Ethel Hazel, sa psychanalyste, a pris la décision de revoir « intimement » Dubois, architecte et tueur en série. Reste à savoir où et quand. En attendant, tandis que Dr. Nut et Aïda, les policiers aux trousses de Dubois, tournent en rond, pourquoi les « tueuses » de Dubois atteignent-elles un plafond de verre ?
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« Si tu veux qu’on dise quelque chose, demande à un homme ; si tu veux qu’on fasse quelque chose, demande à une femme ».
Margaret Thatcher
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Ethel Hazel, depuis qu’elle a accepté l’invitation de Dubois pour un « encore » dont la seule pensée l’effraie autant qu’elle l’excite, ne sait pas trop comment reprendre la main. « C’est moi qui décide où et quand », lui a-t-elle dit la dernière fois. Mais où ? Chez elle comme la première fois ? C’est sans doute le plus rassurant pour elle. Peut-être ne les tue-t-il jamais chez elles ? Chez lui alors ? Est-ce que cela changerait quelque chose ? Ce serait en tout cas une nouvelle expérience, peut-être encore plus intense. Et quand ? Un week-end ? Un soir ? Un matin ? Elle devine que Dubois le tueur en série a sans doute une routine qu’elle ne peut perturber qu’avec une extrême prudence. En attendant c’est l’architecte qui arrive.
Ding Dong
Dubois a tôt fait de s’installer sans autre cérémonial après avoir posé son casque et enlevé sa veste et ses gants.
Etel Hazel (plongée dans ses notes) – La dernière fois, vous m’avez parlé de ces femmes architectes que vous dites avoir formées. Que sont devenues ces « tueuses », pour reprendre votre expression ?* Sont-elles devenues de grandes architectes ? Elles construisent en leur nom propre ? Vous avez de leurs nouvelles ?
L’architecte (dérouté par la question) – Ecoutez non, je n’ai pas de leurs nouvelles. Et si elles avaient construit un musée, un aéroport ou une tour à New York, sans doute qu’en effet je l’aurai noté.
E.H. – Vos « tueuses », pour poursuivre votre métaphore, ne sont donc pas mortelles… Que cela dit-il de vous, de l’idée que vous vous faites de vous-même ?
L’architecte (irrité, lui qui était si heureux en arrivant) – Oh, croyez-moi, mortelles elles le sont…
E.H. – Si elles sont aussi douées et aussi bien formées que vous l’affirmez, comment expliquez-vous que l’on n‘entende plus jamais parler d’elles ?
L’architecte – Mais il y a des milliers d’architectes dont on n’entend jamais parler ! Comment voulez-vous que je sache ce qu’elles font aujourd’hui. Si l’une construit sept logements à Turin, comment le saurais-je ? Mais ça vaut pour tous les garçons passés à l’agence. Si untel, je ne souviens plus de son nom mais il est Équatorien, un garçon doué que nous avons eu à l’agence avec Madeleine, s’il construit un gymnase en Argentine, comment le saurais-je s’il ne me le dit pas ?
E.H. (pugnace) – Justement. Vous ne trouvez pas étrange qu’aucune d’elles ne semble avoir percé et que, après avoir construit sept logements à Turin – Pourquoi à Turin d’ailleurs ? – elle ne souhaite pas vous en informer ? Habituellement, c’est comme cela que fonctionne la relation de maître à élève dont vous parliez.
L’architecte (qui se détend) – Je disais que c’est le type de relation que j’aurais aimé avoir, cela ne signifie pas que c’est comme cela que ça s’est passé, et sûrement pas avec toutes ces « relations » que vous me prêtez. Plus sérieusement, il y a des explications logiques à ce que ces « tueuses » ne soient pas forcément létales.
