C’est reparti pour un nouveau Tour de France qui, cette année, fêtera les 100 ans du maillot jaune. Autant dire que les séquences nostalgie ne vont pas manquer avec force images d’archives. Nostalgie confortée par les interminables vues d’hélicoptère sur les vieilles pierres, vieux châteaux et vieilles églises au travers de paysages bucoliques.
Toutes ces heures d’antenne consacrées au patrimoine sont d’ailleurs, à l’endroit des conservateurs, la démonstration que la France croule littéralement sous le poids poussiéreux et moussu du passé, la valorisation à outrance de ses propres ruines étant sans conteste le signe d’une civilisation en décomposition.
Foin de nostalgie donc. Pour les suiveurs du tour, touristes, amateurs et professionnels qui préfèrent l’architecture de leur temps construite par des architectes vivants, ce guide forcément subjectif, étape par étape. Cette année, le Tour part de Belgique, où il passe deux jours. Allez, une moule frites et c’est parti pour la première semaine de course.*
Première étape – Samedi 6 juillet 2019 – Bruxelles > Brussel : 194.5 km
Seconde étape – Dimanche 7 juillet 2019 – Contre-la-montre par équipe – Bruxelles Palais Royal > Brussel Atomium : 27.6 km
La Belgique est un petit pays, tout plat. Il offre cependant l’occasion, pour les suiveurs du Tour qui n’y connaissent pas grand-chose, d’une leçon inaugurale d’architecture par Christian de Portzamparc, premier prix Pritzker français – la France en compte deux (l’autre étant Jean Nouvel). Près de Bruxelles, à Louvain-la-Neuve, commencer par le Musée Hergé, qui fête ses dix ans, l’occasion pour les amateurs d’épopée de vérifier comment l’architecture contemporaine et l’histoire ne peuvent faire qu’un. Les plus âgés d’entre eux retrouveront les frissons de l’enfance, les plus jeunes auront compris quelque chose de l’architecture en sortant.
Pousser encore jusqu’au Luxembourg – à peine 200 km, une distance que les pros font en vélo pour s’entraîner -, cette fois pour une visite de la Philharmonie, livrée en 2005 par le même architecte. Si le concours date de 1997, ce bâtiment n’a pas pris une ride. A tel point que la cérémonie officielle de la fête nationale du Luxembourg, permettant d’honorer la mémoire du Grand-Duc Jean, décédé le 23 avril dernier, s’y est tenue le 23 juin dernier. C’est, dit autrement, le Notre-Dame du Luxembourg, sans l’eau bénite. «A-t-on encore besoin de tels grands temples bourgeois ?», s’interroge un suiveur. La question aurait pu être posée un peu différemment. «A-t-on encore besoin de tels grands temples dédiés à la culture ?» et la réponse serait en ce cas, «plus que jamais».
Pour le retour vers Bruxelles, mettre votre musique classique préférée à fond dans la voiture et, puisque le tour commence à peine, pourquoi pas la Symphonie du nouveau monde d’Anton Dvorak ? Ne pas hésiter ensuite à faire un détour par la caserne de pompiers de la zone de secours Hainaut-Est à Charleroi. L’ouvrage, désormais iconique, a été conçu, construit et livré (en 2016) par l’agence belge Philippe Samyn & Partners en seulement deux ans. Deux ans !
Enfin, pour ceux qui souhaitent découvrir l’usage qu’ont les Belges de leur patrimoine, Pousser jusqu’à Anvers pour découvrir le très spectaculaire «Havenhuis» – la maison du port -, l’une des conceptions les plus ambitieuses proposées par feue Zaha Hadid, dans une ancienne… caserne de pompiers !
Etape 3 – Lundi 8 juillet 2019 – Binche > Épernay : 215 km
Au départ de Binche, à un jet de pierre, juste de l’autre côté de la frontière, dans le Nord, s’arrêter quelques minutes avant ou après le départ de cette troisième étape à la gare de Jeumont, réaménagée et réhabilitée en 2007 en un ‘pôle numérique’ par les agences Sophie Thomas (AST) et Artéo.
Le programme du Pôle Culturel et de Haute Technologie se caractérise par la diversité des activités à regrouper dans un bâtiment dont la force architecturale se caractérise par sa longueur et son étroitesse : salle d’exposition, bar, salle de spectacle, studios son et vidéo, plateau de tournage, conservatoire de danse et musique, cybercentre. Le défi consistait à regrouper ou isoler les activités entre elles sans détruire la simplicité et l’évidence des volumes d’origine, d’intervenir en conservant l’identité de la gare, ses matériaux, la poésie liée aux lieux, salle des pas perdus ou hall des douanes.
