Ce contre-la-montre individuel de 30 km est l’étape qui doit mettre tout le monde d’accord mais quel intérêt pour les suiveurs de savoir qu’untel, parti dans les premiers, est passé de la 120ème à la 118ème place ? Il n’y a de l’intérêt que pour les derniers à s’élancer qui se battront pour les places d’honneur. Ce qui laisse le temps aux suiveurs de l’architecture contemporaine d’une belle journée à travers les prestigieux vignobles de la région.
Pour commencer, avant de quitter les bassins à flots bordelais, les suiveurs se rendront à l’un des deux restaurant du G8, un immeuble mixte comptant des commerces, des bureaux, le siège d’une start-up et une école de communication livré par Martin Duplantier Architectes en 2019. Tout en dégustant des canelés, voire des huîtres du bassin d’Arcachon pour les plus gourmands encore, constater que le G8, situé à la jonction d’un nouveau boulevard et d’un pertuis entre les deux bassins, fait partie des bâtiments dont la volumétrie rappelle les hangars à bateau.
« Sa spécificité réside dans un positionnement bicéphale : il s’adresse avant tout à l’espace public et constitue une vitrine de premier plan pour les commerces et bureaux qu’il abrite », explique Martin Duplantier. « La traduction se fait au travers d’une générosité spatiale, tant à l’intérieur avec des doubles hauteurs partielles, qu’en extérieur avec les deux patios et les larges ouvertures ». A vérifier donc.
Avant de quitter Bordeaux, faire un dernier tour sur les berges de la Garonne, sur le site des anciens abattoirs à l’extrémité de la Halle Boca, pour aller visiter la MÉCA, un signal urbain audacieux conçu par BIG – Bjarke Ingels Group – associé à l’agence parisienne FREAKS freearchitects (Paris) et inauguré en juin 2019.
La MÉCA, c’est-à-dire la Maison de l’Économie Créative et de la Culture en Région Nouvelle-Aquitaine, réunit les deux agences culturelles régionales l’ALCA (livre, cinéma, audiovisuel) et l’OARA (spectacle vivant), et le Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA (art contemporain).
« Le bâtiment forme une boucle verticale qui lie dans un seul mouvement les anciens abattoirs, aux berges de la Garonne, en créant un espace en creux, au centre de la MÉCA, relié par des rampes », explique Bjarke Ingels. Cet espace baptisé « chambre urbaine », donne au bâtiment une profondeur et une transparence uniques.
Ses jeux de géométries et ses lignes très affirmées confèrent au projet un caractère cinétique : l’entrée de ville, que ce soit par le train ou par la voiture, donne l’illusion étonnante d’un site en mouvement, dont les perspectives et les points de fuite semblent se distordre à mesure que l’on s’en approche. Cette arche se compose d’un socle biseauté en rez-de-chaussée, de deux ‘jambes’ latérales asymétriques et d’un volume en pont reliant l’ensemble en partie haute.
L’ensemble est recouvert de 4 800 panneaux de béton, dont la teinte évoque la pierre beige, caractéristique du port de la Lune, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Il sera temps alors de rejoindre Saint-Emilion, ville d’arrivée de l’étape, en faisant le grand détour par la route des vins, la raison pour laquelle les suiveurs de l’architecture contemporaine ont embarqué aujourd’hui leur copain Paul, pigiste pour La Croix qui ne boit que de l’eau bénite. Et c’est parti pour la découverte des chais de la région, avec pour chacun son étape dégustation.
« Chai du Château Cheval blanc : l’élégant », Christian de Portzamparc, Saint-Emilion, 2011
En 2011, Christian de Portzamparc a livré le nouveau chai de 5 250m² du Château Cheval Blanc, propriété de Bernard Arnault et du Baron Albert Frère. Conçue en béton, la construction fait aussi office de promontoire pour admirer le vignoble. Tout dans le dessin du bâtiment rappelle la perfection du processus de fabrication du premier grand cru classé A de l’appellation, de la géométrie, à la lumière en passant par les matériaux. 52 cuves de plusieurs dimensions optimisent, comme un verre de dégustation, « l’oxygénation » du breuvage. La modernité de cette architecture « équilibrée » enrichit les vins racés du domaine, et réciproquement.
Le « Chai-Cathédrale » du château Faugères de Mario Botta, Saint-Emilion, 2011
A quelques parcelles du Cheval Blanc, Silvio Denz, qui a racheté le Château Faugères en 2005, a quant à lui fait appel au Suisse Mario Botta, livrant un bâtiment « franc » tout en lumière et en gravité, dans le plus grand respect de l’élixir ici concocté. Le chai s’intègre dans le paysage par la pureté et le classicisme des lignes. « J’ai imaginé un socle de pierre partiellement enterré, doté des espaces nécessaires à la production et à la conservation des barriques pour le vieillissement. Un seul élément architectural saillant se dresse au centre du bâtiment : une petite tour pour l’accueil du public et les activités de dégustation. En hauteur, une vaste terrasse couverte s’ouvre sur le paysage », expliquait alors Mario Botta lors de son inauguration. Moins onirique, le nouveau chai obéit aux recherches permanentes sur la qualité des vins, à tous les stades de la production par l’utilisation des technologies les plus en pointe.
