
Le foyer Maurice Ravel de Nanterre (Hauts-de-Seine) semble promis à démolition. Il est vrai que le propriétaire de l’ouvrage y est allé à la manœuvre pour surtout ne pas entretenir cet équipement prestigieux loué par tous à sa livraison. Guerre aux démolisseurs ? Qu’en penserait Victor Hugo ? Tribune.
« Il faut le dire et le dire haut, cette démolition de la vieille France, que nous avons dénoncée plusieurs fois sous la Restauration, se continue avec plus d’acharnement et de barbarie que jamais. […] Chaque jour quelque vieux souvenir de la France s’en va avec la pierre sur laquelle il était écrit ». Victor Hugo, Guerre aux démolisseurs (13 mars 1832)
Cher Victor !
Pardon de te déranger, mais j’ai (nous avons !) besoin d’un coup de main ! Pourrais-tu nous aider après tout ce que tu as rédigé ?
Je t’explique, nous t’expliquons…
Que pouvons-nous faire pour protéger ce village en cubes de béton qui se baladent dans l’espace ?* Ce village construit dans les années 1970 aux pieds de deux immeubles HLM, à Nanterre (Hauts-de-Seine). Figure-toi qu’il est en plein danger de démolition – transfiguration. C’est sûr que cela fait longtemps que le propriétaire médite ce sale coup ! Faut voir ça ! Même habités par ces étudiantes et étudiants musiciens, les cubes commençaient à être laissé tomber en ruine.
En ce temps-là, les résidents signaient un contrat avec le propriétaire. Rien de plus normal, bien sûr. Mais voilà, c’est le propriétaire qui ne le respectait pas.
Je t’explique.
Les occupants avaient le droit de laver leurs affaires dans une buanderie. Malgré une surveillance du site garantie par le même contrat, des voyous ont pénétré dans le village en cubes, ont arraché les câbles de la buanderie … qui ne furent jamais réparés. La buanderie, c’est cuit !
Dans ce village, il y avait une bibliothèque qui un jour a pris feu. Jamais le propriétaire ne l’a remise en état ! Il n’était pas assuré ? Cerise sur le gâteau, les accès aux chambres en cubes sont des balades en plein-air : figure-toi que les lampes qui devraient les éclairer la nuit sont allumées toute la journée ! Écologie ? Économies ? Alors, évidemment, cela coûte trop cher de réparer tout ça.
Et puis, la ventilation mécanique est tombée en panne dans les années 2010 ; il a fallu attendre sept ans pour qu’elle soit réparée, … parce qu’il fallait monter à l’échelle pour y accéder ! Conséquences : les chambres étaient trempées, la flotte coulait sur les murs, la peinture était décollée, il fallait sans cesse réaccorder les instruments de musique. Et puis il y avait une salle avec table de ping-pong, et une salle avec une télévision.
Sans parler de l’auditorium ! De l’eau s’est infiltrée dans cette salle de concert de 150 places. Comme pour le reste, aucune réparation : peinture décollée, fauteuils abîmés, estrade un peu défoncée, faux-plafond détruit, et un piano à queue sous bâche…
Quand tu sais que dans cet auditorium Olivier Messiaen est venu jouer. Voici ce qu’il écrivit dans le livre blanc : « Le Foyer Maurice Ravel, quelle merveille ! L’architecture, qui rappelle le Portugal, les jolis appartements réservés aux étudiants, et cette salle de concerts dont l’acoustique parfaite met en valeur les récitals de piano et la musique de chambre : tout cela est si réussi qu’on croit rêver. Bravo à ceux qui ont conçu ce temple de la musique ».
Quand tu sais que des festivals de musique classique portés par l’ADIAM 92 et l’EPAD – voire même la mairie de Nanterre, la DRAC Ile de France, la SACEM – ont eu lieu chaque printemps de 1979 à 1989, dont certains ont été retransmis sur France Musique, sur France Culture, il y a de quoi s’interroger sur la destruction de cet étonnant lieu de culture !