E.H. – Je vous écoute…
L’architecte – Vous ne le savez sans doute pas mais quasiment tous les grands équipements nationaux, comme les musées, sont encore préemptés par des architectes hommes. Dans mon domaine, celui de l’architecture, nous avons l’impression que l’égalité de traitement entre hommes et femmes architectes est en marche. En vérité ce n’est pas le cas. Il y a plus de 60% de filles dans les écoles d’architecture mais seulement environ 25% sont inscrites à l’ordre des architectes, une sorte d’organisme de contrôle. Où vont-elles toutes ces jeunes femmes formées et titulaires du même diplôme que les hommes ? Dans la communication ? Dans la fonction publique ? Pour la plupart, elles deviennent salariées, comme le sont celles qui passent par mon agence. Pourtant, quelques-unes d’entre elles deviennent architectes tout court et, je vous l’accorde, sans doute que pour celles-là les relais de communication, i.e. les médias et ceux qui les contrôlent, eux-mêmes fort aise au sein d’une communauté mâle, blanche et vieillissante, ne sont-ils pas toujours suffisamment attentifs à leurs travaux. Mais peut-être faut-il simplement donner du temps au temps. Quand j’ai commencé ma carrière, les femmes architectes, en libéral et maître de leur agence, étaient rares et souvent de courageuses pionnières. Alors sans doute que chacune de leurs réalisations était scrutée avec attention par les médisants mais au moins elles étaient scrutées et je pourrais vous en citer facilement une dizaine ayant inscrit leur nom dans l’histoire. Il a fallu une Zaha Hadid, une architecte d’une folle audace et dotée d’une assurance monstrueuse pour que le Pritzker, cette confrérie de vieux mâles qui décerne un prix annuel très recherché des architectes, prenne note. Maintenant, même le Pritzker essaye de rattraper son retard en parité et il y a du chemin… Mais aujourd’hui, c’est donc plutôt bon signe que personne ne fasse attention à une œuvre quelconque dans un pays quelconque sous prétexte que l’architecte est une femme. Encore que cela dépend du pays. Femme architecte en Afghanistan, ou dans n’importe quel pays en stan de la planète, voilà qui mérite sans doute encore d’être applaudi. Mais sept logements en ville, ici ou là, c’est le travail de l’architecte et c’est de ce travail qu’il ou elle doit tirer sa légitimité. Car, s’il est question d’architecture, le sexe de l’architecte, comme celui des anges, n’a pas voix au chapitre : ça tient debout, ou pas. C’est réfléchi ou pas. Quel architecte a besoin d’être légitimé autrement que par ses réalisations ?
E.H. (surprise par la tirade) – Vous ne croyez donc pas que les niveaux supérieurs ne sont pas accessibles à certaines catégories de personnes en raison d’un sexisme sous-jacent ?
L’architecte – Si mais je crois aussi qu’il faut regarder d’où on vient et les progrès réalisés en deux générations dans ce domaine. La parité, c’est un mot que tout le monde sait épeler aujourd’hui. Cela ne veut pas dire que nous y sommes, mais des résultats sont visibles. Je me souviens d’une ministre, ça devait être en 2016, qui expliquait, lors d’une remise du prix Femmes architectes – je la cite de mémoire : « Pourquoi une ministre des droits des femmes pour remettre le prix des femmes architectes ? Parce que les femmes ne gagnent pas les prix, parce que l’histoire gomme leurs contributions. Je suis moi-même issue de la parité et cela me dérange moins que de n’être pas du tout là », dit-elle. Pour la population mâle, blanche et vieillissante qui accapare le pouvoir par cooptation depuis des siècles, apparemment il y avait là un message. Mais, à mon sens, il ne faut pas regarder ce débat seulement sous l’angle du sexisme mais aussi sous ceux du mépris de classe, de la discrimination raciale ou religieuse. Je préfère être réincarné en une femme architecte intelligente plutôt qu’en un homme petit et gros avec le Q.I. d’un caillou. C’est bien le signe qu’il y a des progrès non ?
E.H. – Donc cela ne vous étonne pas de ne pas avoir de nouvelles de vos protégées ?
L’architecte – Pour le coup, c’est votre question qui est paternaliste. Pourquoi devraient-elles me donner de leurs nouvelles ? Pourquoi seraient-elles mes protégées ? Et si après m’avoir quitté elles ne réalisent pas de chefs-d’œuvre et restent salariées toute leur vie, qu’importe, je leur souhaite le meilleur, et une existence paisible. Après tout, homme ou femme, on ne doit des comptes qu’à soi-même pour la vie que l’on mène ou que l’on a menée !
