Le mardi 7 février, Chroniques a publié la lettre ouverte d’un architecte en colère à propos d’une émission grand public diffusée à une heure de grande écoute, un dimanche soir. A la grande surprise de la rédaction, cet article a été partagé, à l’heure de l’écriture de ces lignes, plus de 3 000 fois ! Qu’est-ce que cela peut bien signifier ? Et qu’est-ce que cela nous dit à propos des architectes en France ?
Reprenons. M6 a diffusé le 26 février 2017, dans son émission bimensuelle Capital, dont le thème était «Se loger mieux et moins cher», un reportage portant sur les maisons individuelles préfabriquées en bois. Le sujet aurait pu être intéressant sauf que les nombreuses approximations du journaliste et des producteurs de l’émission ont conduit Jean-François Espagno, président de l’association Architectes d’aujourd’hui, à prendre la plume pour une lettre ouverte au vitriol adressée aux patrons de M6.
Une indignation depuis largement partagée puisque notre article a été lu plus de 14 000 fois, sur environ 30 000 architectes en France, avec un temps de lecture moyen de 5:34mn. Certes, à Chroniques, nous comprenions bien toucher une corde sensible mais jamais n’aurions-nous imaginé une telle exaspération.
Une remarque. Les magazines d’architectures, pour la plupart parisiens, dont le nôtre sans doute, méconnaissent-ils la profession d’architecte ? Les journalistes ne finissent-ils pas souvent par regarder les œuvres architecturales par le bout de la lorgnette de la commande publique ? Ce sont ces ouvrages qui sont publiés, qui reçoivent les prix, qui sont le sujet des dîners en ville. Quels sont les critères de publication ?
D’évidence, un si grand nombre de réactions à cet article indique que le pain quotidien de nombre d’architectes est ailleurs, et ce sont ces derniers qui sont ulcérés par le reportage, sans doute parce que ce sont eux pour qui le préjudice est le plus sensible.
Leurs réactions sur les réseaux sociaux en témoignent abondamment. «Bravo, il faut le faire savoir sur tous les « toits », il faut encourager votre collègue à poursuivre M6 pour ces propos mensongers!!!», réagit ainsi Daniel Michel sur le mur Facebook de Diptyk Architectes. L’architecte Sarah Grégoire, architecte à Orléans, de poursuivre : «C’est juste dommage qu’ils disent « le coup de gueule d’UN architecte », comme si on n’était pas solidaire…». Une jacquerie !
Surtout ils sont nombreux à mettre en avant la répétitivité de ce genre de ‘fake news’, puisque le mot est à la mode. Olivier Darnis, un architecte des bâtiments de France (ABF) peut-être, note ainsi que ce reportage «est loin d’être le premier coup d’essai pour discréditer les professions d’architecte et d’architectes du patrimoine, (sans parler des professions de l’artisanat). Dans l’émission ‘Maisons à vendre’, M6 a déjà laissé entendre que les règlements d’urbanisme sont là pour embêter les gens et que les périmètres de protection sont seulement là pour donner du travail aux ABF. Quand on explique aux profanes que Valérie Damidot fait des travaux de qualité faut pas s’étonner de ce genre de propos!!». Presse people ?
Même pas. L’argument est en effet repris par Anne-Laure Daviet : «Si seulement ce « n’était » que Capital… Malheureusement l’émission Envoyé Spécial a réalisé un documentaire sur notre canton avec des interviews hallucinantes d’omissions et de distorsions de la réalité ! Totalement erroné et partial, et ça prétend faire son travail… Lamentable ! Les journalistes ont sûrement des amis lobbyistes pavillonneurs». Le ressentiment vis-à-vis de la presse n’est donc pas loin non plus… FAKE NEWS comme dirait l’autre ? Christiane Michèle Hervet, architecte à Paris, résume le sentiment général : «On commence à avoir l’habitude : plus les mensonges sont gros, mieux ils passent….»
De fait, un dénommé Patafouin Ramirou rajoute de l’amer dans le Picon : «Ce genre de clichés abonde dans la totalité des émissions en rapport « à la maison »… de La maison France 5 en passant par toutes les émissions de déco ou de vente/achat de logements de M6… Et pourtant je n’ai jamais vu le moindre démenti suite à une plainte de l’Ordre, sans doute trop occupé à chasser les sorcières au sein de ses confrères…». Sorcières ?
Christophe Perret, architecte à Paimpol, exprime également sa frustration vis-à-vis du CNOA : «Moi, j’irais faire chier M6 à ce propos jusqu’à ce qu’ils proposent une émission sur les maisons d’architectes, qui à leur tour démonteraient et se moqueraient en direct des maisons de constructeurs, avec cette saloperie de seuil de 150 m². Car il y a de quoi se moquer de leurs maisons, pâles plagiats pseudo architectural qui défigurent et abondent en France. Y EN A RAS LE BOL!!»