Si tu le permets, j’ajoute ce que nous a écrit le chef d’orchestre, pianiste et musicologue Jean-Michel Ferran : « Ce foyer est un lieu unique en France (à part la cité des arts et la Villette) qui permet à une centaine d’étudiants musiciens, pour lesquels le logement est souvent si difficile, de poursuivre leurs études en travaillant leur instrument dans des conditions optimales. De nombreux grands artistes y ont vécu, parmi lesquels on peut citer Roger Muraro, Hae-Sun Kang, Pierre-Alain Volondat, Philippe Cassard, Diana Ligeti et tant d’autres ! Enfin, il faudrait parler au passé car il est aujourd’hui si mal entretenu qu’il est même menacé de destruction. C’est un lieu unique, tant par sa vocation, si essentielle pour nos étudiants, que par le geste architectural fort qu’il représente… »
Alors ? Pour être clair, le démolisseur-propriétaire s’appelle La Casse des Dépôts – ou la Caisse des Dépôts ; j’avoue ne plus me souvenir de son nom. Son seul projet est de détruire… détruire… détruire… Comme tu l’as écrit, cher Victor, « On ne restaure plus, on ne gâte plus, on n’enlaidit plus un monument, on le jette bas ».
Détruire un bâtiment qui, lorsqu’il sortit de terre, surprit beaucoup de gens sur cette terre. Est-ce vraiment possible ?
Victor Hugo, je t’explique de quoi je parle.
Il s’agit d’un village baptisé Foyer Maurice Ravel qui fut conçu pour accueillir des étudiantes et des étudiants musiciens qui venaient de tous les pays de la Terre suivre en Ile-de-France des cours de musique. Chaque chambre est composée de deux cubes superposés avec des excroissances en fonction des commodités. Une salle de lecture, un auditorium de 150 places, des espaces de travail, étaient à leur disposition.
Dès qu’il sortit de terre son architecture fut valorisée par de nombreux articles : Le Monde (« c’est un ensemble de 100 logements meublés …qui…se présente comme un assemblage fantaisiste de gros cubes blancs empilés comme par une main d’enfant...), des revues d’architecture (Revue Architecture – mars 1979 : « La résidence Maurice Ravel est une réalisation « de pointe »… », « Cent volumes cubiques s’organisent dans une composition qui donne le sentiment d’une variation symphonique sur un même thème… »), Le Figaro, le journal de Nanterre – Nanterre Info n°129 d’avril 1988 et celui de juin 2009 où il est écrit à la fin de son article par Jeanne Cornaille de la Société d’Histoire de Nanterre : « Ces deux constructions [l’école d’architecture de Nanterre et le Foyer Maurice Ravel], outre leur utilité, témoignent de la créativité de leur auteur ; elles font déjà partie du patrimoine nanterrien et méritent à ce titre d’être préservées ».
La Préfecture des Hauts-de-Seine, le Délégué Régional de la Musique de la DRAC Ile-de-France, Madame Jacqueline Fraysse – députée de Nanterre-Suresnes, Monsieur Jack Lang – ministre de la Culture, Monsieur Jacques Favart – conseiller culturel du Conseil général du département des Hauts-de-Seine (« Unique exemple en France d’une telle réalisation »), ont valorisé ce bâtiment, « expérience unique en France » – selon les termes de la lettre signée du président du Conseil général à l’intention de Monsieur le Commissaire de la République.
La DRAC Ile-de-France a souhaité inscrire l’ouvrage au titre des Monuments historiques, le ministère de la Culture a souhaité lui attribuer le label Architecture contemporaine remarquable : ces deux propositions ont été refusées par le démolisseur. Une photo du bâtiment est publiée dans le livre de Robert Doisneau La Banlieue en couleur.
Alors, faute de le détruire lui-même – ce qui je crois, avait été refusé par le maire de Nanterre, le proprio a appelé à l’aide ! Plusieurs équipes lui ont proposé un coup de main, dont l’une d’elles qui voulait tout conserver, ne rien casser du tout ! Ben c’est foutu. Comme quoi les démolisseurs sont toujours vivants. Ils ont choisi – voir Nanterre Info de mai 2022 –, avec l’accord du maire et de l’élu à l’urbanisme, un promoteur qui détruira des chambres et l’auditorium alors que cela n’est pas prévu dans le projet d’IMMOBEL présenté dans le document du propriétaire daté du 01/11/2021 où il est écrit : « L’auditorium est conservé et des événements ouverts au public seront mis en place via la création d’une association de résidents ». Incroyable mais vrai, alors que la société d’histoire de Nanterre écrivait dans Nanterre Info « elles font déjà partie du patrimoine nanterrien et méritent à ce titre d’être préservées » ! Qui croire ?