E.H. (qui prend la remarque pour elle. Pincée) – La métaphore du plafond de verre exprime pourtant parfaitement les obstacles souvent invisibles auxquels se heurtent les femmes qualifiées pour accéder aux positions professionnelles les plus élevées.
L’architecte (irrité à nouveau. Péremptoire) – Il y a des plafonds de verre à tous les étages et pour presque tout un chacun. La femme de ménage devient rarement directrice d’une entreprise de nettoyage par exemple. Même si on peut toujours trouver un ou deux contre-exemples. Il est certes utile d’identifier ces obstacles, et je serai heureux que les obstacles spécifiques à la profession d’architecte soient levés mais bon, comme je l’ai déjà évoqué, on ne parle ici que de notre monde occidental confortable ; ce que l’on appelle ici un plafond de verre, pour la majeure partie des femmes du monde cela s’appelle un ciel de plomb, voire une camisole, voire un corset de béton ! Or un plafond de verre est par essence quelque chose de transparent où l’on peut voir ce qu’il y a derrière et donc conserver l’espoir de le dépasser, quitte à le dynamiter ou le fracasser, après tout, tous les moyens sont bons. Tandis que se concentrer sur la limite, c’est déjà être limité, vous ne croyez pas ?
E.H. (irritée elle aussi, presque amère) – C’est facile pour vous de le dire. Dynamiter comment ? Soit les femmes se comportent de manière « masculine » et sont jugées trop agressives, soit elles répondent aux stéréotypes féminins et sont perçues comme trop gentilles ou inefficaces !
L’architecte – C’est une question ou une assertion ?
E.H. (qui a du mal à contrôler ses émotions. Et elle, à quels stéréotypes répond-elle ? Depuis le temps qu’elle-même cherche autant sa place et sa légitimité que de trouver un moyen d’être naturelle en présence d’un homme… Dubois est le seul qui la fait frémir, c’est cela, frémir. Confuse) – Les deux, excusez-moi.
L’architecte (à nouveau détendu) – Concernant la question, comment dynamiter le plafond de verre ? Je n’en sais rien mais je pense que les femmes doivent se battre avec leurs propres armes, une femme architecte doit se battre comme une femme architecte, pas comme un homme architecte. C’est la seule voie possible et la solution renvoie peut-être à votre assertion. En effet, je pourrais ajouter un autre élément qui concourt à la résistance des plafonds de verre : la peur de la séduction des femmes, perçue par les hommes comme une source de perturbations dans un milieu encore très masculin dès qu’il s’agit des grands postes d’autorité. Dès qu’une architecte se montre coquette, élégante et fait preuve de bonne éducation, elle est immédiatement soupçonnée de sorcellerie dès qu’elle gagne un concours. Or la réalité est que, à talent égal, l’élégance et la bonne éducation sauront mieux séduire les maîtres d’ouvrage que l’arrogance et la brutalité. Alors oui, la discussion autour du déjeuner ne sera pas la même s’il n’y a parmi les convives que des hommes ou si des femmes sont présentes mais leur présence ne fera en réalité que filtrer les histoires de vestiaires et ce n’est pas plus mal. Pour le reste, si un contrat à plusieurs millions doit être signé à l’issue du déjeuner, le maître d’ouvrage s’en fiche si son architecte n’a mangé qu’une salade en buvant de l’eau minérale. Cela ne veut pas dire lui faire du pied sous la table mais une architecte a le droit d’être souriante et plus habile qu’un architecte trop sûr de lui. Mais la peur de séduire ou d’être séduit rend les rapports compliqués et, en ce cas, l’inertie des potes de vestiaires est un vecteur puissant d’exclusion, et pas seulement pour les femmes. Pour paraphraser Coluche, essayez donc de devenir banquier si vous êtes petit, gros et noir !!! Cela dit, j’en suis convaincu, ce n’est qu’une question de temps, j’espère…
E.H. – Je vous trouve bien optimiste. Vous parlez d’inertie, il me semble que les mêmes obstacles demeurent mais aujourd’hui sur un mode plus discret, voire invisible aux yeux même des acteurs.
L’architecte – J’imagine que c’est la psychanalyste qui parle. Pour ma part, je vois les choses plus simplement et oui sans doute avec foi dans l’avenir. D’ailleurs, le plafond de verre est plus ou moins haut selon que l’on est debout ou couché.
