Le 14 décembre 2023, une dépêche arrivée tout droit de Washington, D.C. (USA), et non de Tahiti pour changer, annonce que l’Urban Land Institute (ULI) a décerné à Anne Hidalgo, maire de Paris, le Prix ULI 2023 « des visionnaires du développement urbain ». Le prix ULI ? Anne Hidalgo visionnaire ?
La mission de l’Urban Land Institute est d’assurer « un leadership dans l’utilisation responsable des terres ainsi que dans la création et le maintien de collectivités prospères à l’échelle mondiale », le prix ULI constituant lui « une distinction parmi les plus prestigieuses et les plus respectées au sein de la communauté mondiale des spécialistes de l’aménagement du territoire et du développement ». Fichtre !
Plus explicitement, le « leadership » d’ULI se compose « de leaders de l’industrie immobilière », qui partagent « bénévolement » leur temps et leur expertise pour faire avancer la mission de l’ULI. De fait, depuis sa création en 2000, les lauréats, presque tous américains, sont en majorité des Magnats de l’immobilier (Jonathan F.P. Rose – 2021 ; Gerald D. Hines – 2002 ; Richard D. Baron – 2004 ; Sir Stuart Lipton – 2007 ; etc.).
Il y a cependant parmi les lauréats quelques architectes (Jeanne Gang – 2022, qui construit l’Université américaine à Paris ; Peter Calthorpe – 2006 ; Alejandro Aravena – 2019 ; Cheong Koon Hean – 2016 ; Peter Walker – 2012), un historien de l’architecture (Vincent Scully – 2003), un artiste (Theaster Gates – 2018*), et trois anciens maires : Anthony Williams (Washington, D.C.) – 2020 ; Richard M. Daley (Chicago) – 2010 ; Joseph P. Riley (Charleston) – 2000.
Bref, du beau monde !
Nous ne saurons rien pour autant des autres candidats à la consécration en 2023, ni même s’il y en avait… Mais, alors même qu’aucun Français n’avait à ce jour été retenu (un seul européen, Sir Lipton), par quel mystère et à partir de quels critères d’excellence Anne Hidalgo a-t-elle été nommée puis sélectionnée puis désignée lauréate ?
Le communiqué de presse est explicite : Anne Hidalgo est lauréate du 24ème Prix annuel de l’ULI « pour son engagement en faveur d’un Paris plus inclusif, plus durable et plus prospère, ainsi que pour son action au-delà du territoire parisien », indique Diane Hoskins, présidente de l’ULI et co-directrice générale de Gensler. Sont cités notamment « sa vision de la ville du quart d’heure,** qui se caractérise par une plus grande mobilité, une meilleure qualité de l’air, des espaces publics nombreux et des logements à des loyers accessibles à tous ». Ah oui, quand même…
Est ainsi récompensée la force des idées qui ont permis à la maire de la capitale de passer des murs végétalisés aux toits végétalisés, des rues végétalisées aux fermes urbaines dont les œufs sont immangeables à cause de la pollution qui a disparu, jusqu’à la construction bois en palettes*** et en matériaux ressourcés, tandis que le coût de la construction à Paris intra-muros, y compris pour le social, a ‘’skyrockecté’’ comme on dit dans le Real Estate américain…
De fait, les Réinventer Paris, si cela n’était pas du business de bon aloi pour qui aime l’immobilier…
Ces idées, pavées de bonnes intentions sans doute mais sur le fond superfétatoires, tardent pourtant pour la plupart à faire la démonstration de leur impact, sinon de leur pertinence. Me faut-il renommer le bouquet d’arbres au moins trentenaires près de chez moi en « forêt urbaine »**** ou rappeler l’aventure du « bâtiment aux mille arbres » coulé comme le Titanic en 2021 ? *****
Ces idées, ce n’est pas faute cependant pour la maire de Paris, prosélyte et convaincante, de les avoir largement partagées au sein du C40, un réseau mondial de près de 100 maires des plus grandes villes du monde, « unis pour faire face à la crise climatique », qu’elle a présidé de 2015 à 2019 et dont elle est encore vice-présidente du comité directeur.
D’ailleurs, de ces idées fortes, dans le communiqué pas même une mention pour son résultat du premier tour de l’élection présidentielle 2022, soit 1,7 % des voix exprimées, le score le plus bas de l’histoire du Parti Socialiste à l’élection présidentielle ? Nul n’est prophète…
Bref, l’impression d’un prix remis à contretemps.
Est-ce vraiment le cas ? En effet, la question demeure : pourquoi et comment, parmi les milliers de personnalités mondiales, distinguer les « achievements » d’Anne Hidalgo ?