Douze ans plus tard, les bienfaits de cette politique culturelle imaginée tardent à se matérialiser – il n’y eu pas d’effet Bilbao à Jeumont – mais le projet architectural n’en demeure pas moins réussi et intriguant.
Lors de cette étape au parcours accidenté, les coureurs vont atteindre la Champagne, arrivée prévue à Epernay. Mais pour les suiveurs qui préfèrent passer l’étape à Reims, où a lieu le départ le lendemain, en profiter pour aller visiter le lycée Franklin Roosevelt – ça tombe bien, ce sont les vacances – et découvrir l’ingéniosité de l’architecte Rémois Jean-Michel Jacquet pour cette extension intérieure au cœur d’un établissement historique – le Général Eisenhower y avait installé son quartier général en septembre 1944, avant d’y signer l’armistice le 7 mai 1945. La dimension de ce travail démontre que le patrimoine n’empêche nullement ce lycée d’affirmer aujourd’hui une vocation scientifique et technologique.
Etape 4 – Mardi 9 juillet 2019 – Reims > Nancy : 213.5 km
Une étape pour les sprinters et, si elle se déroule sous la canicule, les organismes fatigués des suiveurs pourront pour se rafraîchir à l’arrivée aller découvrir Nancy-Thermal, un lieu dédié aux bains depuis plus d’un siècle – il y avait là en 1913 la plus grande piscine en eau thermale du monde. Deux de ses trois bassins datent du début du XXe siècle. Le projet Grand Nancy Thermal (Meurthe-et-Moselle) est d’agrandir encore l’équipement pour qu’il devienne la seule station française située au cœur d’une métropole, un projet confié à Anne Demians et Chabanne + Partenaires.
Puisqu’il est question d’Anne Démians à Nancy, aller voir également son immeuble Quai Ouest, situé sur l’île de Corse, dont la singularité tient à son enveloppe d’acier inoxydable et ses 650 fenêtres oblongues semblables des yeux ouverts sur la ville. Il s’agit notamment du siège social d’une entreprise de construction mais l’ouvrage compte également une résidence hôtelière et des commerces qui doivent être ouverts à la visite.
Etape 5 – Mercredi 10 juillet 2019 – Saint-Dié-des-Vosges > Colmar : 175.5 km
Une étape accidentée et courte, pour puncheurs ! Ca devrait aller très, très, vite ! Ce qui laisse donc le temps de faire un détour par la petite ville bucolique de Mirecourt. L’occasion cette fois d’aller visiter le Collège Guy Dolmaire conçu en 1999 et livré en 2004 par Architecture-Studio. A l’époque, ce bâtiment en bois était un OVNI, «un choc pour le visiteur non averti», assurait Marie Ronyer, alors maire de Mirecourt. Un bâtiment étonnant que les usagers se sont largement appropriés avec bonheur. A tel point que le président Emmanuel Macron s’y est rendu lui-même en avril 2018. L’occasion peut-être pour les suiveurs de mesurer à travers cet ouvrage le chemin parcouru, ou non, depuis presque vingt ans qu’il est question de qualité environnementale.
Etape 6 – Jeudi 11 juillet 2019 – Mulhouse > La Planche des Belles Filles : 160.5 km
Première étape de montagne qui ne fera pas gagner le Tour de France mais qui peut le faire perdre avec une arrivée au sommet de la Planche aux Belles Filles dans les Vosges, à 1 148m d’altitude. Pour ne rien rater de la bagarre, c’est le matin avant le départ qu’il faut faire un tour au nouveau Conservatoire de musique, danse et art dramatique de Mulhouse, conçu par TOA architectes et livré en 2018. A l’intérieur, l’auditorium est 100% bois. Les salles de cours sont équipées de dômes acoustiques, une première dans un conservatoire. Cette technologie inédite permet à chacun de moduler l’acoustique selon ses besoins et sa sensibilité. Après cette séquence culturelle apaisante, le suiveur sera prêt pour l’escalade des hostilités des cadors !