E.H. (indignée) – Vous voulez dire qu’il faut « coucher » pour dépasser le plafond de verre ?
L’architecte (sincèrement surpris et haussant les épaules) – Certes, c’est un moyen d’aller vite, voyez Melania Trump par exemple… Mais ce n’est pas ce à quoi je pensais. Je pensais plutôt au syndrome de la Belle au bois dormant que vous avez évoqué avec moi, à un plafond de verre transparent, quasi invisible offrant une vue sur le vaste ciel étoilé et…
DRINNNN, DRINNNN
La sonnette interrompt la conversation et selon leur contrat tacite, cette séance s’arrête là. Mais cette fois Ethel ne peut s’empêcher de poser encore une question : « ce plafond de verre dont vous parlez, pour la Belle au bois dormant, vous sauriez-le construire ? ». « Évidemment, je suis architecte », réponds Dubois avec un grand sourire. Du regard, il interroge Ethel pour savoir s’il en saura plus de leur prochain rendez-vous mais il voit dans ses yeux que ce n’est pas encore le moment et il est bientôt parti. Ethel, restée seule a encore le cœur qui bat la chamade : non seulement elle a l’impression de progresser enfin dans l’analyse, Dubois étant de plus en plus près de confirmer ses intuitions, mais elle n’a vu aucune malveillance dans son regard interrogateur. « Il va falloir que je me décide », se dit-elle en rassemblant ses notes, tandis qu’elle ressent au plus profond d’elle-même une sorte de fièvre langoureuse. Et, pendant quelques secondes, toute peur a disparu.
(À suivre)
Dr. Nut (avec les notes d’Ethel Hazel)
DANS LE BUREAU DE DR. NUT, LUNDI 18H24
Il y a des soirs où Dr. Nut est découragé. Il suit sur les écrans la disparition d’un enfant ici, d’une jeune fille là, des affaires médiatiques qui font la Une des journaux, et il est content que ce ne soit pas tombé sur lui. Que dirait-il aux journalistes ? Qu’il y a plus de mille disparitions inquiétantes par an, trois par jour ? Que les gars de son équipe sont débordés, chaque jour, par de nouveaux cas ? Que son service est comme un hôpital de campagne et qu’il faut faire un tri en regard de la gravité des blessures. Lui-même doit faire des choix. Il sait que si son instinct lui dit d’enquêter sur telle ou telle affaire, un de ses gars va bosser tard à chercher des indices, même de chez lui quand les enfants sont couchés et que sa femme regarde la télé, et qu’il aura un rapport le lendemain sur son bureau et qu’il lui faudra décider si on poursuit l’enquête ou si on assume que c’est le mari ou un voisin, voire un père ou les frères. Une inondation de tristesse. Pourquoi n’a-t-il pas abandonné la poursuite de Dubois ? Après tout, il n’y a pas une plainte, personne pour rechercher les victimes ou désigner l’architecte. Même les gars de son équipe seraient prêts à passer à autre chose s’ils n’avaient pas, comme lui, la conviction d’avoir affaire à un tueur en série extraordinaire, que l’on ne rencontre qu’une seule fois dans sa vie. « Mon obsession finit peut-être par nuire à l’efficacité du service », se dit le policier. Mais à qui peut-il en parler ? Il aimerait bien en parler à Ethel mais qu’en penserait-elle, elle qui s’est de nouveau acoquinée avec Dubois ?
Ha mais voilà Aïda et sa vue l’encourage ; il a bien compris qu’elle s’est impliquée dans cette affaire pour des raisons qui vont au-delà de la seule volonté de bien faire son travail de flic. Il n’est pas sûr mais il a le sentiment, comme chacun des gars de son équipe, qu’Aïda n’en aura pas fini avant d’avoir coincé Dubois. Mais qu’en sait-il vraiment ?
« Hello patron ».