« Un chai d’œuvre au Château La Dominique », Jean-Nouvel, Saint-Emilion, 2014
C’est avec une sensibilité de voisin que le sarladais Jean Nouvel a élaboré le « nerveux » chai du Château La Dominique, pour abriter les barriques de l’autre grand cru classé girondin. L’édifice s’inspire des sculptures d’Anish Kapoor et contraste avec les autres architectures classiques du domaine. Clément Fayat, l’entrepreneur et propriétaire, a mandaté l’architecte autant pour des raisons techniques qu’architecturales. Le volume général semble tirer un trait horizontal au milieu des cépages.
Jean Nouvel a imaginé un bâtiment aux volumes purs, prenant appui sur le bâti en pierre de taille et s’élançant d’un trait horizontal dans le vignoble. Il se pare d’une « robe » en lame d’inox rouge de plusieurs nuances, rappelant celle du vin. La façade Nord est transparente. Le grand miroir découvre à la nuit tombée la nouvelle cuverie. La terrasse offre un belvédère de choix sur la région.
« Dialogue entre séveux et minéral au Château Pédesclaux », Wilmotte&Associés, Pauillac, 2015
L’agence parisienne Wilmotte&Associés a élaboré un chai « distingué » tout en transparence, aux lignes pures dialoguant tant avec les vignes qu’avec l’environnement minéral de Pauillac. Le dénivelé du coteau a permis de déterminer la taille du bâtiment, voisin de constructions existantes. Le cuvier met en scène le processus de production du vin, tandis que le chai semi-enterré couve les fûts. Le château, sur lequel deux volumes vitrés ont été greffés, entre également dans l’ère de la modernité. L’aménagement paysager est très simple mais séquentiel. Il permet d’offrir aux visiteurs des cadrages, des vues multiples qui mettent en valeur le territoire de Pauillac et de Pédesclaux.
« De l’importance du jour et de la nuit au Chai Ballande », Baggio-Piéchaud, Médoc, 2014
Dans cette course effrénée au bâtiment signal, le médoc n’est pas en reste. Cet édifice a été dessiné par une agence qui sent le terroir. L’agence bordelaise Baggio-Piéchaud propose un bâtiment « aimable » résolument contemporain, élégant et sobre, dévoué au stockage des vins les plus fins du groupe Ballande. Le projet cherche à s’intégrer au paysage boisé de la forêt de pins, situé en bordure de la route du Médoc.
Tel un coffre-fort, il intrigue par sa seule présence, vaste volume de béton blanc se laissant voir à travers les pins. De nuit, un jeu d’éclairage souligne ses caractéristiques et sa matérialité, multitude de points lumineux émergeant des brumes médocaines.
« Le Château Barde-Haut : le bien vieilli », Saint-Emilion, Nadau-Lavergne, 2010
L’agence Nadau-Lavergne s’est fait connaître avec cette réalisation, pour laquelle elle a été nominée au prix de la première œuvre du Moniteur 2010. Les architectes « bourrus » ont préféré réhabiliter l’ancien chai en moellons, de façon à composer avec le territoire et de lui ajouter, ensuite une extension en Corten.
« Ce travail de mise en exergue de l’existant nous a permis de proposer un aspect plus contemporain pour les nouveaux volumes réservés aux cuviers et aux ateliers »*, se félicitaient les jeunes architectes alors. Les feuilles d’acier qui recouvre l’extension se « bonifient » même avec le temps, à l’image des crus locaux. A l’origine noir et « austère » comme le raisin, le bâtiment est aujourd’hui couleur rouille. Pour donner à voir, depuis l’extérieur, le processus de fabrication du vin, la façade ouest du volume est percée d’une large baie vitrée.
« Le chai, c’est de l’art russe », Saint-Emilion, Jean Nouvel 2018
Jean Nouvel, dont l’enfance s’est déroulée tout près de Saint-Émilion, avec la restauration du Château La Grâce Dieu des Prieurs, pour son second chai dans le quartier de vignes, a tenté de créer un espace qui allie les traditions viticoles françaises, les technologies de production modernes et l’art russe pour transformer le Château en un véritable objet d’art. Rien moins !
« Nous avons ajouté une touche de modernisme pour créer une entité nouvelle tout en gardant la continuité des traditions. L’architecture ne peut pas exister dans le vide, elle est née grâce à l’interaction de l’architecte avec le monde extérieur. Ce projet a pour vocation d’illustrer la vie d’un domaine viticole étape par étape. Partout, j’ai essayé de rendre hommage au travail des vignerons, à l’art russe et aux traditions françaises », explique Jean Nouvel.
« C’est un projet d’envergure, qui a allié le sol français au développement des affaires russes à l’étranger en passant par les grands crus qui se vendent dans le monde entier. Des projets pareils sont importants aujourd’hui, à l’heure où la Russie et la France entament une nouvelle étape de leurs relations », avait pour sa part déclaré Alexeï Mechkov, l’ambassadeur de Russie en France.
Ne restera alors aux suiveurs, qui auront bien mérité de cette étape harassante, qu’à rejoindre l’arrivée et attendre le dernier coureur et l’attribution définitive du Maillot Jaune de ce Tour de France 2021.
Après le dernier protocole, les Parisiens se précipiteront, avec leurs emplettes effectuées tout au long de ce Tour de France, à la gare Saint-Jean, histoire de jeter un coup d’oeil à l’ouvrage livré par AREP en 2017 et d’attraper un train vers Paris.
Christophe Leray et Léa Muller (dans la caravane)
Pour les suiveurs, retrouver :
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2021.
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France contemporain 2018
* Cités par Emmanuelle Borne.