C’est ainsi cher Victor que la culture est valorisée, en cassant l’architecture du XXe siècle supposée être inscrite au titre de Monument Historique ! Supprimer une salle de concerts située aux pieds de 700 logements HLM, qui aurait pu être mise à disposition des musiciens du quartier, des associations nanterriennes, en partenariat avec la Maison de la Musique et le théâtre des Amandiers, voilà ce qu’approuve le maire de Nanterre ? Tout cela au prétexte de rendre le Parc André Malraux accessible aux habitants du boulevard de Pesaro ? Mais, c’est Le seul Parc de Nanterre qui n’est fermé par aucune clôture ; il suffit de passer aux pieds des immeubles HLM pour accéder au parc !
Et puis, pourquoi ne pas demander au propriétaire de la parcelle située entre le Foyer et le bâtiment Égalité de supprimer la clôture qui condamne l’accès au parc… Je parle de l’EPADESA (anciennement EPAD) ? Pourquoi ne pas demander à Monsieur Georges Siffredi, président du conseil départemental des Hauts-de-Seine et vice-président de la Métropole du Grand Paris, de permettre l’accès au Parc André Malraux en passant le long du Foyer ? Et pourquoi ne pas commencer par supprimer la clôture du Parc des Anciennes Mairies, situé au centre-ville, ou la clôture du parc du Chemin de l’Ile ? Non, le choix est de casser un bâtiment que le ministère de la Culture lui-même souhaitait labelliser Architecture Contemporaine Remarquable !
Voilà pourquoi, cher Victor, nous avons besoin d’un coup de main pour « arrêter le marteau qui mutile la face au pays » comme tu l’écrivis dans ton ouvrage Guerre aux démolisseurs : « Quels que soient les droits de la propriété, la destruction d’un édifice historique et monumental ne doit pas être permise à ces ignobles spéculateurs que leur intérêt aveugle sur leur honneur ; misérables hommes, et si imbéciles qu’ils ne comprennent même pas qu’ils sont des barbares ! Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous, à moi, à nous tous. Donc le détruire c’est dépasser son droit ».
Ce qui est valable pour le Foyer Maurice Ravel l’est aussi pour la cité-jardin de la Butte-Rouge** à Chatenay-Malabry, la Maison du Peuple à Clichy-la-Garenne***, le grand ensemble du chêne pointu à Clichy-sous-Bois,**** la cité Pierre Sémard au Blanc-Mesnil, etc. Etc. Décidément, des Démolisseurs, il en reste !
Premiers signataires ci-dessous
*Lire l’article Le Foyer Maurice Ravel de Nanterre tout déglingué, c’est normal ?
** Lire notre article La Butte Rouge : d’un grand Paris social au grand Paris immobilier
*** Lire nos articles : Contre le maléfice des momies, il n’y a qu’un vent de fraîcheur, Le projet en vérité, Le veto du ministre au projet de Ricciotti à Clichy : un refus informel ?, M. Riester, votre veto signe la ruine de la Maison du Peuple
**** Lire notre article A Clichy-sous-Bois, gestion de l’attente par l’architecte Hélène Reinhard
Les premiers signataires : Serge Kalisz, Jean-Claude Petit – compositeur, Frédéric Dumont, David Liaudet, Rachel Kashema , Aymeric Zublena – architecte, Prix de Rome en 1967, président de l’Académie d’architecture de 2002 à 2005, Officier de la Légion d’Honneur, Officier de l’Ordre National du Mérite, Chevalier des Palmes Académiques et Commandeur des Arts et Lettres, Gilles Margot-Duclot – architecte, Anne – Marie Dubois – pianiste québécoise, Thierry d’Auzon, Philippe Lankry – architecte, Jean-Marc Chouvel – professeur Sorbonne Université UFR Musique et Musicologie, François Horoux, Roger Salem – architecte, Jean-Michel Ferran – chef d’orchestre, compositeur, Maieul Adenot Meyer, Laurent Beaudoin – architecte, Didier Petit – violoncelliste – improvisateur, Ricardo Forte – architecte , Gênes (Italie), Gilles Schuehmacher – compositeur, Manuel