«A quelques centaines de mètres à vol d’oiseau des tours de la Défense, ce bâtiment écologique et convivial donne des réponses innovantes à la question des espaces d’activité du siècle à venir». Jean-François Leclerc et José Piquer, associés au sein de La Cellule verte, pour ce petit ouvrage de 414m² à Suresnes (Hauts-de-Seine), seraient-ils un peu présomptueux ?
A visiter leur bâtiment par une belle matinée d’automne, force est de constater qu’ils sont parvenus à insérer de façon assez heureuse un bâtiment de bureaux au cœur d’une zone résidentielle, là où nul ne l’attendait et justement là où le PLU l’interdisait plus ou moins explicitement. Assez vite, disent-ils, «le bâti a trouvé sa position». Sauf que cette position idéale fait 20,60m tandis que le PLU n’autorisait ici qu’un bâtiment de moins de 20 m. La complexité était telle qu’un premier permis de construire fut refusé. «Il a fallu trouver des astuces perverses», se marrent les architectes.
Alors pourquoi ce bâtiment à cet endroit puisque c’était difficile juste pour commencer ? Les parents du maître d’ouvrage avaient là une station-service, aux heures glorieuses de la voiture et des départs en vacances. Ils avaient acheté le terrain et la parcelle mitoyenne avec sa petite maison ouvrière.
C’est aujourd’hui l’une des dernières du quartier. C’est dans cette maison que Philippe Taubregeas, le maître d’ouvrage, a installé ses premiers bureaux. Quand son groupe, composé de sociétés spécialisées dans l’installation et la maintenance de systèmes de chauffage et de climatisation, s’est développé, il a donc choisi de construire son nouveau siège social dans le volume de l’ancienne station-service. C’est alors qu’ont commencé les difficultés.
Comme quoi, alors que nombre de grandes villes s’attachent à mixer les usages, cela se révèle, à l’image de Suresnes, souvent difficile à réaliser même si, au moins, «à Suresnes, le sujet bois les a intéressé», note Jean-François Leclerc. D’où, pour ce bâtiment de bureaux, le défi de l’intégration dans un tissu urbain complexe aux hauteurs et échelles variées entre immeubles intermédiaires et pavillons.
Le programme n’est pas compliqué en soi. L’ouvrage est composé d’une zone d’accueil, de deux grands plateaux de travail en ‘open space’ pour le pôle administratif et commercial et d’une salle de réunion au R+2. «Nous avons travaillé les épaisseurs pour tenir les trois niveaux», disent les architectes. Tous les bureaux sont ‘traversants’. Partout de la lumière et des vues sur la ville puisque le bâtiment est situé sur le coteau. Dans la salle de réunion, la lumière arrive de trois côtés.
La gestion de l’important parc de véhicules était un enjeu majeur du projet. La parcelle, très profonde, relie les rues de la République et Pasteur, toutes deux parallèles à la Seine mais avec un grand dénivelé. La clef fut la conception d’un grand parking couvert par une terrasse végétalisée reliant l’ensemble de la parcelle. Il est desservi par deux accès distincts : en bas, rue Pasteur, le parking couvert de la flotte de véhicules (plus des espaces de stockages), en haut, le parking végétalisé pour l’accueil et les employés des bureaux rue de la République. Du coup, le bâtiment-pont propose à partir de la rue une ouverture visuelle sur le grand paysage. De fait, sur un budget de 2,2M€, 1,5M€ est consacré à l’infrastructure.
Pour le bâtiment de bureaux proprement dit, les architectes ont opté pour un revêtement bois épais ‘le vibrato’ dont les cannelures produisent un effet graphique révélant les volumes dans leur massivité. «Il s’avère que ce matériau, associé le plus souvent à une ‘architecture douce’, proche de la nature, a été particulièrement apprécié par le voisinage de Suresnes», explique Jean-François Leclerc. De fait, un petit projet de logements collectifs qui démarre juste à côté a en partie repris ce vocabulaire pour marquer son insertion dans le quartier. Hommage !
José Piquer résume ainsi le choix de la construction bois «Nous construisons comme avant sauf qu’il faut désormais un isolant extérieur, en polystyrène pas durable ; le bois règle la question», dit-il. Il est bien sûr question de contexte. «Il y avait une grange en bois», racontent les architectes (qui notent au passage le «surcoût énorme» lié à la terre polluée). Si la construction bois, au-delà de ses qualités connues, était aussi pour le maître d’ouvrage une opportunité de communiquer, elle est surtout en l’occurrence représentative d’un ‘work in progress’ correspondant à l’esprit du lieu.
En effet, les deux parcelles permettent au maître d’ouvrage de s’inscrire dans le temps tout en conservant la possibilité de constamment recomposer ses espaces de travail et l’organisation de ses sociétés. Ce n’est ici pas tant une question de réversibilité qu’une question de la capacité d’évolution d’un lieu. Sur le site, le groupe compte d’autres bureaux dans une ancienne extension, des bureaux encore dans la maison, qui abrite désormais au rez-de-chaussée l’espace cuisine et une généreuse terrasse, les plateaux du nouveau bâtiment sont malléables à souhait, le parking lui-même est un espace évolutif, avec lumière naturelle. En ce sens le nouveau bâtiment, de par son architecture en bois justement, participe de cette constante transformation de la parcelle sans jamais en figer les éléments, le tout sans ne rien perdre pour autant de la capacité industrielle historique du site.
Justement, au moment d’un café sur la terrasse, passe Philippe Taubregeas, le maître d’ouvrage. «Les gens sont contents de travailler dans leurs nouveaux locaux», dit-il. A part ça tout va bien ? «Nous avons réajusté quelques brise-soleil et nous avons découvert qu’il y a une dizaine de vitres que l’on ne peut pas nettoyer», dit-il. C’est tout ? «C’est tout», dit-il avec le sourire. D’autres projets sont déjà en cours depuis l’achat récent d’un petit pavillon adjacent.
Ce qui fait la qualité première de ce bâtiment, c’est peut-être justement que, malgré les formidables contraintes rencontrées pour un projet somme toute de petite taille, la complexité ne se voit pas et le bâtiment ne respire pas la souffrance mais l’assurance tranquille d’être à sa place. La preuve, les riverains s’y sont fait, sans recours.
Christophe Leray