Etape 7 – Vendredi 12 juillet 2019 – Belfort > Chalon-sur-Saône – 230 km
La plus longue du Tour, cette étape est destinée aux sprinteurs, voire aux baroudeurs au (très) long cours ! Ce qui laisse largement le temps aux suiveurs de folâtrer à travers la Franche-Comté bucolique. Pour tous ceux qui se demandent que faire avec un patrimoine ancien au milieu de nulle part, pousser jusqu’à Saint-Vincent-des-Prés, au sud de Chalon-sur-Saône. Découvrir le ‘home sweet home’ d’un client privé ayant fait confiance à l’architecte Ludovic Forest pour la reconstitution et réhabilitation ainsi que la construction de l’extension contemporaine d’un doyenné clunisien bourguignon bâti entre les Xe et XIVe siècles. Quitte à se farcir de vielles pierres, autant découvrir celles qui vivent encore. Pour la visite, il faudra sonner car le lieu n’est pas ouvert au public. Sinon, en profiter pour prendre un verre au village, se détendre en écoutant les oiseaux, puis reprendre la route et replonger dans la mêlée.
Etape 8 – Samedi 13 juillet 2019 – Mâcon > Saint-Étienne : 200 km
Une étape courte mais 4 000 mètres de dénivelé positif, pour costauds. Dans la vallée du Rhône, surtout à cette époque de l’année, autant éviter les bouchons et quitter la grand-route pour atteindre Roanne par des chemins détournés, ne serait-ce que pour y manger (attention Troisgros n’est plus à la gare mais à Ouches) ! En promenade digestive, allez visiter le Scarabée d’Alain Sarfati. Tous les suiveurs du tour de France ne seront pas surpris puisqu’une étape du Criterium du Dauphiné 2019, une autre épreuve cycliste, est partie début juin depuis l’intérieur du bâtiment ! Un ouvrage d’une polyvalence rare toujours étincelant sous le soleil de juillet. «Nous n’avions pas l’argent pour faire une Ferrari, alors nous avons fait une SAAB», explique l’architecte, dont le père était mécanicien.
Etape 9 – Dimanche 14 juillet 2019 – Saint-Étienne > Brioude : 170.5 km
Avec une arrivée et un départ à Saint-Etienne, les suiveurs fatigués des ‘Sports bars’ et des sandwichs de gare, s’ils veulent passer à autre chose, pourront aller se détendre à La Comédie, un héritage industriel devenu par l’intervention de Studio Milou l’un des équipements les plus performants de France au service de la création artistique.
Dans la continuité du travail de Studio Milou sur la réutilisation du patrimoine industriel, le projet utilise le vide des grands espaces libérés sous les structures métalliques de l’usine, comme de grandes ‘artères’ qui permettent au public de déambuler vers de grands jardins ouverts sur les paysages alentour.
Il n’y a pas de représentations à la Comédie en été mais sans doute que le site reste ouvert, au moins pour y boire un verre et, puisque les aficionados font étape à Saint-Etienne, là où est né le premier vélo, parler encore et encore bien sûr de Cycles et du Tour de France ! Avant de partir vers Brioude pour une étape qui devrait donner des haut-le-cœur aux sprinteurs.
Etape 10 – Lundi 15 juillet 2019 – Saint-Flour > Albi : 217.5 km
Une étape de transition avant les Pyrénées, sur le plat, qui devrait permettre aux sprinteurs de se venger des souffrances de la veille. L’étape pourrait aller vite, le lendemain étant repos pour tout le monde à Albi.
Dans le Cantal, pas besoin de faire le détour par Montboudif, vous n’y trouverez pas de musée Georges Pompidou, pourtant le plus illustre fils du bourg. Dans l’Aveyron, rien ne vient spontanément à l’esprit en termes d’architecture contemporaine sauf cette salle multigénérationnelle signée CoCo, à Olemps, dont nous avons déjà parlé. Mais elle est vraiment en dehors de la route du Tour.
A Albi, enfin, les autoentrepreneurs désœuvrés de la presse spécialisée pourront aller vérifier leurs droits et devoirs à l’URSSAF, un bâtiment administratif public construit en pleine zone commerciale, «une gageure», selon l’architecte Jean-Marie Pettès, fondateur en 2006 de l’agence IF Architecture.
Ce mardi 16, étape de repos bienvenue pour tout le monde.
A mardi prochain pour la suite.
Christophe Leray (dans la caravane)
PS – Si vous souhaitez présenter des bâtiments contemporains sur la route du Tour pour les étapes qui restent – l’un des vôtres, celui d’un copain, ou un autre qui vous a simplement tapé dans l’œil -, envoyez-vous un petit topo et une image.
*PS 2 – Les lecteurs attentifs auront noté que cet article est déjà paru la semaine dernière. Chroniques, le seul magazine à publier ses articles une semaine trop tôt ! Tout vient finalement à point, même sans attendre.