Pour cette journée de reconnaissance sur sol helvétique, le suiveur part découvrir dans le Valais le tracé de la 9ème étape qui sera suivie par une journée de repos. Objectif du jour, se rendre jusqu’à Viège, en pays neutre, pour visiter l’Ecole Professionnelle de l’agence Bonnard et Woeffray.
Cette neuvième étape – la première de montagne qui le 10 juillet emmènera le peloton, les suiveurs et la caravane sur 193 km d’Aigle, en Suisse, à Châtel, en France –, ainsi que la journée de repos qui suivra, est une occasion magnifique de découvrir l’architecture helvétique qui ne se résume pas, loin s’en faut, à une ode à la trame rigoureuse de façade et à l’ouverture verticalisée.
De fait, deux architectes suisses – Geneviève Bonnard et Denis Wœffray (Bonnard Woeffray) – vont accompagner les coureurs sur une bonne partie de la route puisque le parcours est parsemé de plusieurs de leurs réalisations. Dès l’entrée de Monthey, encore en Suisse, le passage devant le projet de logements et bureaux – immédiatement en bord de route, un monolithe entaillé semé de verre coloré – offre un bel aperçu de la pratique de ce duo malicieux et poétique. Une mise en bouche puisque la plupart des thèmes qui les préoccupent y sont déjà bien présents.
Une fois Châtel rejoint après la montée depuis Monthey, les suiveurs pourront redescendre vers la Suisse pour y passer une journée de repos bien méritée afin de découvrir le travail, entre autres, de cette agence singulière et fer de lance d’une expression architecturale locale réjouissante. Prendre alors la direction de Viège et de son « école professionnelle » pour son intitulé suisse, un centre de formation pour le vocable français.
Une journée de repos doit être dédiée au plaisir et à la contemplation. Ce projet de Bonnard et Woeffray réjouira les tenants de la trame helvétique à la rigueur tessinoise tout comme les afficionados de l’approche charnelle du duo bâlois pritzkérisé Herzog et de Meuron. Le bâtiment offre une composition rigoureuse tant en plan qu’en façade et un jeu avec la lumière, qu’elle soit reflétée ou teintée, qui raviront les deux camps.
Si le projet s’inscrit dans le gabarit des constructions alentour, il opère une évolution d’un volume à deux niveaux vers un ensemble à quatre niveaux lui permettant de se raccorder au volume des écoles du quartier et à celui de la rue. Ce positionnement précis qui ménage un vide opportun pour la cour permet à l’ensemble de fonctionner comme un petit campus.
La stratégie en plan du bâtiment sur une trame en trois épaisseurs, dont un grand noyau central de distribution, est maximisée afin que ce dernier accueille également des espaces de travail en groupe en plus de sa fonction propre. La composition du bâtiment est visible et compréhensible. Elle maintient cependant un flou entre les espaces servis et servants qui semblent de prime abord tenir distinctement leur fonction mais se relèvent plus mobiles et souples une fois les usagers arrivés. L’espace servant devient l’espace servi.
« C’est une idée que nous avions dès le concours, si ce n’est que la cage d’escalier et la hall central étaient un petit moins clairement séparés. C’est une chose qui a toujours été discutée avec l’utilisateur, et le directeur a compris et adhéré à cette idée. Sans son accord et son appui, cela ne marche pas. C’est fondamental, si les utilisateurs n’adhéraient pas, ce que l’on a fait ici se serait cassé la figure », explique le duo dans un argumentaire à deux voix où quand l’une finie sa phrase l’autre enchaîne avec le plus grand naturel.
Ce projet hybride est dans la filiation de plusieurs approches helvétiques de l’architecture contemporaine. Il propose des façades qui expriment clairement la stratégie volumétrique avec son évolution altimétrique et ses redans et la mise en place d’une peau miroir qui sait tout à la fois révéler son contexte et son propos au travers des reflets kaléidoscopiques du mouvement des façades.