« Bonjour Aïda, ça va ? Je te propose une bière ? »
« Allez, oui, pourquoi pas », dit-elle
Dr. Nut commence à se lever mais Aïda le retient. « Ne bougez pas, je commence à savoir où elles sont rangées », lui dit-elle en souriant et en ouvrant le frigo. « Et je ne vous demande pas si vous en voulez une… »
Dr. Nut sourit à son tour en s’affaissant un peu dans son siège, c’est la fin de la journée et l’enthousiasme d’Aïda, désormais installée en face de lui de l’autre côté du bureau, est le bienvenu. Ils commencent à être habitués à ce rituel si bien qu’Aïda se permet d’entrer directement dans le vif du sujet.
« Bon, je me suis attaquée aux chaussettes et sans vouloir faire de mauvais jeux de mots, ça ne vole pas très haut. Tenez regardez la fiche technique ».
Fiche technique des vêtements portés par Gina Rossi** le jour de la découverte de son corps
Nature du produit : Chaussettes
Marque : NC
Couleur : Noire
Taille : NC
Description : Paire de chaussettes, maille épaisse finitions bords-côtes au niveau du haut du genou, renforcées au niveau de la pointe et du talon.
Matières : approximativement 70% Laine – 30% Polyamide – dont quelques % d’Élasthanne
État du produit : bon état
Autres indications notables :
« Alors voilà, pour ce qui est du modèle, on est sur du basique, des chaussettes noires ni plus ni moins. La maille est un peu épaisse, ce qui doit correspondre à un mélange, laine et polyamide je dirais. Des chaussettes un peu mi saison, pas en coton pour l’été mais bonnes pour l’automne. Vous connaissez la suite… », dit-elle en souriant.
« Oui je crois bien, on reste sur un crime en novembre », répond-il un peu las mais lui rendant son sourire.
« Pour le reste pas de marque, aucune indication, pas de taille ou d’écriture présente sous la voute plantaire. On ne saura rien de plus. Elles peuvent être made in France, Italy, China ou encore made in Japan ».
« OK j’ai compris », soupire l’inspecteur, pensif, en buvant une gorgée de bière.
Aïda semble déceler dans le comportement de Dr. Nut une forme d’inquiétude ou d’incertitude. Elle poursuit cependant comme si de rien n’était : « Avez-vous entendu parler de Rex Heuermann ? »
« Son nom me dit quelque chose mais je n’arrive plus à remettre un contexte. Vous me rafraichissez la mémoire ? », demande le policier.
« Rex Heuermann est un architecte américain d’une soixantaine d’année. Il a été inculpé cet été pour le meurtre de trois jeunes femmes », explique Aïda.
« Mais oui, oui, bien sûr ! », s’exclame le policier, soudain excité. « Cette histoire est dingue, de mémoire, cela faisait 13 ans je crois que l’on avait retrouvé les corps de ces trois très jeunes prostituées, dans la même position sur une plage à Long Island. Mais le mystère perdurait sur le meurtrier, jusqu’à ce qu’un architecte se fasse coincer !! Un autre architecte serial killer, je ne pensais pas que cela soit possible !? Ce Rex volerait presque la vedette de notre Dubois n’est-ce pas ?! »
« Oui, enfin, je vois quand même une différence majeure entre ces deux tueurs en série quand on observe leur cible et leur mode opératoire ; Rex choisi des prostituées, très jeunes, inconnues, et leur fait subir tout un tas de choses macabres dans sa cave puis les abandonne dans des toiles de jute sur un bord de plage. Dubois préfère des femmes qu’il connait, blondes, jeunes, intelligentes, architectes comme lui le plus souvent, et il semble devoir les conserver pour l’éternité. Regardez notre Gina, on dirait presque un ange. Dubois semble avoir le goût pour les belles choses, loin de ce Rex qui semble être le cliché du pervers psychopathe », souligne Aïda.
« Mais vous savez ce qui m’a le plus étonné dans cette histoire ? Ce qui la rend à mon sens encore plus grotesque ? », poursuit-elle.
« Non », répond Dr. Nut qui tente de se souvenir et de deviner.
