Le Pecha kucha ou Pecha Kutcha (du japonais ペチャクチャ : « bavardage », « son de la conversation ») est un format synchronisant une présentation orale à la projection de vingt diapositives se succédant toutes les vingt secondes, de préférence sans effet d’animation. (Source Wiki). Et le rapport avec l’architecture ? Le dessous des mots.
Séance donc de Pecha Kutcha à l’invitation de Échelle Un et de Constellations Studio.* Sur la sellette, deux jeunes agences d‘architecture, c’est-à-dire deux paires de très jeunes architectes qui suffisamment vite après leurs études se sont lancés dans l’aventure de la découverte de l’Amérique. Il faut rendre grâce à leur courage de créer leur propre agence sans pleurnicher et, en l’occurrence, de se plier sans barguigner à un délicat exercice de présentation de leur pratique.
Exercice d’autant plus difficile que, au-delà de son format, le public auquel il doit s’adresser n’est pas clairement défini : aux amis, architectes ou non, confirmés ou non, qui assistent à la séance et à l’oreille forcément aimable ? à un éventuel maître d’ouvrage public ou privé exigeant rigueur et érudition ? à la presse puisqu’en l’occurrence Chroniques était là ?
C’était une première pour nombre des convives. Passée l’épreuve, ce fut pour tous une soirée mémorable grâce à un accueil chaleureux et bienveillant.
Pour autant, alors même que les thèmes abordés par ces jeunes professionnels se révèlent intéressants sur le fond, ces présentations survitaminées invitent à quelques remarques, dans le désordre, du visiteur du soir. Notamment pour ce qui concerne l’usage des mots et ce qu’ils signifient, parfois au corps défendant des architectes.
Pour commencer sa présentation, une agence explique que « le client est au centre du projet ». C’est bien le moins et le client sera sans doute heureux de l’apprendre. Ce d‘autant plus que la grande majorité des architectes, y compris les vieux de la vieille, quand ils s’adressent à un maître d’ouvrage, ont tendance à parler du projet comme si c’était le leur : « notre projet… nous avons opté pour un parti innovant… nous envisageons de…, etc. ».
Remplacez ‘Nous’ par ‘Je’ et tout ce qu’entend le maître d’ouvrage c’est « moi, moi, moi » quand lui-même est persuadé qu’il s’agit bien de SON projet puisque c’est lui qui paye. Le client au centre du projet, cela va donc sans dire, d’autant que l’architecte en aura normalement plein d’autres des projets quand, le plus souvent, le maître d’ouvrage n’en aura jamais construit qu’un, « de son projet ».
C’est exactement comme la phrase, trouvée dans une grande majorité de communiqués ou dossiers de presse, énoncée doctement par l’auteur de l’ouvrage : « ce projet a été pensé/étudié pour… ». Là encore, d’aucuns espèrent bien que ce projet « a été pensé », c’est la moindre des choses. Que serait un projet d’architecte s’il n’était mais alors pas pensé du tout ? Imaginez la conversation avec un maître d’ouvrage : « Ce projet n’est absolument pas pensé, c’est fait n’importe comment, voilà pourquoi il est moche comme tout » ! Que le premier qui gagne un concours avec un tel discours nous raconte l’histoire !
Que l’architecte « étudie » le contexte – phrase incontournable également – c’est évidemment nécessaire mais, si l’étudiant étudie, le professionnel, fut-il encore jeune, doit proposer à son maître d’ouvrage des RÉPONSES issues de ces études contextuelles, ce qui est plus efficace que de l’assurer que son projet est encore « étudié ».
Telles autres hésitations sémantiques sont fréquentes : « on essaye de voir… ». Il ne s’agit pas d’essayer mais de réussir. Idem quand des architectes expliquent avec enthousiasme utiliser les matériaux « à bon escient », « au bon endroit », etc. Vous imaginez le contraire ? Ou quand ils soulignent « avoir porté une attention particulière au confort des habitants » ; ce qui, dans un projet de logements n’irait donc pas systématiquement de soi ?
Si l’architecte soulève « à bon escient » des questions fondamentales, son travail est d’y répondre, pas de s’extasier de lui-même avant de dresser le même constat répété de deux ou trois façons différentes. C’est d’ailleurs le premier piège et le risque de la plupart des présentations d’architectes, jeunes ou vieux : une litanie de projets dont la description – l’ouvrage pourtant généralement visible en images par les auditeurs – obère la pensée de fond qui sous-tend ces projets.
Se préoccuper pendant les études d’un projet « d’esthétique bas carbone », « du déjà-là / de l’existant », « d’écologie urbaine », « de l’attention au vivant », « de trouver la bonne échelle », etc., c’est très bien mais c’est le B.A.-BA attendu d’un architecte ! Alors quoi, on préfère l’attention aux morts ? Les architectes, pas que les jeunes d’ailleurs, ont ainsi tendance à justifier leurs projets (sans parler des contraintes, du maître d’ouvrage, etc.) plutôt que d’expliquer et développer le corpus intellectuel qui les anime et sa translation en projet construit. Dit autrement, l’architecte, créatif ou victime irresponsable ?