En clair, le CNOA se retrouve à nouveau sur la sellette. Selon l’architecte Pascal Mommeja-Robert, «tant qu’on n’aura pas de barèmes d’honoraires légaux et une non-obligation du recours à l’architecte à partir de 50 m² de surface de plancher, on sera toujours assimilé à ce genre de préjugés et cibles de ces émissions. Mais l’Ordre s’en fout complètement», écrit-il.
Avis partagé par l’architecte normand Lucas Hemlau : «Y a-t-il une procédure lancée contre M6 ? Il faut, je pense, que l’Ordre des architectes réagisse fasse à ce genre de situations, qui sont, petit à petit, en train de tuer notre profession». Bastien Marion, son confrère à Rodez, se contente lui d’une ironie cinglante : «Heureusement le Conseil National de l’Ordre des Architecte œuvre pour rétablir la vérité….».
Naïvement, Albert, récent diplômé, se demande encore si «l’Ordre pourrait-il attaquer M6 ?». Effectivement, l’acte pourrait peut-être faire jurisprudence et calmer les ardeurs des constructeurs à déclamer des bobards. Au moins obtenir un droit de réponse ? Un droit de rectification à tout le moins ? S’il vous plaît ? Cela ne doit quand même pas être si compliqué.
Mais non, si des conseils régionaux ont relayé l’information, L’Ordre national semble à peine concerné puisqu’il lui aura tout de même fallu attendre le 9 mars, soit 11 jours après la diffusion de l’émission, et deux jours après la publication de l’article, pour qu’il daigne s’emparer du sujet. Non pas en partageant à son tour le texte, voire en le soutenant, non, l’Ordre a tenu à proposer son propre texte intitulé ‘Capital : M6 relaie les clichés les plus éculés sur les architectes’.
Encore a-t-il fallu, souligne le CNOA, «que plusieurs architectes s’en [émeuvent] auprès de l’Ordre ou sur les réseaux». (Quels réseaux ? fluides, thermiques, courants forts, courants faibles ?) Terrible aveu ! L’ordre, comme les politiciens, est plus sensible aux internautes qui réagissent sur les réseaux sociaux qu’au fond de l’affaire.
«L’émission véhicule maladroitement le cliché de l’architecte inaccessible», convient donc le CNOA. Maladroitement ? Avec son édition spéciale Immobilier, Capital a su convaincre plus de 2.8 millions de Français, soit 11.4% de part de marché, dont 20% des femmes de moins de 50 ans. Il s’agit du record de la saison pour le magazine de M6. Presque trois millions de personnes, si l’on y ajoute les rediffusions, apprennent donc tranquillou, en passant, qu’une maison d’architecte est ‘forcément, oui madame’ deux fois plus chère qu’une maison de constructeur. Et tout le monde au CNOA dort sur ses deux oreilles ? Des sponsors les constructeurs ? Pour les soirées de gala peut-être ?
De fait le CNOA entreprend de relativiser «cette énième reprise du thème de l’architecte inaccessible» et propose de la mesurer «à l’aune d’événements autrement plus significatifs, à commencer par l’adoption par les parlementaires français de la loi LCAP, de l’abaissement du seuil de 170m² à 150m², de l’obligation de recours à un architecte pour les permis d’aménager les lotissements, etc. Autant de dispositions nouvelles qui traduisent une volonté collective d’améliorer la qualité du logement individuel et du cadre de vie quotidien, et de revenir à ‘l’architecture ordinaire extra’ chère à Patrick Bloche. Grâce aux compétences reconnues des architectes». Et donc, qu’est-ce qui exactement empêche de donner un coup de fil à M6 pour leur demander de faire attention ?
Heureusement pour tous que le CNOA s’auto-congratule car dans les campagnes, apparemment, ils n’y comprennent rien. Quant à ceux qui lui demandent d’intervenir, sur un sujet somme toute guère polémique pourtant, ils peuvent toujours se tamponner avec le reçu de leur cotisation !
Laissons la conclusion à Kamel Lifa, architecte à Bischheim, près de Strasbourg : «Bien fait pour notre gueule nous les architectes ! On est absent et très défaillant en communication (…). On est collé derrière des écrans ou tables à dessin au moment où les autres acteurs, souvent des vendeurs de vent (agent immobilier, entrepreneurs, etc.) sont très présents sur tout le processus depuis l’acquisition des terrains à la réception. Le pauvre Archi se contente d’une miette pour un permis de construire et encore à condition d’atteindre le seuil minimal ! Bref sur ce créneau de maison individuelle, soit on se réorganise, soit on accepte les clichés..!»
Dont acte.
Christophe Leray (avec Léa Muller)