Ces volumes facettés rappellent le travail cubiste de l’architecte tchèque Josef Chochol et notamment la villa Kovarovic et expriment une envie de plaisir formel hédoniste et raffiné. Cette ambition se retrouve dans la mise en couleur des espaces intérieurs par la teinte du vitrage des cloisons de distributions qui propose non pas de colorer telle ou telle surface mais bien de teinter le regard et la lumière qui le traverse, soit depuis l’extérieur, soit depuis l’intérieur.
« Là où nous avons compris n’avoir pas trop mal raté l’affaire est quand, le bâtiment à peine fini, est arrivé un apprenti de l’école avec sa voiture ‘tunée’ et qu’on l’a vu la photographier devant l’école. Nous nous sommes dit : ce doit être pas mal, une vraie carrosserie », explique avec un plaisir communicatif Geneviève Bonnard.
Il suffisait donc de passer la frontière et d’entrer en pays neutre pour rencontrer des architectes souriants et colorés qui nous font vite oublier les tenues noires et l’absence de joie de vivre de rigueur dans l’hexagone. Cette opposition de style du discours et de l’attitude n’est peut-être pas qu’une anecdote mais traduit probablement une différence de positionnement assez marqué dans les arcs narratifs déployés par les deux pays.
Là où la France voit de plus en plus d’architectes porter un discours sur la frugalité, le matériau biosourcé, la paille et la terre crue comme nouvel horizon de la profession en oubliant très souvent d’expliciter les plaisirs de spatialité qu’ils procurent, la Suisse au travers de ce binôme savoureux délivre in fine le même propos sans en faire une posture de premier de la classe appliqué.
Le projet est frugal ; il fait le maximum avec le minimum (absence de faux plafond, de doublage et de plinthe, béton brut, ouvrant plein minimum et verticalisé, éventail réduit de matériaux…). Le projet n’a que la peau sur les os et du vernis savamment appliqués au bon endroit mais ne rentrerait pas dans les critères d’éligibilité du label de la frugalité autorevendiqué, label qui, pour le coup à la vue de cet ouvrage, apparaît vraiment franchouillard.
A l’heure où nombre d’architectes français ne font que se plaindre des honoraires trop bas qu’ils perçoivent en les ayant eux-mêmes proposés à leur maître d’ouvrage, où les écoles françaises n’en finissent plus de se quereller autour de campagne de recrutement massive des enseignants et des rentes qui vont avec, où l’ordre des architectes ne comprend pas pourquoi les candidats à l’élection présidentielle ne les reçoivent pas personnellement alors qu’ils ont la solution à quasi tous les problèmes de leur pays, ce voyage en terre helvétique permet de se rendre compte qu’il existe quelque part, et pour le coup vraiment juste à côté, des praticiens bien payés, des écoles avec des enseignants de haute volée, des architectes qui rendent hommage à leur client et se réjouissent qu’un quidam fan de voiture se prenne en photo devant une architecture contemporaine.
Cette journée de repos permettra donc de méditer sur ces situations antagonistes et caricaturales. Qu’arrive-t-il à l’architecture française pour qu’elle semble si loin de sa cousine helvétique sur de très nombreux aspects ?
Après ces réflexions et pour en rincer l’amertume de peau d’orange, les suiveurs pourront prolonger le débat à la table de Didier de Courten dans la commune voisine de Sierre. Les joues de veau braisées au pinot noir accompagnées d’un vin rouge valaisan local du plus bel effet devraient mettre tout le monde d’accord.
Guillaume Girod (en reconnaissance d’étape en pays neutre)
Pour les suiveurs, retrouver :
– Les reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2021.
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France contemporain 2018
* Comme les coureurs et leurs équipes du Tour de France 2022, qui s’élancera de Copenhague au Danemark le 1er juillet pour une arrivée à Paris le 24 juillet, reconnaissent leurs étapes, les suiveurs du Tour de France contemporain de Chroniques, pour leur cinquième participation, procèdent aussi désormais à des étapes de reconnaissance.