Un autre danger pour les architectes est d’ailleurs qu’ils sombrent eux-mêmes sous le poids de leurs propres desseins, l’image devant se suffire à elle-même et donner quitus au projet architectural. Ce sont par exemple toutes ces images de tours en bois toujours plus hautes dont le seul intérêt apparemment est qu’elles soient hautes et en bois. La plupart de ces images sont fausses (il suffit de vérifier la taille des planchers sur les visions d’artistes et vous avez vite perdu un étage) et la plupart de ces tours, comme au village olympique à Paris, auront à la fin un noyau et des planchers en béton. Qui a envie de parler d’architecture ?
Autre exemple, au titre « de la démarche », les jeunes architectes aiment souvent expliquer l’importance « d’avoir de bonnes relations avec les artisans et d’engager la conversation avec eux ». Celui qui connaît la taille de son casque ignifugé comprend bien que le chantier est un monde qu’ils découvrent et c’est tant mieux, certes, mais n’est-ce pas la moindre des choses pour un architecte que de s’intéresser aux hommes et femmes qui construisent ses bâtiments et de comprendre ce qu’ils font ?
L’empathie vis-à-vis des artisans n’est cependant en rien un gage de quoi que ce soit. Au contraire, les jeunes architectes s’apercevront vite qu’il va leur falloir souvent être fermes, pour le moins, vis-à-vis des entreprises s’ils ne veulent pas se faire tondre la laine sur le dos. Et quand l’entreprise sera mandataire, il n’est pas certain qu’il y ait beaucoup de conversation. Cela vaut avec les maîtres d’ouvrage. De fait, Goliath sort le plus souvent vainqueur.** Mieux vaut être prêt à tenir son chantier, les erreurs coûtent cher, et nul ne le sera jamais avec des expressions toutes faites qui ne veulent rien dire.
Cela nous ramène à la posture. Lors de la séance de Pecha Kutcha, je fus étonné de celle adoptée, par timidité certainement, par Raphaël (son prénom non changé) lors de sa présentation : souriant certes mais les bras croisés défensivement, un peu voûté comme s’il se préparait à recevoir des coups ! « Mais bon Dieu, je ne savais même pas quoi en faire de mes mains moi », explique-t-il.* C’est le point !
La timidité n’empêche pas les convictions. Quel que soit son interlocuteur, un professionnel sûr de son fait, et même s’il ne l’est pas, se doit de se tenir droit, le regard franc, ses mains utiles. La conversation n’ira pas forcément dans le sens souhaité mais ce n’est pas l’arène et on ressort de ces bureaux généralement vivants. À tout prendre, pour ne pas sortir laminé de l’entretien, autant ne pas partir battu.
Cela commence dès passée la porte du bureau. Il y a là peut-être un promoteur avec 40 ans d’expérience qui avant même qu’un mot ne soit prononcé a déjà calculé l’impétrant. Il vaut mieux qu’à l’issue de sa première impression, il ait le sentiment d’avoir affaire à quelqu’un de solide, jeune certes, et inexpérimenté sans doute, et pas encore tout à fait maître de son discours, mais solide ; un/e architecte qui ne réfléchit pas « à une démarche » mais qui, en toute simplicité, apporte des idées claires et constructives au projet et donne le sentiment de pouvoir le mener à bien.
À la fin, c’est le visa de l’architecte qui fait foi, alors autant se tenir debout.
Certes le format extrêmement resserré du Pecha Kutcha n’aide pas les jeunes aventuriers mais c’est justement tout son intérêt : la clef de la rapidité et de la souplesse est d’être capable d’exprimer clairement et succinctement une pensée sinon construite au moins réfléchie. Quand le temps est compté, il s’agit de ne pas tout tasser pour vouloir tout dire : il faut hiérarchiser les informations et faire des choix, ce qui donne aux propos de la profondeur et le temps de les exprimer.
Un mot pour conclure. Cette séance de Pecha Kutcha, qui a permis de découvrir de jeunes architectes au travail, s’est terminée par la présentation d’un projet de 46 logements. Poutres en bois apparentes évidemment mais surtout une preuve de réussite à ce stade pour la jeune agence sur le gril ce soir-là.
Si ses auteurs souhaitent voir ce projet tout à fait fini selon leurs vœux, chaque mot et la posture pour les énoncer compteront autant que les bonnes intentions de départ.
Christophe Leray
* Lire la chronique Jeunes architectes : discours de raison ou discours de conquête ?
** Lire notre article A quoi rêvent les (encore) jeunes architectes ?
*** Lire notre article Stan l’architecte vs Goliath le promoteur : et Goliath mordit la poussière !