Cornejo – Le Amis de Maurice Ravel, Eric Lelann, Bruno Huerre – architecte, Tatiana Kiseleva, Jean-François Cabestan – architecte du patrimoine, Chevalier des arts et des lettres, Dominique Ripaud, François Périllat – producteur exécutif, Jean-Yves Hannebert – architecte , vice-président des AMIS du Frac Centre-Val de Loire, Serge Constantinoff – architecte, Jean-Pierre Lefebvre – urbaniste, Frédéric Borel – architecte, Michel Diard – journaliste honoraire, docteur en sciences de l’information et de la communication, Dominique Dantec, Bernard Roué – architecte, Laurent Petitgirard – compositeur et chef d’orchestre, Agnès Caillau – architecte – urbaniste de l’état honoraire, architecte du patrimoine, membre expert d’Icomos international XXème, Monique Moret – directrice d’école honoraire dans le quartier du Parc à Nanterre, Patrice Warnant – architecte, Jean-Marie Berthier, Georges Maurios – architecte, Alain Pélissier – architecte, Claire Vergnory – clarinettiste, Jean-Pierre Moreau – compositeur, docteur en musicologie, chercheur associé au laboratoire PRISM, chercheur associé au laboratoire ADEF, président du MIM – Laboratoire Musique et Informatique de Marseille, Dominique Deshoulieres – consultant MIQCP, Gilbert Roger, Bernard Paurd – architecte , Leila Nita, Marianne Piketti – violoniste, Bernadette Blanchon – architecte, maîtresse de conférences ENSP Versailles-Marseille, Philippe Le Corf, François Kaldor, Alain Dervieux, Pierre Bouillon – architecte, Jessica Vatonne – architecte, violoniste amateur, Elodie Chanut – comédienne, Flore Dupuy – pianiste, Kamel Benhamou, Caroline Mazel – diplômée en architecture, maître de conférence en YPCAU, Responsable pédagogique des Formations spécialisées en Culture architecturale & Médiation, Membre du laboratoire Profession Architecture Ville Environnement Richard Klein – architecte, professeur, représentant à la commission recherche, chercheur au LACTH, président du CNECEA, président de Docomomo France, Marc Brunel – résidant au Foyer, Serge Renaudie – architecte, Eléonore Marantz – maître de conférences en histoire de l’architecture contemporaine, Université Paris 1 Panthéon-Sorbone, école d’art et d’archéologie de la Sorbonne (UFR 03), EA 4 100 Histoire culturelle et sociale de l’art (HiCSA), Daniel Chapy, Martin Guerpin – maître de conférence en musicologie à l’Université d’Evry-Paris-Saclay, Coordinateur pédagogique du programme Medinea On Air (Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence), Lise Dumas-Robert – Architecte DE, DSA Architecture et Patrimoine, Sarah Hinnrasky, François Bousch – Compositeur, Pierre Bernière, Cécile Mescam – Architecte, Architecte consultante MIQCP, Jean-Michel Bourillon – Président de l’Association Foncière de l’Ile-de-France, Jean-Luc Borg – Directeur du Théâtre Par le Bas, Olivier Nouyrit, Pblo Katz – Architecte – Urbaniste, Président de l’Académie d’Architecture, Architecte Conseil de l’État, Conseiller – Ordre des Architectes IDF, Ancien Président de la Société Française des Architectes, Jean-Louis Hannebert – Architecte du Patrimoine, Véronique Laulanie, Raphaëlle Saint-Pierre – Historienne, journaliste d’architecture, Benoît Pouvreau – historien de l’architecture, Hélène Boccard, Eloi du Rivau, Catherine Fiscus, Eric Lacrouts, Pascal Langrand, François Lebegue – Directeur de l’Atelier de Musique du Havre, Catherine Blain – architecte, docteur en Aménagement et Urbanisme, Auteure de plusieurs ouvrages, Bernard Toulier, Conservateur général honoraire du patrimoine, historien d’architecture, Jacques Martinez, Don Carlo Josè Seno, Alain Buet – Artiste lyrique, professeur au Cnsmdp, Monique Eleb, Xavier Dousson, Michel Duffour, Dominique Cordesse – architecte.