Reprenons le communiqué. C’est Diane Hoskins, présidente de l’ULI et co-directrice générale de Gensler, qui signe le panégyrique.
Gensler ? Pour ceux qui ne le savent pas encore, Gensler est « un cabinet international d’architecture, de design et d’urbanisme qui regroupe 50 sites et plus de 6 000 professionnels en réseau en Asie, en Europe, en Australie, au Moyen-Orient et en Amérique. Fondé en 1965 à San Francisco, le cabinet est au service de plus de 3 500 clients actifs dans pratiquement tous les secteurs ». Il suffit d’un rapide détour vers le site de l’agence pour comprendre que question architecture internationale, avec Gensler, on est chez des champions. La firme était en effet classée au premier rang des entreprises d’architecture les plus lucratives des États-Unis en 2020, pour la neuvième année consécutive ! Chiffre d’affaires de la boutique en 2019 : 1,5Md€. Oui, un milliard et demi. ******
Le rapport avec Anne Hidalgo ? La firme, qui entend « renforcer ses ambitions à Paris », a en novembre 2021 ouvert un modeste bureau de 360 m² au 151 boulevard Haussmann, dans un chic arrondissement. Deux ans plus tard, Hoskins Diane, la co-directrice générale de Gensler, remet un prix ULI, dont elle est présidente, à Madame la maire avec laquelle je vais devoir travailler durant les années qui viennent… Hasard évidemment. Cela signifierait sinon un remarquable sens de l’anticipation que d’aucuns peinent à imaginer.
Pour autant, à y réfléchir, donner un prix aux architectes, cela fait cultivé mais ne rapporte rien à personne. Alors que donner le prix à un/une maire peut s’entendre comme une stratégie de haut vol, ce d’autant qu’il fallait déjà en 2021 compter au nombre des clients de Gensler notamment Equinix, JPMorgan Chase, Estée Lauder, BNP Paribas et Citigroup… Que des petits joueurs… Difficile donc pour l’édile en 2023 de refuser l’honneur et rien ne lui interdit plus tard de se souvenir avec tendresse de ce moment plaisant…
Je ne sais pas si la directrice générale de Gensler Diane Hoskins parle français mais elle a pu utilement s’appuyer dans sa réflexion sur les « Leaders ULI » de l’Hexagone, dont notamment Eric Donnet, directeur général de Groupama Immobilier et « ULI France Chair » depuis juillet 2023, ainsi que l’architecte Philippe Chiambaretta, par ailleurs membre « ULI France Steering Committee ».
Deux personnages bénévoles dont nul ne voit quel serait leur intérêt à remettre un prix prestigieux à Madame la maire avec laquelle nous serions si heureux de travailler demain. Tiens, les Champs-Elysées par exemple : le premier est inondé de cash depuis les récentes ventes records de deux de ses immeubles sur les Champs, le second porte une vision de transformation de la plus belle avenue du monde.*******
Les deux hommes étaient encore ensemble le 24 novembre 2023 parmi la liste des intervenants de la conférence annuelle ULI France sur « la thématique des hashtag#Valeurs ».
Cependant, seul un esprit mal placé peut subséquemment imaginer de tels tacticiens ‘’corporate’’ mettre en œuvre, à l’insu d’Anne Hidalgo qui plus est, un tel plan machiavélique au service de leurs intérêts futurs. Sinon, ce serait gâcher la fête de l’ingénue. Pour s’en convaincre, il y a d’ailleurs fort à parier qu’à l’avenir, au moins jusqu’à la fin de son mandat, ni Gensler ni Groupama Immo ni Chiambaretta n’auront à se féliciter de l’entregent de l’édile.
Pour conclure, à l’heure où Anne Hidalgo est donc justement récompensée, l’année qui s’achève, comme les précédentes, a au moins le mérite d’avoir été ! Voici donc, en 43 articles, de l’architecture en 2023 quelques faits et gestes contemporains.
Toute la rédaction vous souhaite de bien joyeuses fêtes. Rendez-vous en 2024.
Merci de votre fidélité.
Christophe Leray
Rédacteur en chef
> Retrouvez notre Edition Spéciale l’Année 2023 en 43 articles
* Lire Du ‘South Side’ de Chicago au jardin royal : herbe verte, spiritualité noire
** Lire La Ville du quart d’heure : utopie? fantasme? écran de fumée?
*** Lire A Paris, Manifestement, un nouvel esthétisme innovant et durable
**** Lire L’invention de la forêt urbaine, un nouvel oxymore…
***** Lire Le grand ramdam de l’architecture en France imaginée par les élites
****** Lire Chez Gensler, à Paris, on a le développement durable bien compris
******* Lire Le parc des Champs-Elysées, renaissance de jardins oubliés, par PCA-Stream