’Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique), la restructuration permettant de tripler la surface de plancher et d’affirmer une transition apaisée entre patrimoine et contemporanéité.
Le bâtiment Place a été construit et réaménagé entre 1896 et 1923. Autrefois, ce volume de 1 000 m², d’une hauteur de 8 m sans plancher, offrait un double usage : salle des fêtes et cinéma à l’ouest, grand magasin de stockage à l’est.
La réhabilitation respecte le volume d’origine et couronne l’ancienne toiture d’une surélévation dont l’écriture graphique traduit une expression aérienne. Afin d’apporter de la lumière sur les plateaux, les ouvrages maçonnés, à l’aplomb des baies existantes en demi-lune, ont été déposés par procédé de sciage. Des vitrines géantes, posées en saillie sur la maçonnerie d’origine, réunissent dans un même ensemble le rez-de-chaussée et le premier étage du bâtiment.
Après la visite, quitter le centre pour se rendre à Mons-en-Barœul et découvrir la Salle de spectacle Salvador Allende, dessinée par Dominique Coulon et livrée en 2019. Dans l’organisation orthonormée de la ville de Mons-en-Barœul, le pôle culturel pivote pour mieux regarder l’hôtel-de-ville. Autonome sur la grande place, le bâtiment est devenu un repère urbain et, avec ses trois studios de musique, une salle modulable de cinq cents places, un bar, une galerie d’exposition et une grande salle de répétition, une destination en soi.
Le pivotement du volume de la grande salle de répétition ménage un grand vide intérieur qui met en relation les autres éléments du programme. Le conflit géométrique généré par ce pivotement est révélé par le vide qui s’organise dans une figure triangulaire. Associées aux obliques de l’escalier, les parois se plient dans un mouvement ascensionnel.
« Les surfaces de laque noire complexifient la perception de l’espace. Tout en haut, le plafond blanc avec ses apports de lumière apparaît comme un ciel étoilé. Les espaces se rassemblent autour de ce cœur étrange qui peut être lu comme une sorte de dislocation intérieure. L’instabilité spatiale, générée par les plis et reflets, donne à l’ensemble une atmosphère étrange », explique Dominique Coulon.
De là, pour les suiveurs, retour vers le nouveau quartier des Rives de la Haute Deûle Euratechnologie, l’un des principaux développements urbains de la métropole lilloise, regroupant des entreprises TIC, des projets de logements, des équipements publics et de nombreux espaces publics sur une cinquantaine d’hectares.
Ce site post-industriel associe des bâtiments neufs à des bâtiments anciens qui font l’objet de réhabilitation et de transformation en logements ou en bureaux. Fondé sur l’idée que la mixité programmatique est un élément structurant pour la dynamique d’un nouveau quartier, de nombreux projets illustrent cette stratégie.
Tel le Diamant Noir, livré en 2018 par Jean-Pierre Pranlas-Descours (PDAA) qui regroupe un parking silo de 200 places, une salle de sport et des surfaces de bureaux. « Nous avons fait le choix d’une expression forte en lien avec le milieu urbain », explique l’architecte.
L’association des programmes en lien avec le paysage urbain se traduit par le choix de matériaux contrastés. « L’enceinte » de briques permet, grâce à un appareillage en moucharabieh, de filtrer la lumière à l’intérieur du parking et de donner une ambiance agréable à ces lieux de stationnement.
Ainsi les niveaux de parking sont entourés par un mur de brique aux modénatures très élaborées, les parties supérieures développent des menuiseries métalliques laquées, très généreusement vitrées. Les grands ensembles des fenêtres des bureaux se décomposent en une partie vitrée fixe et un volet ouvrant sur le retour pour une ventilation naturelle individuelle. « La couverture en pente, recouverte d’un enrobé sombre, complète le volume », souligne Jean-Pierre Pranlas-Descours.
Tout près, dans le même quartier, aller découvrir Lucio, un autre bâtiment de bureaux livré en 2020 par l’agence Barbarito Bancel Architectes (Ivana Barbarito et Benjamin Bancel). Un diamant blanc ?
Lucio comporte des espaces de bureaux intégrés dans un volume transparent qui laisse entrevoir la profondeur de l’îlot. Les quatre façades du bâtiment sont exposées au soleil en journée, sans vis-à-vis. « Cette situation exceptionnelle présente l’avantage d’offrir aux espaces intérieurs des vues largement dégagées sur les espaces publics paysagés alentours, et une luminosité exceptionnelle tout au long de la journée. Toutefois, cet important apport solaire est contrôlé techniquement pour respecter les normes énergétiques en vigueur », explique Barbarito Bancel.
Pour cela, les architectes ont créé une façade à la composition originale : des brise-soleil verticaux composés de verre et posés sur un écrin de béton. Cette paroi évanescente joue avec les reflets fragmentés de son environnement fait de briques, de bouleaux et de béton, et crée de profondes échappées visuelles traversantes vers le cœur d’îlot perméable.
Retour enfin dans le Vieux-Lille pour le déjeuner car les suiveurs ne peuvent pas repartir sans visiter l’un des bâtiments de l’agence locale de l’étape Coldefy & Associés Architectes Urbanistes (CAAU), croisée déjà la veille à Tropicalia. L’agence qui s’est fait connaître au tournant des années 2000 avec un institut du design construit à Hong Kong, avant que la Chine ne tétanise le territoire, signe ici un petit projet de 15 logements collectifs et deux restaurants disposés sur un socle d’activité de deux niveaux. L’écriture contemporaine participe au renouvellement du paysage urbain du Vieux-Lille.
La parcelle occupe l’angle majeur d’un îlot au cœur du tissu urbain historique, face à l’hospice Comtesse et au tribunal. Le site borde la partie est de l’avenue du Peuple-Belge et se prolonge en montant le long de la rue Saint-Joseph quasiment jusqu’à la placette située plus haut.
« Lisse, blanc et épuré, le béton est décliné sur l’ensemble des éléments structuraux. Il dessine une trame contemporaine qui s’adapte aux fonctions : de larges baies ouvrent les restaurants sur la ville, puis pour les logements, l’écriture se fait dense dans les premiers étages pour assurer l’intimité nécessaire au bien-être des habitants tout en leur offrant de profiter des vues dégagées sur la ville », expliquent les architectes.
Là, il reste aux suiveurs de s’installer, au rez-de-chaussée ou à l’étage, dans le restaurant Le Cerisier du chef étoilé Éric Delerue, ouvert depuis 2019 et nouvelle adresse inédite au cœur du Vieux-Lille entre gastronomie, design et culture.
Après le déjeuner et un café, il est alors temps pour les suiveurs de rattraper la course, de doubler le peloton et les coureurs, ces derniers coincés dans l’Enfer du Nord et qui tressautent sur les pavés, la bouche pleine de poussière s’il fait beau, à manger de la boue la peur au ventre s’il pleut, au risque de tout perdre.
A l’arrivée, le vainqueur est un costaud.
Bienvenue chez les Ch’tis.
Christophe Leray (dans la caravane)
Pour les suiveurs, retrouver :
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2021.
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France contemporain 2018