« C’est la manière dont l’équipe sur place a coincé ce salopard. Il était suivi depuis quelques mois par une nouvelle équipe de policiers qui cherchait une preuve pour l’inculper, un peu comme nous avec Dubois d’ailleurs. Mais, plus chanceux que nous, ils étaient sur la piste de Rex Heuermann grâce à un témoin qui avait repéré sa voiture – il y a 13 ans !!! – près des lieux où l’on a retrouvé les jeunes filles. Sur les sacs en toile de jute, quelques cheveux ont été retrouvés mais il fallait un test ADN de contrôle pour vérifier qu’il s’agissait bien du même homme. Après l’avoir suivi pendant des jours, ils ont enfin obtenu un échantillon en récupérant les déchets de sa pizza jetée à la poubelle. Ils ont pu l’inculper en ayant trouvé son ADN sur la croûte de sa pizza !! Une véritable histoire à l’américaine ?! Nous qui déshabillons Gina avec tant de minutie, de travail, de finesse, les Américains ont attrapé Rex Heuermann avec une pizza ! ».
Dr. Nut explose de rire. « Ah ça alors, non je ne le savais pas, comme quoi il ne faut négliger aucun détail, même les chaussettes ! »
« Et qu’est-ce qu’il mange d’abord Dubois ? », dit Aïda. Et tous deux de rire de plus belle. C’est finalement si rare dans leur métier, d’en rire justement. Encore, se dit Aïda, je viens d’arriver, lui et les collègues vivent avec tous ces fantômes punaisés aux murs depuis des années.
Redevenue sérieuse : « On va l’attraper Patron, je ne le laisserais pas tuée une autre femme ». La fermeté du ton et du propos surprend Dr. Nut.
« Excusez-moi mais je ne vous l’ai pas encore demandé : vous vous plaisez avec nous ? Vous ne regrettez pas votre laboratoire », dit le policier en jetant un regard à son bureau encombré de toute part.
Aïda prend le temps de répondre en avalant une gorgée. « Si je me suis engagée dans la police, c’est pour rendre justice. Au départ, je pensais devenir avocate mais je voulais de l’action, quitte à me faire peur faut croire », dit-elle avec un sourire timide. « C’est sur le terrain que les choses se passent, n’est-ce pas ? L’avocat, lui, il ne se retrousse pas les manches, il arrive après la bataille, alors je craignais d’être frustrée. Et je me suis retrouvée dans le labo textile de la police jusqu’à ce qu’on me demande de venir rejoindre votre équipe ».
« Vous ne le regrettez pas ? »
« Non, même si ce n’est pas la même ambiance entre les intellos des labos qu’entre les lascars de votre petit bataillon. D’ailleurs mon arrivée est aussi bénéfique pour vous tous que pour moi ».
« Ha bon ? », dit le policier en relevant les sourcils.
« Ne suis-je pas en train de changer le cours de l’histoire dans cet univers macho, blanc, hétéro de votre service ? Vous vous rendez compte de l’impact qu’une femme policier peut avoir sur notre profession et sur la vision de notre police dans la société ? », assure Aïda, souriante et provocatrice.
« Oui oui, je comprends. Bien, il y aura bientôt de l’eau ou toute autre boisson que vous souhaitez dans le frigo et je dirai aux gars de cesser de manger votre salade », dit Dr. Nut, en lui rendant son sourire.
« Ca fait longtemps qu’ils n’osent plus manger ma salade », dit-elle dans éclat de rire « Et puis c’est quoi encore ces clichés ; je ne mange pas que de la salade ! Vous voyez bien qu’il vous faut des femmes ici si vous voulez rejoindre un jour le XXIe siècle ! ».
« Sans doute, sans doute… Bref, vous avez envie de rester, c’est ça ? », demande le policier.
« Plus que jamais, si possible », répond Aïda avant de se lever d’un bond et de s’éclipser joyeusement.
Laissé seul avec ses pensées, Dr. Nut réalise qu’il se sent maintenant de bien meilleure humeur. Aïda n’a rien apporté de nouveau à l’enquête mais il pressent qu’elle non plus ne lâchera plus Dubois. « Ce type, il nous aspire tous dans sa vie les uns et les unes après les autres ! », pense-t-il en éteignant la lumière.
(À suivre)
Aïda Ash (avec les notes de Dr. Nut)
* Lire l’épisode Pour l’architecte Dubois, que transmettre ? (Saison 6)
** Pour savoir qui était Gina Le temps qui ne passe pas vite, meilleur allié de l’architecte ? (Saison 4) et L’architecte en garde à vue – Le fantôme de Gina (Saison 5)
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